Chapitre 22

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Personne n'a voulu me dire où était passée Murder. C'est comme si elle avait tout simplement disparu. Je supplie Jace de m'en dire plus mais il reste de marbre, faisant comme si je n'avais jamais posé la question. Il semble ailleurs depuis l'enterrement de sa mère. Il a choisi de ne pas nous accompagner vers Miasterrae et je suppose que c'est mieux ainsi. Pourtant je commençais à m'attacher à lui malgré son caractère de cochon.

J'interroge Victor, dans l'espoir d'avoir enfin une réponse concrète.

-Où est-elle ? S'il-vous-plait je voudrais juste la voir une dernière fois. Je ne peux pas partir comme ça.

Il me regarde tristement, je vois de la pitié dans son regard.

-Suis-moi.

Je lui emboite le pas à travers de nombreux couloirs et me rends compte que je serai à nouveau incapable de faire le chemin inverse. Je n'ai aucun sens de l'orientation.
La porte devant laquelle nous arrivons est scellée par un boitier de sécurité. Victor tape le code et s'efface pour me laisser entrer. Alors que je m'apprête à pousser la porte, il me retient par le bras.

-Je suis sincèrement désolé.

Je secoue la tête, refusant de comprendre. Je m'avance et suis surprise par la fraicheur de la pièce.
« Comme dans un frigo. » C'est la seule pensée qui me traverse l'esprit avant que j'aperçoive les corps. Certains semblent juste endormis alors que d'autres sont affreusement mutilés. Je crois voir des griffes au bout des mains d'un homme. Leur nudité me gêne, ces corps sans vie n'ont plus aucune dignité.

Alors je l'aperçois. Allongée sur une table en métal, froide, morte. Je n'ose plus bouger, mon corps ne réagit plus. Si je m'avance, si je la touche, cela ne fera que rendre cette réalité plus concrète. Elle n'a plus de sang sur le corps mais j'aperçois encore des croutes sur ses mains et son crâne.

-Mes condoléances.

Victor reste derrière moi, il attend. Quoi d'ailleurs ? Que je craque ? Que je me mette à hurler ? À pleurer ? Je n'arrive pas à admettre ce que je vois. C'est tout simplement impossible. Cette chose l'a tuée. Cette chose que j'ai moi aussi dans la nuque. Je suis prise d'une envie folle de me gratter là où ils ont inséré la puce, mais je me retiens.

-Je pourrais avoir un bac d'eau et un torchon ?

Si ma question le surprend, il n'en montre rien. Je le vois s'éloigner dans un coin de la pièce tandis que je reste immobile, le regard fixé sur le cadavre de Murder.

Malgré le fait qu'elle s'efforçait de ressembler à un garçon, elle a un vrai corps de femme. Je m'aperçois alors qu'en plus de son crâne, son corps est également tatoué. De nombreuses arabesques descendent le long de sa poitrine pour venir s'enrouler autour de son nombril. C'est une véritable oeuvre d'art.

J'attrape le seau que me tend Victor et m'approche enfin de Murder. Je commence par laver son crâne, délicatement, comme si je risquais de lui faire mal. Peu à peu, je prends de l'assurance. Je m'attaque à ses épaules, bien qu'elles ne soient pas couvertes de sang. Je veux la laver de cet endroit. Sa peau est froide mais l'eau tiède la réchauffe. Je m'attelle à ma tâche comme un robot qu'on a programmé. J'essaye de ne pas penser à ce que je fais, sinon je risque de craquer. Mes larmes se mélangent à l'eau du seau et des sanglots entrecoupés m'échappent. Je me laisse aller à ma tristesse, sachant qu'après je n'en aurais plus l'occasion. C'est souvent dans ces moments-là qu'on repense à tout ce qui ne va pas dans notre vie. Je pense à mes parents, à cette guerre, à Jace, à sa maman, je pense à tous les morts qui se trouvent dans cette pièce.

Mes larmes ne s'arrêtent plus de couler et je continue à frotter le corps de ce qui s'est la plus approché d'une amie. Je pourrais m'écrouler mais je ne le fais pas. Murder mérite ce dernier hommage. C'est tout ce que j'ai à lui offrir. La dernière chose que je peux lui offrir.
De mes larmes, j'efface les choses horribles de sa vie, j'efface la souffrance.
Lorsque j'aurai fini ma tâche, plus une larme ne s'écoulera de mes yeux.

***

La douleur de l'aiguille qui transperce ma peau me fait du bien. Je détends mes muscles pour accepter la douleur et ce qui vient avec elle. On peut dire que j'ai pris cette décision sur un coup de tête, mais je ne la regretterai pas. Le peu de temps qu'il me reste avant le départ au petit matin a obligé Tony à simplifier le tatouage. Des arabesques qui partent de l'endroit où on m'a inséré la puce et qui s'enroulent sur mon épaule. Il ne m'a posé aucune question sur le pourquoi de ce tatouage, il s'est immédiatement mis au travail. Mes yeux doivent encore être injecté de sang, je dois avoir une tête à faire peur. Lorsque Tony s'approche de là où se trouve la puce, je ne peux pas m'empêcher de tressaillir. Je reçois alors une claque sur la tête, aussi violente qu'inattendue.

-Ne bouge pas, tu vas gâcher mon travail.

Il a insisté sur le « mon », comme si ce n'était pas ma peau qu'on était en train de tatouer.
Je me détends et essaye de penser à autre chose. Je vois encore le phénix enfermé dans sa cage. Soudain, je me demande si cette bête ne mériterait pas d'être en liberté.

-Voilà beauté ! Je te mets un pansement et tu es libre comme l'air. Fais attention à ce que ça ne s'infecte pas durant le voyage.

Je renfile mon t-shirt et me retourne vers Tony.

-Comment vous remercier ?

-Taille-moi une pipe.

Je reste bloquée, choquée. Il n'est quand même pas sérieux ?

-Je plaisante ma grande ! Contente-toi de rester en vie, ça me fera plaisir. Et repasse un de ces quatre. Je serais ravi de tatouer le reste de ton corps.

L'allusion ne m'échappe pas et je prends congé, rouge comme une tomate. Ce nain ne manque décidément pas de culot ! Il aura au moins eu le mérite de me faire rire.

Je grimpe dans l'alcôve des novices pour attraper quelques vêtements et ce dont j'ai besoin pour le voyage. Mon épaule, qui avait été blessée à cause de la balle du novice, qui voulait tuer Murder, ne me fait presque plus souffrir. Je ris jaune en pensant qu'il aura eu ce qu'il voulait.
Descendre avec tout mon matériel s'avère plus laborieux que prévu. Je lance mon sac pour être plus libre de mes mouvements. La descente ne me prend que quelques secondes.

-Il faudra que tu t'habitues à avoir cette chose sur le dos.

Je sursaute et me tourne vers Jace. Il tient mon sac à dos et me le tend.

-Je m'y ferai.

Nous restons immobiles l'un devant l'autre. Je sais que je dois lui dire en revoir. Je ne le verrais peut-être jamais plus.

-Donc...

-Oui.

Ce sont sans doute les pires adieux que j'ai jamais entendu et je suis étonnée de voir que lui aussi est mal à l'aise.
Dans un élan d'émotion, je me précipite contre lui et le sert dans mes bras. Je le repousse aussi vite que je l'ai attrapé mais cela a suffi à nous rapprocher.
Il me sourit peut-être pour la première fois.

-Fais attention à toi mauviette. Et ne laisse pas Stan faire trop de bêtises d'accord ?

-Promis. Prends soin de toi.

Son sourire s'élargit un peu plus. Je me surprends à penser qu'il est beau quand il sourit comme ça.

-Ils m'ont appelé l'increvable. Ne t'inquiète pas pour moi.

Il me caresse la joue, si légèrement que je pourrais croire qu'il ne m'a pas touché.
Je le regarde s'éloigner à travers le hangar.
« Même le Titanic a coulé. »
Sur cette pensée, je cours rejoindre le groupe de novices qui se préparent au départ. Depuis que Murder n'est plus là, ils ne font plus attention à moi. Je ne suis pas une menace. C'est comme si je n'existais pas. Et quelque part, je préfère ça.

-Prête ?

Eloïse se tient à côté de moi, droite comme un i.

-J'ai hâte de te voir en action petit coeur.

Stan apparait à ma gauche. Je pourrais presque les considérer comme des amis, et je sais que c'est une erreur.
Victor, Nikita et Karl ouvrent le chemin, alors que je le ferme avec Stan et Eloïse. Le beau blond parait aussi joyeux qu'à son habitude.

Avec ce genre de compagnons, tout pourrait arriver.

En espérant que ce chapitre vous plaira ! N'hésitez pas à me donner votre avis !

R. « Autre Monde »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant