Chapitre 36

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C’était plutôt drôle à voir. Rose et moi, main dans la main, passant entre les adultes qui circulaient sans jamais nous remarquer. Rose enfonça son doigt dans l’épaule d’un adulte passant à côté d’elle ; il se retourna dans un sursaut en se massant l’épaule, se demandant qu’est-ce qui l’avait touché. Je levais la jambe devant un autre passant de mon côté, qui trébucha et s’affala de tout son long dans le corridor, renversant un peu partout des morceaux du déjeuner qu’il transportait. Rose et moi éclatâmes de rire, et encore là, personne ne nous entendit.

- Elwin, tu es génial, dit Rose entre deux rire.

- Oui, on me le dit souvent, dis-je sans aucune modestie.

Rose me donna un coup de poing dans l’épaule, ce qui ne réussit qu’à me faire rire encore plus fort. L’adulte que j’avais renversé se releva, poussant un grand soupire d’exaspération tout en regardant un peu partout autour de lui, s’assurant de ne pas avoir été vu. Quand il tourna la tête vers nous, je le reconnu ; c’était Koishi, le tuteur de Sushi.

- Oh non, dis-je en plaquant une main sur ma bouche sans tout de fois arrêter de rire. C’était le déjeuner de Sushi.

- Il est grognon quand il a faim.

- Il est tout le temps grognon...

Rose n’ajouta rien, avouant que je n’avais pas totalement tors. Nous continuâmes notre ronde dans les corridors, toujours à rire pour aucune raison. Finalement, au bout de quelques minutes de marche, nous sortîmes enfin des longs corridors de chambres pour nous retrouver dans un autre genre de corridor, sensiblement identique, sauf les portes qui semblaient un peu moins épaisse, puisqu’elles n’avaient plus à emprisonner son occupent à l’intérieur, et des noms plaqué dessus. C’était le corridor de chambres des adultes, ou peut-être leurs bureaux, ou les deux en même temps. Nous continuâmes à nous enfoncer un peu plus profond, sans soucis de se perdre ; en cas de problème, il me suffirait d’appeler Bleu et il nous ramènerait aussitôt dans nos chambres.

Tout au fond de ce corridor, il y avait d’autre chemin, menant d’un côté à un peu plus de chambre, d’un autre, à une double porte battante. Intrigué, j’entrainai Rose dans cette direction. En poussant la porte, je vis que, de l’autre côté, c’était les cuisines, qui ressemblait parfaitement à la cuisine de la cafétéria de l’école – de mon ancienne école. Trois femmes, l’une occupée à nettoyer les comptoirs, une autre à laver la vaisselle, la dernière semblant faire l’inventaire de ce qui leur restait comme nourriture, c’étaient toute les trois retournées vers la porte, ce demandant visiblement ce qui les avaient poussés. C’était plutôt suspect, mais juste au bon moment, Koishi passa les portes, comme quoi rien d’étrange ne venait de se passer. Je n’avais jamais réalisé qu’il nous suivait depuis tout ce temps.

- J’ai besoin d’un autre petit déjeuné, dit-il en s’appuyant sur l’un des comptoirs propres.

- Pourquoi ? demanda celle qui était le plus près, qui nettoyait les comptoirs.

Le tuteur se mordit la lèvre, l’air honteux. Il pigea une pomme dans une corbeille de fruit et en prit une grosse bouchée.

- Suzaku l’a renversé, fini-t-il par dire. Il a fait une crise.

- Sale menteur ! s’exclama Rose.

- Ça va, il ne nous entend même pas...

- Il t’a brûlé ? demanda celle qui l’avait la vaisselle.

- Non.

- Il a fait une crise, et il t’a même pas brûlé ? s’écria la dernière. C’est qu’il fait des progrès, contre toute attente.

- Vous pouvez me faire un autre petit déjeuné ? soupira Koishi en secouant la tête.

- Non. Si le gamin l’a renversé, c’est son problème. Ça lui apprendra de balancer la nourriture qu’on lui donne.

Le tuteur de Sushi prit une autre bouchée de sa pomme, évitant le regard des trois femmes qui le regardait avec curiosité. Il semblait vraiment décidé à ne pas avouer que c’était lui qui avait renverser le petit déjeuné de son protégé.

- C’est vrai, j’avais oublié... dit-il enfin. Bon, à plus, les filles.

Koishi glissa une deuxième pomme dans la poche de son pantalon et quitta la cuisine, sans rien ajouter. Les cuisinières retournèrent à leurs travailles.

- Là, c’est de ma faute si Sushi n’aura pas de petit déjeuné, soupirais-je. Et c’est déjà de ma faute qu’il soit enfermé. Je suis trop nul...

- T’en veux pas, t’était drogué, dit Rose en me serrant la main un peu plus fort. Mais c’est vrai que pour son petit déjeuné, c’est entièrement de ta faute.

Rose me lança un petit sourire, comme quoi elle venait de me faire un compliment. En soupirant, je lâchai sa main et m’avançai vers la femme qui faisait l’inventaire. Elle était devant le frigo, qui était particulière-ment large, et s’assurait que tout était à sa place. Je lançai un regard par au-dessus de son épaule, cherchant quelque chose qui s’aurait me faire pardonner à Sushi de la gaffe que j’avais faite.

- Tu crois qu’il préfère les trucs qui se mange chaud ? dis-je en fouillant toujours des yeux le contenu du frigo.

- Tu sais, le sushi est un plat qui se mange froid.

Je me retournai vers Rose, une main sur la bouche pour s’empêcher d’éclater de rire à sa blague.

- C’est la blague la plus nul que je n’ai jamais entendu, dis-je en riant.

Le sourire de Rose disparût aussitôt, elle baissa la tête vers ses pieds, les joues devenant rouge.

- Oh, ça va, le prends pas au pied de la lettre ! dis-je en riant encore plus fort. Je l’ai rie, ta blague. Elle était pas si nul que ça !

Enfin, le sourire de Rose revint. Je me retournai vers le frigo et vit un paquet de saucisse, du yaourt, un gros cube de fromage blanc, et même une petite tablette de chocolat, qui était certainement réservé aux cuisinières. Je me penchai vers le pied de la femme devant moi qui faisait l’inventaire et donnai un petit coup de poing derrière la cheville, pas de quoi lui faire mal, seulement pour détourner son attention. La femme sursauta en se retournant, et je profitai du moment qu’elle ne regardait plus pour attraper le plus de chose que je pu ; la tablette de chocolat en priorité puis les yaourts et le paquet de saucisse. Plus le temps pour le fromage, la femme reportait déjà son attention au frigo. Et il faut croire qu’elle avait terminé son inventaire, car elle n’y accorda pas un regard de plus avant de refermer la porte, sans se rendre compte qu’il y avait quelques aliments en moins.

Je retournai près de Rose, portant fièrement mon butin. Rose hocha la tête.

- Je crois que Sushi va apprécier le chocolat.

Je répondis d’un sourire plein de fierté, puis prit la dernière pomme restante dans la corbeille de fruit. Cette fois, Rose secoua la tête.

- Je crois que son tuteur a déjà l’intention de lui apporter une pomme. Il n’aura pas envie d’en manger une deuxième.

- T’as raison... qu’est-ce que je devrai prendre ?

- Le kiwi.

- Pas moyen de manger un kiwi sans au moins un couteau pour couper la pelure, et je sais pas où ils sont...

- Ouais... alors... la banane. Je crois qu’il aime les bananes.

- Allons-y pour la banane.

Je remis la pomme dans la corbeille de fruit et prit la banane, puis lançai un regard vers les femmes pour m’assurer qu’elles n’avaient rien vu bouger.

- Eh bien, voilà, j’ai fait de mon mieux. Si Sushi fait encore le grognon après, eh bien tant pis pour lui ! Maintenant, Bl...

Bleu apparût juste devant moi sans même me laisser le temps de dire son nom. Je sursautai, mais parvins à ne rien échapper.

- Bleu méchant monsieur venir ! dit-il aussitôt. Bleu doit retourner bleu à sa chambre bleue !

Sans me laisser le temps de placer un mot, Bleu m’agrippa l’épaule et, la seconde d’après, j’étais de retour dans ma chambre. Rose n’était plus avec moi, et j’osais espérer que Bleu l’avais ramené à sa chambre et non abandonné seule dans les cuisines. Mais je n’eu pas le temps de poser la question, car Finlah entra dans ma chambre après un petit toc toc contre la porte.

- Alors, El...

Finlah s’interrompit aussitôt, me regardant avec de grands yeux. Et je réalisai, un peu tard, que j’avais toujours la nourriture dans mes bras. Je laissais tout tomber au sol et cachai mes mains derrière mon dos. Finlah baissa les yeux au sol et il vit, non seulement la nourriture qui trainait à mes pieds, mais mes médicaments que Bleu avait balancer un peu partout dans la chambre.

- Elwin... dit lentement Finlah en remontant les yeux pour les planter dans les miens. Tu expliques ?

- Eh... eh bien, j’ai juste...

- Elwin, répéta Finlah en faisant quelque pas vers moi. D’où sa viens ?

Finlah pointa le paquet de saucisse. Je sentis la panique me monter à la gorge.

- Bleu peut tuer bleu méchant monsieur... dit Bleu.

- Non ! dis-je en levant les yeux vers lui, un peu plus à gauche derrière Finlah. Non, le fait pas. Ne lui fait rien...

- Elwin, dit encore Finlah en faisant un pas de plus. Pourquoi tu ne m’as pas appelé pour dire que tu avais renverser tes médicaments ?

- J’ai oublié ? marmonnais-je.

Je sentais les larmes me monter aux yeux rien qu’à envisager la punition que Finlah allait me donner. Lui ne semblait pas prêt au traitement de faveur devant mes airs de chien battu.

- Je crois que tu as délibérément omis de prendre tes médicaments. Est-ce que je me trompe ?

J’aurais voulu répondre que, justement, il se trompait. Mais j’étais tellement incapable de mentir que, presque malgré moi, j’avais secoué la tête.

- Hier aussi, murmurais-je en baissant la tête.

- Ouais, je vois, dit Finlah en m’agrippant les épaules. Alors, t’as pas pris de médicaments depuis hier, et tu voles de la nourriture dans les cuisines. Une chance que t’étais en plein délire et qu’on t’ai vu ! Tu déambulais dans les corridors comme un zombie, t’as renversé le tuteur de Suzaku sur son chemin. T’as défoncé ta porte de chambre à coup de pied, c’est comme ça que t’es sortie. Il y a une vraie force qui sommeille en toi, quand t’es en pleine crise d’hallucination. Tu sais, cette même force qui t’as aidé à défoncé le crâne de ton ex.

- Arrête, dis-je, les lèvres tremblantes. Arrête de me mentir.

- Quoi ? s’écria Finlah en ouvrant grand les yeux. Tu crois que je te mens ? Tu trouves que j’ai l’air de mentir ? Et tu crois vraiment que je pourrais mentir sur ce genre de sujet ?!

Je secouai la tête et baissai les yeux. Finlah me prit dans ses bras dans un geste réconfortant, et je ne pus empêcher une larme de couler malgré moi. Qu’elle genre de punition Finlah allait me donner ?

Finlah m’écarta légèrement de lui, il mit une main sur ma joue et chassa d’un mouvement de pouce la larme qui y coulait doucement. Sa main suivit lentement la ligne de ma mâchoire, puis s’arrêta à mon menton. Et ensuite, trop vite pour que je puisse réagir, sa main se plaqua sur ma bouche, et il m’emprisonna dans ses bras, m’empêchant de parler et de me débattre. M’empêchant surtout d’appeler Bleu à l’aide, alors que je lui avais clairement dit dans mes dernières consignes de ne rien faire contre Finlah.

- Ta punition pour ne pas avoir pris tes médicaments, dit Finlah en me retenant à grand peine, alors que je me débattais comme un diable. Je crois que la camisole de force va te faire le plus grand bien !

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