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Une douleur lancinante.

J'ouvre difficilement les yeux et le monde est comme projeté à travers une vitre embuée. Je cligne des paupières aveuglée par la lumière criarde qui entre brutalement. Ma tête repose sur le volant d'une voiture accidentée. Je me redresse difficilement et une vive douleur irradie à ma tempe. J'y porte mes doigts, sous leur pulpe, la surface de ma peau est poisseuse et collante. Ouvrant maladroitement le petit miroir au-dessus de ma tête, je découvre le visage fin mais tuméfié d'une jeune fille aux grands yeux noisettes perdus, recouvert pour moitié d'un sang coagulé depuis longtemps, quelques mèches brunes collées à sa joue.

Le véhicule dans lequel je me trouve est apparemment encastrée dans le tronc d'un arbre monstrueux.

J'ai dû faire une sortie de route et dévaler la ravine.

Sondant mes souvenirs, j'ai l'étrange impression qu'un trou béant à emporter les derniers évènements de mon existence. Reportant mon attention sur ma situation actuelle, je découvre renversé près de moi un sac de randonnée mais en tentant de le récupérer je m'entrave dans la ceinture encore accrochée. Je la défais d'une pression malhabile. A l'intérieur du sac sont rassemblés le nécessaire de survie avec vivres et premiers soins mais aussi plusieurs chargeurs d'arme automatique et autres munitions. Rassemblant mes forces, j'essaie de m'extirper de la carcasse enfumée mais la portière résiste. Je lui assène un coup de pied ce qui l'envoie valser contre un arbre voisin. J'aperçois sur ma hanche, glissée dans un étui de cuir, un couteau de chasse. Je le retire, les doigts serrant fortement le manche, son tranchant est empoissé d'une couche de sang coagulé. Et cette vue m'inconforte sans que je ne puisse me l'expliquer entravant mon cœur d'une boule d'angoisse. Secouant la tête, je le remets à sa place et en fixant solidement le sac sur mon dos, j'entreprends de remonter la pente qui me mènera à la route.

    Enfin je suppose.

Mes mains agrippent les racines tandis que mes pieds cherchent un appui sûr dans la terre humide.

Les bois alentours sont étrangement paisibles, pas un pépiement lointain, aucune bestiole se faufilant dans les fourrées et cette atmosphère me semble soudain atrocement déconcertante comme si la vie avait quitté ces terres et que je me retrouvais complètement seule. La lumière de cette fin d'après-midi filtrant au travers des feuillages, peignant pourtant un décor aux couleurs si chatoyantes et sereines tantôt orangé tantôt rouge carmin.

Prise dans mes pensées, je manque de me retrouver au bas de la butte, ma botte dérapant dans une motte de glaise affreusement glissante.

J'atteins enfin le bitume chaud. Une fois redressée, j'observe les lieux et découvre la raison de mon accident. Un corps démembré gît çà et là sur la chaussée mangée de végétation et la partie supérieure du cadavre tente désespérément de s'extirper de sa condition. Je m'accroupis face à lui et observe un bref moment le claquement frénétique de ses mâchoires mises à nues par la putréfaction. Son crâne luisant sous le soleil couchant n'est recouvert que de rares touffes de cheveux à la couleur indéfinissable. A ma vue, il essaie encore de m'atteindre espérant me dévorer malgré tout, je lui enfonce mon couteau dans le front devenu spongieux et sa tête retombe mollement sur l'asphalte.

Face à moi, la route s'étire dans une interminable ligne sombre dévorée de chaque part par l'épaisse forêt de pins et va se perdre dans l'horizon. Je prends la route d'un pas calme et serein malgré les faibles tambourinements qui subsistent à l'intérieur de ma tête. Occupant ma marche crépusculaire, j'essaie de me remémorer ce qui a bien pu m'arriver. Quelques bribes apparaissent furtivement, le visage d'un homme brun au regard féroce, ses prunelles noires intenses et indéchiffrables. Beaucoup de sang. J'entends des coups de feu, des cris presque comme s'ils étaient réels. Prise de nausées, je m'arrête en secouant la tête, les mains sur les genoux, prête à vomir.

LA RAISONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant