Chapitre 21

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J'ai perdu la notion du temps. Lorsque j'ouvre les yeux, la panique me saisit. Il fait sombre, je me sens enfermée, prise au piège. Je me redresse brusquement sur mon lit d'hôpital et les souvenirs des dernières heures me reviennent en mémoire.

« Jace. L'enterrement. » Mon Dieu, faites que je n'ai pas raté la cérémonie. Si je ne viens pas, qui sait ce que Jace pourrait bien s'imaginer ? Il pensera que je le rejette, que je le prends pour un monstre. Il croira que j'ai oublié.

Je me lève précautionneusement de mon lit et cherche la sortie. Avec tous ces murs de verre, j'ai l'impression d'être dans le palais des glaces. J'avance à l'aveuglette, ne me souvenant plus de quelle direction j'avais prise avec Nikita à l'aller.

-Merde.

Le juron provient d'une chambre sur ma droite. Je crois reconnaitre la voix de Murder.
Lorsque j'entre dans sa chambre, je ne peux retenir un hoquet de stupeur.

-Murder...

Elle relève la tête, la rage brûle dans ses yeux. Pendant un instant j'ai peur qu'elle ne me reconnaisse pas.

-Oh Jude... Ce n'est que toi.

Je vois ses épaules, baignant dans le sang, se détendre.

-Qu'est-ce qui t'es arrivé ?

Je me précipite sur elle et tente d'apercevoir d'où provient tout ce sang. Ses vêtements en sont déjà imbibés.

-Ne t'inquiète pas mauviette, ce n'est qu'une petite coupure.

J'aperçois la blessure dans le bas de son cou et je comprends.

-Tu as voulu retirer ta puce ? Seule ? Pourquoi ?

Elle ricane.

-Parce que je n'ai pas envie qu'ils puissent me suivre à la trace. Je me bats pour ma liberté, pas pour eux.

J'enlève mon t-shirt précipitamment pour essayer d'arrêter l'hémorragie.

-Tu me fais un strip-tease ? J'ai vu plus réussi, tu sais.

Je grogne et presse le tissu contre sa plaie. Très vite, il se retrouve imbibé à son tour.

-Il te faut des points. Tu n'y es pas allée de main morte.

Elle a un sourire triste, plus faible à présent.

-Je ne fais jamais les choses à moitié.

Elle soupire brusquement et tente de s'allonger sur le lit. Elle s'y écroule plus qu'elle ne s'y installe.

-J'ai la tête qui tourne. C'est horrible.

-Tu as perdu beaucoup de sang.

Elle tourne la tête vers moi. J'ai peur de ce que je vois dans son regard.

-Oh non, mauviette. J'ai déjà manqué de me vider de mon sang à plusieurs reprises et je n'ai jamais eu cette drôle de sensation.

Je fronce les sourcils, ne comprenant pas ce qu'elle essaye de me dire.

-Ne retire pas ta puce, Jude. Pas pour le moment. Pas seule.

-Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne suis pas assez stupide pour me charcuter le cou. Ce n'est pas ton cas apparemment.

Elle se redresse brusquement, prise de convulsions. Les mouvements de son dos me font croire qu'elle est sur le point de vomir. Ses mains m'agrippent et je la soutiens pour qu'elle ne tombe pas.

-Je n'ai pas réussi à l'enlever...

Ses paroles sont presque imperceptibles. Je dois approcher mon visage du sien pour l'entendre.

-Tu n'as pas réussi à enlever la puce ? Murder, réponds-moi !

Son corps est repris de convulsions et je suis obligée de l'allonger sur le lit, incapable de la soutenir plus longtemps. Ses yeux se révulsent et ses tremblements se font de plus en plus saccadés. Ses muscles se contractes, ses mains cherchent quelque chose à agripper. Un peu de bave coule le long de sa joue, elle a l'écume aux lèvres. Je cherche désespérément une façon de l'aider. Mes mains attrapent les siennes et je sens ses ongles s'enfoncer dans mes paumes. Chaque fibre de son être est tendue à l'extrême.

Je sens des doigts sur mes épaules, dans mes cheveux. On m'arrache à elle et je tente en vain de garder sa main dans la mienne. Je vois du sang couler de son nez. Victor me crie dessus et je me rends compte que moi aussi, je hurle.

-Laisse-nous nous occuper d'elle.

-Hors de question.

Je joue des coudes pour retourner à son chevet. Des bras m'enserrent la taille.

-Lâche-moi ! Lâchez-moi ! C'est mon amie.

-Peut-être mais en ce moment tu ne l'aides pas.

Je reconnais la voix de Jace dans mon oreille et me calme quelque peu.

-Qu'est-ce qui lui arrive ?

-C'est sans doute une crise d'épilepsie. Si tu sors avec moi je pourrais sans doute t'en dire plus.

Il a baissé la voix, comme s'il venait de m'annoncer un secret honteux.

Je me laisse aller contre lui et il me tire à l'extérieur de la pièce. Je le suis, comme un automate, oubliant à nouveau par quels chemins je suis passée. Lorsque nous arrivons à l'extérieur, je suis surprise qu'il fasse déjà nuit.

-Vous partez dans quelques heures à peine. Ta copine aurait mieux fait de se tenir à carreaux.

-Elle n'a rien fait.

Il me lance un regard condescendant.

-Tu crois que je n'ai pas vu le sang peut-être ? Ou le fait que tu étais en soutient-gorge en train d'essayer de l'éponger ?

Je baisse les yeux et découvre que je porte à nouveau le pull de Jace, un peu trop grand pour moi. Son odeur a imprégné le tissu.

-Comment...? Je ne me souviens pas...

À aucun moment je ne me suis rendue compte qu'il me passait son pull ou même qu'il était entré dans la pièce.

-Qu'importe.

Il me tend une pelle et s'avance dans la nuit.

-Nous avons un enterrement !

Il dit ça sur un ton presque joyeux.

-Attend... On doit creuser le trou nous-même ? Maintenant ?

-Tu ne penses quand même pas que quelqu'un va le faire à notre place ?

Je me lance à sa suite, essayant de ne pas me faire distancer. Je brûle de lui poser mille et une questions, mais je n'ose pas. Pas maintenant.

Lorsque nous arrivons à proximité d'une petite forêt, Jace s'arrête. Je remarque un espèce de grand sac poubelle posé par terre et essaye de ne pas m'imaginer ce qu'il y a dedans.

-Jace... On ne peut pas faire ça... Tu ne peux pas faire ça.

-En temps de guerre mauviette, chacun enterre ses morts. Mais va donc demander à un russe, je suis sûr qu'il sera ravi de t'aider. Ou encore mieux, demande à un autre.

Il commence à creuser et au bout de quelques secondes, je l'accompagne. Je ne suis pas très efficace et il fait la plupart du travail, mais je ne peux pas le laisser seul à cet instant.

Je me mets à fredonner presque inconsciemment, cherchant à troubler ce silence oppressant. Jace ne me demande pas d'arrêter et je prends cela comme un signe d'encouragement. Je chante les berceuses que ma mère me chantait quand j'étais enfant. Douces, calmes, innocentes, les paroles reviennent rapidement dans ma mémoire et les mélodies se succèdent.

Lorsque Jace arrête de creuser, je m'immobilise, attendant qu'il prenne une décision. S'il me le demandait, je ne suis pas sûre que j'arriverais à glisser le corps dans la fosse. Mais il ne me demande rien et se charge de déplacer le corps de sa mère, seul. Victor n'est pas là. Je crois apercevoir une larme rouler sur la joue de Jace. Pas un bruit ne vient perturber le calme de la forêt.

En espérant que ce chapitre vous plaira !

R. « Autre Monde »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant