Chapitre 10

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Je n'avais jamais vu à quoi ressemblait l'Ukraine. Et aujourd'hui, après avoir traversé une ville ukrainienne, je n'ai toujours pas l'impression de connaitre ce pays.

Puis-je d'ailleurs encore parler d'une ville ? Les peu de bâtiments qui tiennent debout sont, pour la plupart, vides et abandonnés. Les gens que nous croisons sur le bord des routes sont à moitié morts, et j'exagère à peine. S'ils étaient assez forts pour tenir une arme, on les aurait déjà recrutés. Mais faibles comme ils sont, leur destin est de mourir sur le bord du trottoir.

Au plus j'en apprends sur cette guerre, au plus je la déteste. Elle et tous les commanditaires qui, assis dans leurs fauteuils de velours, une cuillère en argent dans la bouche, envoient des milliers de personnes à la mort chaque jour. Et le pire dans tout ça ? J'ai l'impression qu'ils prennent un malin plaisir à faire durer cette guerre. Les armes à feu, oui. Mais les bombes et missiles, hors de question. C'est « inhumain » selon eux. Et leur guerre ? Elle n'est pas inhumaine, elle ? J'ai l'impression d'être retournée des années en arrière. Nous sommes destinés à nous entretuer sur le sol.

La voiture fait de violents bonds à chaque trou dans la route. J'essaye de ne pas tomber de mon siège, je m'accroche à l'arme qu'on m'a donnée. C'est un signe de confiance je suppose. Mes voisins sont collés à moi, je me sens étouffée par toute cette testostérone. J'aperçois à travers la vitre les immeubles qui encadrent la route. Où m'emmènent-ils ? J'ai l'impression d'avoir été prise en otage.

Le garde plus âgé conduit et Eloïse occupe la place du mort. Moi je suis au milieu du siège arrière et deux gardes m'entourent. Je n'ose pas les regarder. Où est passé Jace ? Je n'ai pas vu d'autres voitures. Serait-il resté à la prison ? Etonnement, je suis mal à l'aise à l'idée qu'il ne soit pas là. C'est ridicule, je devrais me contenter de faire confiance à Eloïse, elle ne me traite pas comme une moins que rien, elle. Malgré ça, je n'arrive pas à effacer les paroles de Jace. Elles tournent en boucles dans ma tête et m'empêchent d'être sereine.

Après plusieurs secondes d'hésitation, j'ose enfin me lancer et poser la question qui me taraude.

-Où allons-nous ?

Les gardes à côté de moi ne réagissent même pas. Eloïse me lance un coup d'oeil avant de regarder le conducteur. Ils échangent un regard et se mettent d'accord en silence. Elle se retourne vers moi pour me répondre.

-Nous avons une base en Suisse. Une fois là-bas, nous pourrons te donner plus d'informations.

Elle s'apprête à se retourner mais je la retiens.

-Comment comptez-vous traverser la frontière ? Jamais ils ne laisseront une voiture pleine de prisonniers passer.

Un sourire en coin étire ses lèvres. Elle a un plan, je le vois dans ses yeux. J'aimerais seulement savoir en quoi il consiste.

-Ne t'inquiète pas Jude, tu ne risques presque plus rien.

Je suis terrifiée par l'inconnu. L'inconnu a toujours été la plus grande source d'angoisse pour l'être humain, et je ne fais pas exception à la règle. Alors j'insiste :

-Eloïse s'il te plait. Je tiens avec vous, tu le sais. Dis-moi au moins comment tu comptes nous emmener là-bas.

Je sens que je l'énerve, qu'elle aimerait que je la laisse tranquille ou que je pose mes questions à quelqu'un d'autre. Mais c'est elle que le destin a choisi pour être ma camarade de cellule, que voulez-vous ? C'est la seule personne à qui je fasse un tant soit peu confiance et je ne veux les réponses de personne d'autre.

-Nous prendrons un avion. Karl connait une personne qui nous infiltrera dans un appareil de ravitaillement, direction la Suisse. Tu as juste à profiter du voyage.

Je ne peux retenir un léger ricanement. Sérieusement ? D'accord alors je n'ai plus qu'à me détendre. Si je continue à insister, quelqu'un dans cette voiture finira par me frapper. Eloïse me lance un regard d'avertissement avant de se concentrer sur la route. Je dois me taire, j'ai compris.

Je réfléchis à l'identité de ce fameux « Karl ». Ça peut être un des gardes comme ça peut être un homme que je n'ai pas encore rencontré. Je ne connais pas le prénom de mes sauveurs mais je n'ose pas demander. Je sens que ce n'est pas le bon moment. Dois-je rester éveillée ? Je cherche encore une réponse à cette question quand je sens mes yeux se fermer. L'adrénaline redescendue, mon corps m'annonce qu'il a besoin de repos. J'entends un caillou cogner contre la voiture avant de sombrer dans le néant.

                             ***

J'aurais pu faire des rêves absolument abominables. J'ai tué des gens. Je me suis évadée d'une prison. J'ai eu la conversation la plus étrange avec Jace. Je suis avec des parfaits inconnus qui, je l'avoue, me font un peu peur. Et pourtant j'ai rêvé de ma mère.

Ma maman à laquelle je m'étais forcée de ne pas penser jusqu'à maintenant. J'ai rêvé de ce jour d'octobre absolument banal. Ce matin où je me suis réveillée et suis descendue dans la cuisine. Ma maman avait mis la machine à café en route. Je n'avais jamais aimé le café et pourtant j'y avais droit chaque matin. Je m'étais allongée dans le canapé et avais fermé les yeux. Ma maman m'avait rejointe et s'était couchée à mes côtés. Elle m'avait caressé le bras de haut en bas avec la délicatesse d'une mère qui touche son enfant. Il n'y a pas plus banale comme scène. Pourtant en me réveillant, j'ai senti une larme couler sur ma joue. Jamais plus je ne partagerai un moment comme celui-là avec ma maman. Jamais plus je ne boirais mon café le matin en me réveillant en compagnie de mon père.

Elle me manque. Pour la première fois peut-être, ma mère me manque. Je sens les larmes couler sur mes joues et je me sens ridicule. Ce n'est pas le moment de faiblir. Je finirai par les revoir, j'en suis certaine. Ou du moins, je m'accroche à ce dernier espoir. Que me reste-t-il d'autre ? J'observe les gardes à la dérobé et sèche mes larmes. Ils ne me regardent pas, plongés dans leurs réflexions. Heureusement, je ne pleure devant personne. Je déteste ça.

Le soleil brille même si quelques nuages gâchent le paysage. Je tente d'apercevoir l'heure sur le tableau de bord. Il est éteint. C'est très étrange. Comment est-ce possible ? Quand on tourne la clé... J'observe plus attentivement et comprend enfin. Ils n'ont jamais mis la clé ! Ils ont démarré la voiture en la bidouillant. Une voiture volée ? Est-ce vraiment important par ces temps-ci ? J'essaye de me faire toute petite sur mon siège et d'arrêter mon cerveau. Je sens les routes devenir de plus en plus lisses et au bout d'un moment, j'ose enfin relever la tête. Nous ne sommes plus dans une ville. Il n'y a que des champs autour de nous. Et droit devant nous, un bâtiment immense. J'essaye de faire descendre la boule qui se crée dans ma gorge. Est-ce que tout est vraiment sûr ? Et si quelque chose se passait mal et qu'on nous descendait ? Tout ça pour rien.

Impossible, tout ira bien. Je sens le pendentif de Jace contre ma poitrine. Les complications commenceront quand j'arriverai à destination.   

J'espère que ce chapitre vous plaira ! Je sais, c'est quelque peu frustrant, mais ne vous inquiétez pas ! Je ferais en sorte que les prochains chapitres répondent à vos questions ;)
Plein de bisous ! Merci pour les petites étoiles et à très vite :)

R. « Autre Monde »Où les histoires vivent. Découvrez maintenant