VI bis

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- Oh ciel, ce qu'il peut faire froid dans ce château... se plaignit Mme de Marquet qui tentait de se réchauffer auprès de la cheminée de son salon

La nuit était tombée depuis bien longtemps mais la jeune femme peinait à trouver le sommeil.

Depuis le retour de son époux toutes ses émotions étaient comme chamboulées. Ils ne s'étaient point reparler depuis leur altercation. Néanmoins la ténébreuse ressentait souvent une présence la traquant lorsqu'elle se déplaçait et traversait les couloirs.

Elle avait pris, durant ces derniers jours, grand soin que lui et M. Böttger ne se rencontrèrent pas. De toute manière son compagnon devait tantôt quitter la résidence, cette mascarade allait enfin cesser.

Habillée d'une fine chemine et d'un peignoir couleur ocre, Charlotte s'amusait à tourner certaines mèches de ses cheveux autour de ses doigts.

Mme de Marquet n'était point une femme resplendissante mais plutôt quelconque. Son visage ne possédait cependant aucune disgrâce, mais il restait très simple. Ce qui changeait tout, c'était son regard, aussi noir que les plumes d'un corbeau, il ne pouvait laisser de marbre. Mme de Marquet dégageait une aura intense et pleine de sensualité.

Les flammes dansaient en se tordant dans un mouvement ondulatoire. La jeune femme les regardait encore et encore sans se lasser. Cela lui rappelait les bals auxquels elle avait assisté dix ans auparavant. Elle se souvenait du grincement des cordes résonnant dans les magnifiques salons ornés de tapisseries et de tableaux tous plus merveilleux les uns que les autres. Versailles était à son apogée, le palais des splendeurs et où aucun artifice n'était de trop. Tout était trop beau à ses yeux et irréel, un irréel charmant mais si déroutant que les vertiges l'attaquaient souvent. Elle ne regrettait nullement d'avoir fui son couvent. La vie de cour lui avait plu et elle était certaine que si elle y était restée, elle aurait acquis une bonne notoriété.

- Vous ne dormez point non plus ? demanda une puissante voix située derrière elle

- J'aime entendre crépir les flammes... répondit-elle doucement

Elle n'eut pas même le besoin de se retourner, elle savait déjà de qui il s'agissait.

- Et vous, que faîtes-vous encore éveillé ? questionna-t-elle à son tour

M. Böttger s'installa près d'elle et à l'aide d'un bâton rependit les quelques bûches brûlant encore.

- Je songeais...

Mme de Marquet fut surprise. Habituellement, ses paroles émanaient un air joyeux or il semblait très voire trop calme.

- Je crains devoir bientôt m'absenter... informa le jeune homme brisant ainsi un long silence

Charlotte ne pipa pas un mot et se contenta de lui lancer un regard plein d'interrogations. Il reprit :

- Sous vos conseils j'ai échangé quelques lettres avec mon épouse, elle aimerait me revoir. J'envisage de regagner la Saxe très prochainement. Cela ne prendra qu'un mois et pas un jour de plus.

La maîtresse du château se releva et lui fit face. Elle gardait une expression neutre mais au fond d'elle, elle se sentait meurtrie. Elle s'était attachée à cet alchimiste, avec le temps il était devenu pour elle un confident. Un mois, cela lui paraissait fort long. Charlotte se moquait bien d'être égoïste, elle voulait qu'il restât près d'elle.

- Vous ne pouvez partir si longtemps... lâcha-t-elle assez sèchement

- Le temps de voyage est de douze jours juste pour l'allée, comment faire autrement ?

Prodigieux Souvenirs [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant