Chapitre 10 - Elwin

121 24 15
                                    

J'avais passé deux longues journées avec Finlah comme seul compagnie, sans revoir Marie la Reine, Sushi, Orange et Mario Bros. Ils n'avaient pas insisté pour me revoir, personne n'avait refait son apparition dans le conduit, et je n'étais pas retourné dans la salle. Là, tout de suite, j'étais sous la douche, ma première en trois jours. Je n'avais pas le droit à plus, car il fallait que Finlah soit dans la pièce d'à côté pour s'assurer que je n'essayais pas de me noyer, ce que je trouvais vraiment stupide, avant de poser la question à Finlah et qu'il m'assure que deux personnes s'étaient déjà noyées dans leurs bains, ici.

En sortant de la douche, après m'être mis de nouveaux vêtements, toujours aussi blancs que les autres, je trouvais, comme promis, Finlah, tranquillement assis sur mon lit. Je me passais une serviette sur la tête pour essayer de sécher mes cheveux, une mèche blonde me tomba dans l'œil droit, une bleue dans l'œil gauche.

- Bon, ça de fait, soupira Finlah en se levant du lit. Diner, maintenant. Tu veux un pâté à la viande, ou un pâté au fruit de mer ?

- Un ou l'autre, marmonnais-je en haussant les épaules.

- Je reviens tout de suite.

Finlah alla vers la porte, qu'il déverrouilla avec sa clé.

- Je peux te poser une question ? dis-je avant qu'il ne passe la porte.

- Bien sûr, je suis là pour ça.

Je ne savais pas trop comment poser la question ; j'avais peur d'attirer des ennuis à Marie la Reine et aux autres, même si je les considérais comme tout et n'importe quoi, sauf des amis. J'avais peur de me griller aussi, pour être sortie de ma chambre par les conduits. Je pris une grande inspiration, puis me jetais à l'eau :

- L'autre jour, quand je suis allé dans la salle... j'avais cru remarquer beaucoup d'ethnicité différente.

- Y'a pas que des Canadiens au Canada, dit Finlah avec un sourire.

- Oui, mais... c'est quand même la majorité ! Là, tout ce que j'ai vu, c'est des Asiatiques, des Latinos, et tout et tout... et en plus, toi, tu croyais que j'étais Américain.

- On est bien au Canada, Elwin, t'as pas de raison de douter de ça. Et il y a des gens qui viennent d'un peu partout pour venir ici, car on est l'un des meilleurs centres pour les jeunes fous dangereux.

Puis, sans rien ajouter, Finlah sortie de la pièce en refermant la porte derrière lui. Je serais les poings, plus convaincu que jamais que Finlah me cachait des choses. J'étais peut-être nul dans l'histoire du Canada, mais je crois que si on avait le meilleur centre pour fou dangereux de la planète, je le saurais. Comme je sais qu'on a les chutes Niagara, et de l'or au Nunavut.


Un peu plus tard, quand les lumières s'éteignirent, je m'étais enfin décidé sur ce que j'allais faire.

- Bleu, j'ai besoin de toi.

Bleu apparût aussitôt, tout juste devant moi. Je reculais de deux pas.

- Bleu veut enfin bleu discuter des bleus affaire importante bleu avec Bleu ?

- Non, je veux que t'ouvres la grille et que tu m'aides à passer.

Bleu poussa un soupir, qui ressembla à un « bleuuuuu... », puis il ouvrit la grille et m'aida à y grimper.

- Merci, disparais !

Bleu disparût sans avoir le temps de s'indigner d'une quelconque façon, comme je savais qu'il en avait envie, puis je refis le même chemin que j'avais fait deux jours plus tôt en suivant Marie la Reine. En cinq minutes, j'arrivais devant une grille, que je parvins à décrocher en poussant simplement dedans. Son occupant sursauta dans son lit et marmonna une suite de syllabe dont j'étais incapable de comprendre le sens, mais qui était surement du chinois ou quelque chose dans le même genre.

- Sushi ? C'est toi ?

- Bleu ?

- Non, c'est Elwin !

Sushi marmonna d'autres syllabes qui n'avaient aucun sens pour moi, puis la lumière s'alluma et je pus enfin le voir, à côté de sa lampe. Il était identique à la dernière fois, toujours les mêmes vêtements blancs. La seule différence que je voyais est qu'il semblait beaucoup moins enjoué et plus fatigué. Normal, puisque je venais de le tirer de son sommeil.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? me demanda-t-il.

- Il fallait que je te pose une question.

- Vas-y, je suis prêt.

Sushi étouffa un bâillement, et je descendis de la grille, sachant que j'aurais de la difficulté à la remonter.

- On est dans quel pays ? lui demandais-je.

- Tu sais pas dans quel pays on est ? répéta-t-il dans un ricanement.

- Je sais très bien dans quel pays on est, j'ai seulement besoin de l'avis de quelqu'un d'autre, particulièrement quelqu'un qui ne vient pas du même que moi !

- J'ai pas tout compris, marmonna Sushi en fronçant les sourcils et baissant la tête. Mais c'est pas grave. Si je donne la bonne réponse, est-ce que j'aurais une récompense ?

- Non.

- Oh, soupira-t-il en baissant encore plus la tête. Tant pis. On est au Japon, non ?

- Non ! m'écriais-je.

- Chine ? Autriche ?

Je secouais la tête, ne sachant plus quoi dire.

- Oh, je sais ! Russie.

Cette fois, j'étais bouché. Selon Sushi, nous n'étions pas au Canada ; nous étions carrément à l'autre bout du monde.

- Y'a pas de fenêtre, ici, hein ?

- J'en ai jamais vu.

- Téléphone ?

- Non plus.

- Ordinateur ?

- Non.

- Heure ?

- Je suis assez sûr qu'on est la nuit.

- T'as aucune idée du fuseau horaire ?

- Non.

Je jurais, sans pouvoir m'en empêcher. Sushi retint son souffle, comme si je venais de lancer une malédiction contre lui. J'avais déjà de grands doutes que je n'étais plus au Canada, mais je ne m'imaginais pas plus loin que les États-Unis. Sauf que là, je n'avais plus aucune idée où j'étais, sur la planète entière.

- T'as jamais entendu le nom d'un pays se répéter, parmi le personnel ?

- Non.

Je soupirais, m'asseyant sur le lit de Sushi. Il y eut un long moment de silence.

- Pourquoi t'as le droit d'aller dans la salle, et pas moi ? demandais-je au bout d'un moment.

- On me donne plein, plein, plein de médocs. C'est chouette.

- Moi, on me donne rien... et je trouve ça bizarre.

- Peut-être qu'on te donne rien parce que ça se soigne pas.

- Peut-être, soupirais-je en pensant à Bleu. Alors, toi, c'est quoi, ton problème ? Prend le pas mal, je vois pas comment formuler ma question autrement...

- Pyromane, je crois.

- Ça a du sens, dis-je en pensant au fait qu'il avait enflammé son bloc appartement. Mais c'est pas une maladie, pyromane. En quoi il te donne des médicaments ?

- Pour m'empêcher d'enflammer tout l'immeuble.

- Je sais bien, mais pas besoin de médocs, il suffit de pas te donner d'allumette !

- Pas pour mon cas. J'ai pas besoin d'allumette.

- Alors tu prenais quoi ?

- Mes doigts.

- Alors quoi, t'as les doigts qui prennent en feu ? soupirais-je, commençant à perdre patience.

- Oui.

- Non, sérieux, tu prenais quoi, si c'était pas des allumettes ? Un briquet ? Un cocktail Molotov ?

- Mes doigts !

- Arrête, tu commences à m'ennuyer, soupirais-je encore.

Sushi soupira encore plus fort que moi, puis me présenta son index. Je commençais à croire qu'il était temps que je retourne dans ma chambre, quand je vis des petites étincelles sortir de son doigt. Les étincelles étaient tellement petites qu'elles disparaissaient avant d'avoir pu toucher quoi que ce soit, mais l'effet était quand même là ; j'étais bluffé.

- Tu peux vraiment... bredouillais-je.

- Avant, c'était du vrai feu, mais depuis que je suis ici, j'y arrive plus, marmonna-t-il. Grâce aux médocs. Je suis trop drogué, mais je m'en plains pas. J'aime bien, même.

Je n'ajoutais rien, essayant encore d'y comprendre quelque chose. Apparemment, c'était pas des blagues, Sushi avait un vrai don.

- Alors... t'es pas fous.

- Merci.

- Non, mais, je veux dire... oh ! m'écriais-je en me levant du lit pour me mettre en face de lui. Tout le monde a un don, ici ?!

- Je crois pas. La plupart sont vraiment très fou. Comme toi.

- Je suis pas fou, moi !

- T'as un don ?

- Non, mais j'ai... un ami...

Sushi garda le silence, mais je n'avais pas trop envie de parler de Bleu. J'étais sûr qu'il nous écoutait, justement, et je n'avais que des insultes pour lui.

- Et les autres ? dis-je à la place de tout le reste. Marie, Mario, Rose...

- C'est à eux de te le dire. J'ai pas envie de le faire. Mais moi, j'ai pas compris l'histoire avec ton ami. C'est qui, ton ami ? Il est ici, lui aussi ? Il s'appelle comment ? C'est qui, ton ami ?

- J'ai pas trop envie d'en parler.

- C'est qui ? dit Sushi avec un petit sourire, devenant de plus en plus grand à chaque seconde. C'est qui ? C'est qui ? Hé, Bleu... c'est qui ? C'est qui, Bleu ? Dis-moi, c'est qui ?

- Ok, la ferme ! m'écriais-je. Il s'appelle Bleu, et voilà une raison de plus pourquoi je veux pas que tu m'appelles Bleu ! Bleu, c'est lui, moi, c'est Elwin ! Et là, il est juste à côté de toi. Tu crois que je plaisante et qu'il existe pas ? Eh bien prépare-toi ! Bleu, donne-lui une bonne grosse claque derrière la tête !

Comme j'étais à plus d'un mètre de distance de Sushi, il ne put avoir aucun doute quand la claque le fit se pencher par en avant, en criant de douleur et se prenant la tête dans les mains.

- Bleu fier de Bleu ?

- Tais-toi, Bleu, soupirais-je.

- Oh, c'est pas bleu juste...

- C'est génial ! s'écria Sushi. Mais pourquoi je le vois pas ?

- Parce que t'es pas Bleu.

- Les Bleus sont les bleus meilleurs ! s'écria Bleu en levant les poings.

- Je t'ai déjà dit de la fermer !

- Moi ? dit Sushi avec un petit regard triste.

- Pas toi, Bleu.

- Pas Bleu ?

- Non, j'ai dit : Bleu, tu la fermes ! m'écriais-je, exaspéré. Et disparais, en même temps, tu seras gentil.

- En dirait que tu parles tout seul, dit Sushi en riant. Je trouve ça génial.

Je soupirais en m'asseyant à nouveau dans le lit, à côté de Sushi. La discussion avait un peu dévié, il reste toujours que je n'avais aucune idée où nous étions exactement. Et même, maintenant, je n'avais plus seulement très envie de savoir où j'étais, j'avais maintenant énormément besoin de savoir où j'étais.

- Hé, Sushi. Ça fait depuis combien de temps que t'es coincé ici ?

- Aucune idée. J'ai perdu le compte.

- T'as déjà exploré l'endroit ?

- J'ai jamais été ailleurs que ma chambre, la salle, et le gym.

- Ça te dit d'enfreindre les règles, cette nuit ?

- Pourquoi pas, je suis trop réveillé pour dormir, maintenant.

BleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant