XLII) Le temps n'efface pas tout

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— Moi, je suis contente de pouvoir enfin mettre un visage sur ma tante aux deux facettes.

Pardon ? Mais que veut-elle dire par-là ? Il y a anguille sous roche et j'ai peur de remuer la vase pour m'éclairer.

— J'ai peur de ne pas saisir le sens de ta phrase Mélissa.

— Oh... Ne t'inquiète pas tante Paola, papa va t'expliquer tout ça sans problème, rétorque-t-elle avant de quitter le bar sous prétexte que le plus beau garçon du collège l'attend devant le cinéma depuis bientôt une demi-heure.

Flavio hausse les épaules pour m'indiquer qu'il n'est pas complice de la fuite calculée de sa fille.

S'il croit qu'il va s'en tirer à si bon compte, c'est qu'il a oublié quelle fille tenace je suis.

— C'est quoi cette histoire sur ma double personnalité ? M'énervè-je.

Il sourit et de surcroît, pense que le moment est bien choisi pour faire un trait d'humour.

— Si encore tu n'en avais que deux, s'esclaffe-t-il.

À l'audition du comique de l'année : recalé !

— Et tu te trouves drôle peut-être ?

Alors ? Accouche ! Et je t'interdis de renchérir par une quelconque blague carambar, ronchonné-je.

Bon sang, mais va-t-il arrêter de me regarder avec des yeux remplis d'étoiles. Il ressemble à un bambin au paradis des bonbons.

Je ne suis pas CO.ME.STIBLE !

Ça m'agace. Mais, pour être honnête, ce qui m'irrite le plus c'est de le trouver aussi charmant.

— OK, OK ma puce, je capitule et je vais tout t'expliquer, dit-il en masquant sa figure à l'aide de ses mains, pour mimer un geste de protection.

Vous comprendrez que je passe sur le surnom intime qu'il me donne, sinon on risque d'y passer la nuit.

Il tripote durant de longues secondes, le sachet de sucre posé sur la soucoupe de café que le serveur vient de déposer sur la table, histoire de faire durer le suspense ou de tenter de me faire sortir de mes gonds.

Bingo !

— Bon, tu le prends avec ou sans sucre ton café ? Qu'on en finisse bordel !

À peine mon coup de gueule poussé, je mesure l'absurdité de mon énervement. Flavio lui, reste estomaqué par ma réaction impulsive.

— Excuse-moi Flavio. La phrase de ta fille a réveillé en moi des souvenirs du passé qui apparemment ne sont pas totalement cicatrisés.

Son visage se détend et moi je souffle pour reprendre contenance.

— Tu me rassures. Je pensais que... c'était ma présence qui te mettait dans un tel état nerveux.

Oh non Flav... pas le regard de chien battu. Tu sais à quel point il me fait craquer.

Théo, Théo, Théo.

Voilà. Penser à mon mari et tout va rentrer dans l'ordre.

— Tu plaisantes j'espère ? Pas du tout. Je suis ravie de revoir un vieil ami.

Outch ! Celle-là, elle vient de lui transpercer le cœur.

Désolée Flavio, mais je devais recadrer la situation avant qu'elle ne dérive.

Il reste figé un instant, juste le temps de digérer le plomb que je viens de lui envoyer sans crier gare. Puis, progressivement, le sang colore de nouveau son teint, ses cils reprennent leurs va-et-vient et sa respiration se débloque.

— Mél a grandi avec deux sons de cloches te concernant. Ta sœur crachait son venin dès qu'elle prononçait ton prénom et moi... je ne tarissais pas d'éloges à ton égard.

Il ancre ses yeux dans les miens et je sens une masse douce et chaude se poser sur ma main.

— Je t'aime Paola. Je t'aime, je t'ai toujours aimé et je n'aimerais que toi. Quand je regarde ma fille, souvent je rêve que c'est avec toi que je l'ai eu. Elle te ressemble tellement, si tu savais. Elle n'a rien hérité de sa mère, heureusement. Elle a ton sourire, ta fièvre de manger la vie, ta façon d'embarquer les gens lorsque tu ouvres la bouche, ton aisance corporelle et...pardessus tout, elle est merveilleusement belle, comme tu l'es malgré les années passées. Le temps n'a eu aucune incidence sur ton grain de peau, sur tes courbes, sur ton odeur sucrée qui me rend fou, sur l'amour déraisonné que j'ai pour toi.

Et là, comment voulez-vous que je réagisse ?

Je pleure.

Merde, ça fait mal de le voir souffrir autant et de se sentir responsable de son état.

Je sais pertinemment que c'est la vie, la vraie responsable de cette situation, mais je ne peux m'empêcher de me dire, que s'il avait été égoïste le jour de notre mariage, eh bien j'aurais dit « oui » et lui, ne serait pas malheureux.

Moi, si...

Délicatement je retire ma main de sous la sienne et j'essuie mes larmes.

— Flavio. Je suis tellement désolée. Je...

Il pose deux doigts sur mes lèvres en même temps qu'une larme s'échappe de son œil.

— Non Paola. Non, s'il te plaît ne dit rien. Je suis ta vie dans l'ombre depuis toutes ces années. Tu es heureuse. Être maman te va si bien. Je déteste Théo pour la chance qu'il a d'avoir ton amour chaque jour,mais je le remercie tout autant pour la joie qu'il greffe sur ton visage. Non s'il te plaît Paola, ne dit rien.

La pulpe de ses doigts laisse un courant d'air froid lorsqu'elle quitte mes lèvres.

Je ne contrôle plus le flot qui se déverse sur mes joues. Ma lèvre inférieure tressaute, mais avant qu'un son passe la paroi de ma bouche, Flavio se ressaisit et poursuit son explication sur mes deux faces cachées.

— Je te rassure. Mél n'a pas eu l'occasion d'entendre une majorité de méchancetés sur ton compte. Sarah ne s'occupe quasiment jamais d'elle et d'ailleurs, dès sa naissance, elle a souhaité que Mélissa vive sous mon toit. Ma fille s'est identifiée à toi depuis son plus jeune âge. Je sais, certain trouverait cela malsain, mais que voulais-tu que je fasse d'autre ? Fallait-il que je lui donne une diablesse en exemple féminin ou la douceur de sa tante ? J'avoue que ce choix me permettait de te garder un peu près de moi.

Je ne sais plus quoi penser.

Je bois lentement mon café refroidi, frictionne mon visage comme pour sortir d'un mauvais rêve et d'une voix lasse, prends congé de Flavio en lui expliquant que j'ai besoin d'un peu de temps pour analyser toutes ses confidences.

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Bonsoir vous !

Que pensez-vous de cette rencontre ?

Mais surtout, que va penser Théo de cette entrevue dans son dos ?

Bisous mes chouchous et à très vite

Entrée dans la nuit (Terminé ) (Protégé par copyright)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant