Chapitre 7

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Je n'arrive plus à fermer les yeux depuis qu'Eloïse m'a dit que notre sortie était imminente. Ce n'est plus qu'une question d'heures avant que le directeur de la prison ne décide de donner l'ordre de nous faire évacuer. Si nous échouons, je n'ose même pas imaginé ce qui nous arrivera.

Mourir, je savais que ça risquait d'arriver bientôt. Mais mourir au combat. Mourir en soldat qui se bat pour son pays, pour sa liberté. Pas en prisonnier minable, enfermé dans un camp de concentration que des gamins pré-pubères viendront, dans quelques années, visiter avec leur école, en faisant des blagues minables sur leurs propres chambres qui sont aussi « à gaz", avec leur frère qui se lâchent sans aucune gène. Je ne voulais pas mourir comme ça. J'étais prête à mourir, mais je trouverais une autre façon. Je voulais, d'une certaine façon, mourir en héros, alors que je n'en étais pas un.

Il faut qu'on bouge. Au plus je reste immobile à ressasser en boucle ces idées dans ma tête, au moins bien j'irais. Ma prière ne met pas longtemps à être exaucée. Six gardes débarquent dans notre cellule, armés des pieds à la tête. Toutes mes convictions tombent à l'eau devant ces fusils. Jamais un groupe de rebelles comme le nôtre n'allait réussir à s'échapper. Jamais. Un garde entre tandis que le reste de la troupe reste à l'extérieur en nous toisant froidement. Je me crispe, mais les armes braquées sur moi me forcent à garder la tête froide. Il passe dans mon dos, attrape mes mains et les menotte l'une à l'autre. Mais je n'entends pas le clic caractéristique de la fermeture. Je sens qu'il glisse entre mes doigts les menottes, de façon à ce qu'on ait l'impression que je suis attachée. Mes mains moites se referment dessus, et je force mon cerveau à se calmer. Alors nous avons vraiment des alliés parmi les gardes. Combien ? Ceux-ci en font-ils tous parti ? Je ne sais pas et je sens la sueur dégouliner le long de mon dos pendant qu'il s'occupe de passer les menottes à Eloïse.

J'inspire profondément en essayant de calmer ma respiration. Alors que les gardes nous poussent dans le couloir, je sens mes jambes qui flageolent et me ressaisit. Il faut que j'arrête de faire la gamine. Je ne suis plus une enfant, c'est la guerre, moi aussi j'ai tenu une arme et s'il faut que je meurs aujourd'hui, autant mourir dans une tentative d'évasion. Les gardes nous encerclent. Deux devant, deux sur les côtés et deux derrières. Je jette un coup d'oeil en direction d'Eloïse, guettant un signe, une réaction. Elle semble tendue, mais pas autant que moi. Elle semble plus concentrée que stressée. Elle marche, fixant ses pieds. J'ai presque l'impression qu'elle compte ses pas.

Alors qu'on tourne à l'angle d'un couloir, quelqu'un m'attrape par le bras et m'envoie me cogner contre le mur. J'ai à peine le temps de me relever que déjà, Eloïse à une arme dans ses mains et deux gardes sont assommés. Alors là, je n'ai vraiment rien suivi. Tout a été beaucoup trop vite pour moi. La seule chose que je sais, c'est que le plan d'évasion à démarrer. Je laisse tomber mes menottes sur le sol, estimant que je n'en ai plus besoin. Eloïse frappe dans la main d'un des gardes, elle sourit.

-Trop facile ! Ça devient presque un jeu d'enfants.

Je suis ébahie, je ne sais même pas quoi dire. Elle s'amuse ? On dirait qu'elle vient de marquer un goal dans un match de football entre potes ! Elle ne se rend donc pas compte que nos vies sont en jeu ?
Le garde lui sourit, ils doivent se connaître.

-Tu deviens trop sûre de toi, ça te tuera Elo.

Il dit ça avec douceur, je sens qu'il doit tenir à elle. Elle lui rétorque avec un sourire encore plus large :

-Alors je mourrais avec sureté.

Cette fille est folle, c'est décidé. La garde secoue la tête, dépité mais toujours souriant. J'observe les hommes autour de moi. Les gardes qu'ils ont assommé étaient plutôt bien bâti, ils doivent avoir beaucoup de force. Pourtant les gens qui m'entourent ne m'ont pas l'air d'armoires à glace. Je vois clairement, sous leurs uniformes, des muscles fins se dessiner. Mais il est clair qu'ils ne font pas de la gonflette pour le plaisir des yeux. Il reste quatre gardes debout, Eloïse et moi. Le garde qui a parlé avec Eloïse doit approché de la quarantaine. Il a des rides aux coins des yeux quand il sourit, et je ne sais pas pourquoi, mais il me semble immédiatement agréable.

Les autres ont plus au moins la même physionomie. Ils sont tous les trois assez grand, seul leurs cheveux changent de couleur. Il y a deux bruns et un blond. Un des bruns me fait un peu penser à Jace. Je remarque qu'il a les mêmes yeux noisettes que lui et la même façon de se tenir légèrement voûté. Pourtant, son expression est plus douce que celle de Jace. Quand je le regarde lui, je n'ai pas l'impression qu'il me déteste. Le garde qui semble être ami avec Eloïse remarque enfin ma présence. Il me tend sa main, que je sers faiblement. Je ne suis pas vraiment dans mon assiette, et le fait qu'on soit au milieu d'une prison en Ukraine me rend quelque peu nerveuse. Il se retourne vers Eloïse :

-Une nouvelle recrue ?

Eloïse me regarde avec un sourire en coin. Je me demande ce qui provoque ce petit sourire.

-Disons qu'elle nous a un peu forcer la main. Elle n'est au courant de presque rien, il faudra lui expliquer. Je comptais un peu sur ton aide.

Le garde sourit en me regardant. Il a l'air ravi à l'idée que je fasse partie de leur groupe, quel qu'il soit.

-Bienvenue à toi ! Je me ferais un plaisir de t'instruire ! Eloïse me doit à peu près tout ce qu'elle sait.

Eloïse lui donne un coup dans les cotes avec son arme. Il rigole quand un autre garde les rappelle à l'orde.

-Il faut qu'on sorte d'ici.

C'est le blond qui a parlé, il ne semble pas aussi à l'aise que les autres. Je vois une fine pellicule de transpiration recouvrir son front. Je remarque qu'il déglutit beaucoup plus que les autres. Je sais que c'est un symbole de stress ; quand quelqu'un déglutit trop souvent, c'est qu'il est tendu, qu'il a peur ou quelque chose à se reprocher. Le garde plus âgé fronce les sourcils. Lui aussi a remarqué le malaise du garde.

-Ne panique pas Steven, on a déjà fait ça des dizaines de fois. Tout ce passera bien si personne ne panique.

Il se tourne pour s'adresser à moi.

-Je suppose que tu ne comprends pas grand chose à ce qui se passe. Contente toi de rester entre Eloïse et moi, d'accord ?

C'est bien la première fois qu'on me demande mon avis.

-D'accord.

Je suis tellement stressée que ma voix ressemble à un couinement. Le garde essaye de me rassurer.

-Ne t'inquiète pas, tout ira bien.

J'hoche la tête, essayant de paraitre plus sûre de moi que je ne le suis. Il a l'air satisfait car il se retourne et se met en marche dans le couloir en faisant signe de la main aux autres gardes.

Ils reprennent immédiatement leurs positions et se remettent en route. Peut-être qu'en effet, je n'ai pas de souci à me faire. En les suivant dans le couloir, je me rends compte que c'est une machine plutôt bien huilée. Chacun connait sa position, les gardes de devant se chargent de vérifier chaque croisement avant de nous faire signe d'avancer. Je n'ai même pas l'impression de les déranger, le groupe s'est naturellement adapté à moi.

Je fais parti de l'équipe maintenant.

R. « Autre Monde »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant