XIV) Anéantie

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C'est ça ma belle, fuis ! Dorénavant, tu devras apprendre à régler tes problèmes sans moi, car je vais consacrer mon temps à ma future femme.

Mon sang se fige dans mes artères. Mon cœur oublie de battre. Mes poumons se cristallisent. Seuls mes yeux fonctionnent et pour cause, ils déversent une rivière de larmes sur le parquet vitrifié.

— Pardon ?

C'est l'incompréhension totale. Je l'interroge d'une voix anéantie, mon regard humide droit dans le sien. Il amorce un mouvement tendre de la main vers moi, puis pour je ne sais quelle raison, se ravise et réajuste son masque d'insensibilité.

  — Oui, je vais demander la main de Millie. Elle est belle, intelligente et je ne te parle même pas de ses capacités au lit.

Il me toise comme s'il me méprisait et un affreux rictus diabolise son visage habituellement si charmant. Chaque mot qui sort de sa bouche me poignarde la poitrine. J'ai mal, je me sens mal... Je veux gonfler mes poumons,mais je n'y arrive plus. Je n'entends plus Théo, la pièce tourne autour de moi. Je tends la main pour me raccrocher au meuble bas, seulement mes jambes se dérobent.

***

Ma tête ! Machinalement je passe mes doigts dessus et je sens poindre une grosse bosse. Théo tamponne un coton sur mon arcade sourcilière, j'ai mal, mais je n'ose pas le lui dire. Je le regarde juste et je m'étonne de voir ses yeux rougis et gonflés. Peut-être a-t-il des remords sur son comportement envers moi ?

  — Bon, je pense que tu n'auras pas besoin de points de sutures, mais tu risques d'avoir un beau coquard.

Pas l'ombre de tendresse dans sa voix. Son indifférence me blesse encore plus que mes souffrances physiques.

 — Mais Théo, tu connais à peine cette fille et en plus, elle n'est pas du tout faite pour toi, c'est une s...

  — Arrête ça tout de suite ! Tu ne l'insultes pas, c'est clair ? Hurle-t-il.

Rendez-moi mon ami ! Pitié, rendez-le moi. Quelle mouche l'a piqué bon sang !

  — Tu vas faire une bêtise et tu le sais très bien. Ce que je ne comprends pas, c'est pourquoi ?

  — Je n'ai pas à te l'expliquer.

  — Mais, on est ami et...

  — Non ! Depuis notre dérapage, le jour de ton anniversaire, mon existence est un véritable enfer. Je veux que tu sortes de ma vie et pour toujours.

Je me redresse du canapé où il m'avait installé après mon malaise et scrute son regard pour y lire une lueur d'espoir. Le vide, le néant, voilà ce que j'y lis. Dans un geste de désespoir, voir de folie, j'empoigne son visage avec rage et lui embrasse la bouche fougueusement. Sa réaction m'assène le coup de grâce. Il me mord comme s'il était atteint de la rage. Ma lèvre éclate sous ses crocs et mes cris de douleur me percent presque les tympans. Je m'enfuis en courant, tout en comprimant ma blessure avec la manche de mon pull. Je dévale les escaliers, trébuche, pleure, renifle, psalmodie des morceaux de phrases compréhensibles que par moi-même. Je marche des minutes, des heures peut-être. Il fait nuit, je suis frigorifiée et par-dessus tout, j'ai peur. Peur de l'inconnu, peur de demain, peur de l'abandon. Comment une vie bien construite peut-elle s'écrouler en si peu de temps ? Je n'ai pas envie de rentrer chez moi, pas plus chez mon père et encore moi chez Gabriel. Je vois alors un petit sas d'un distributeur de banque, je m'y installe et je réfléchis à ce qui vient de se passer jusqu'à ne plus réussir à tenir mes paupières ouvertes.

***

  — Je te dis que c'est une clocharde !

  — Mais non Paul, elle a dû s'endormir en attendant un copain.

Les hypothèses verbalisées sur ma personne par deux ados me tirent de mon sommeil. Je relève la tête vers eux et mon visage tuméfié les horrifie. Ils détalent en hurlant.

  — Tu vois que j'avais raison ! T'as vu sa gueule ?

Oh, je ne leur en veux pas. Je dois très certainement faire peur à voir. Maintenant que le jour a enfin décidé de se lever, je retourne chez moi d'un pas lourd. À peine mes chaussons enfilés, mon portable m'indique un message.

Ta voiture est toujours devant chez moi. Tu es bien rentrée ?

Tiens, il me fiche dehors et maintenant il va me faire croire qu'il s'inquiète. Il peut toujours rêver que je lui réponde. Tu veux que je sorte de ta vie mon gars et bien voilà chose faite.

Sur ce, je me dirige vers la salle de bains pour évaluer les dégâts. Bon sang ! Je ressemble à Éléphant Man ! Après tout, l'extérieur est autant dévasté que l'intérieur. On peut dire que mon image est en accord avec mon état d'âme. Je me débarrasse avec plaisir de mes vêtements souillés et me glisse sous la douche. L'eau me picote sur mes éraflures, mais je l'accueille tout de même avec plaisir. Je ferme les yeux, ne pense plus à rien et vide mon ballon d'eau chaude pour me relaxer. Puis, une fois séchée, j'enfile une nuisette,ferme les volets et me glisse sous la couette. J'ose espérer qu'après quelques vraies heures de repos, tout me semblera plus rose.

Une sonnerie incessante me tire du lit. C'est Gabriel et il y a dix appels manqués sur mon portable. Je ne réponds pas, car je n'ai envie de parler à personne. 23 h 00 s'affiche sur ma montre. Je n'ai ni faim, ni soif, alors pour éviter de trop cogiter, j'allume la télévision et zappe d'une chaîne à l'autre pendant des heures.

Mon réveil indique 10 h 00. Tiens... une nouvelle journée !

Je n'ai pas envie d'ouvrir les volets et encore moins d'aller ouvrir la porte à la personne qui y tambourine depuis quelques minutes. J'entends pourtant la voix inquiète de Gabriel, mais rien à faire, mon corps ne veut plus avancer. De toute façon, il va bien finir par lâcher l'affaire comme tous les autres dans ma vie. Je me résigne à croire que si l'on m'abandonne tout le temps, c'est que je ne mérite pas que l'on s'attache à moi. C'est vrai, après tout, mon sale caractère est insupportable, alors pourquoi s'encombrer d'un boulet comme moi ? Je n'ai qu'une seule et unique envie à l'instant présent, dormir pour oublier. Je me laisse donc flotter vers de doux rêves.

***

Théo ? Je l'entends d'une voix feutrée, comme loin de moi. Il se dispute avec... Gabriel. Des sacs de sable doivent être accrochés à mes paupières, car j'ai un mal de chien à les ouvrir. À force de lutter, je parviens à les distinguer en plein échange houleux, tempéré par Marcus et mon père.

Papou, que fait-il ici ? Mais où suis-je d'ailleurs ?

  — Elle ouvre les yeux ! Annonce le garde du corps.

Une main fraîche que je reconnaîtrais entre mille se pose sur ma joue.

  — Je devenais fou de ne pas savoir où tu étais, murmure Gabriel.

  — Mais qu'est-ce que je fais dans une chambre d'hôpital ?

  — Nous t'avons cherché pendant trois jours et c'est Théo qui a ouvert ton appartement pour vérifié si tu t'y trouvais. Tu ne te réveillais pas, alors il t'a emmené ici. Tu étais déshydratée et le médecin nous a parlé de burn-out.

J'ose jeter un regard à Théo et son visage ne ressemble en rien à celui qu'il m'avait montré la dernière fois. Il parait sincèrement soucieux pour moi, ce qui bizarrement me donne un peu de baume au cœur. Puis, mon père s'approche et mes bras se tendent aussitôt vers lui. Sa force et son amour si précieux vont m'aider à passer cette mauvaise période. J'en profite pour leur raconter mes mésaventures professionnelles. Bien évidemment, mon père me rassure en me certifiant qu'il va m'épauler financièrement le temps que je retrouve un job. Le cœur un peu plus léger, je souhaite entendre quelques mots de la bouche de Théo, mais je m'aperçois avec désolation qu'il ne se trouve plus dans la chambre.

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Coucou ☺

Comme la fin de mon dernier chapitre était vilaine, je vous donne rapidement la suite. ;)

Bisous et à bientôt !

Entrée dans la nuit (Terminé ) (Protégé par copyright)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant