Chapitre 17 - Simon

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J'avais passé la journée la plus bizarre que je n'avais jamais vu. Peu importe ce que j'essayai de faire, si ce n'était que de traverser une pièce, d'échanger quelque mot avec ma mère ou mon père, lancer la balle à Roquet, le chien saucisse, il y avait toujours cette espèce de lumière qui me suivait partout. Et elle ne faisait pas que de me suivre... elle me parlait ! J'étais sérieusement en train de perdre la boule.

J'étais dans le salon, à écouter un film avec mon père, chacun à une extrémité du canapé. Il ne m'avait pas dit un mot depuis l'épisode bizarre dans la chambre, hier, mais je ne m'en inquiétais pas ; papa était tout, sauf bavard.

- Tu ne pourrais pas hausser le volume, un peu ? finis-je par demander.

- Non, c'est déjà assez fort comme ça.

Je grognai pour bien lui faire comprendre que je désapprouvai. Même si, en réalité, je devais admettre qu'il avait raison. Moi aussi, je trouvais que le volume était déjà assez fort. Mais il fallait qu'il le soit plus.

- Pas bleu doit écouter Bleu ! cria la lumière.

- Hausse le volume ! criais-je encore plus fort.

- Non, c'est déjà trop fort !

- Faux pas bleu doit écouter Bleu ! Doit bleu écouter !

- Hausse le volume !

- Non !

- Écouter Bleu !

- LA FERME !

- Faux bleu pas donner bleu d'ordre à Bleu.

- Simon ?

Je tournai la tête vers papa, qui me regardait avec des yeux écarquillés. Je réalisai, un peu trop tard, que j'avais répondu à cette chose, juste devant mon père qui, bien sûr, ne le voie pas. À coup sûr, il va croire que je suis cinglé. Je suis déjà bien parti, de toute façon.

- Est-ce que tu te sens bien ? demanda timidement mon père.

Je ne savais plus quoi répondre. Oui, tout va bien, et continuer de me faire harceler par une lumière ? Non, je crois que je deviens fou, et atterrir dans un hôpital psychiatrique ?

- Je veux bleu seulement le bien de Bleu.

Je pris une grande inspiration, fermant les yeux et enfonçant ma tête entre les coussins du canapé. J'avais fini par en déduire que cette lumière était peut-être l'ami imaginaire d'Elwin. Qui, je sais, s'appelle Bleu – Elwin m'en avait déjà parlé quelquefois. Il m'avait dit : « une lumière bleue, qui s'appelle Bleu, qui dit tout le temps Bleu. » C'était donc clairement à lui, Bleu, que j'avais affaire. Le seul problème, c'est que je n'arrivais pas à comprendre ce qu'il voulait. Pour moi, tout ce qu'il disait se résumait à « bla, bla, bla, bleu, bla, bla, bla, bleu... » Et pourquoi il disait qu'il voulait le bien de Bleu, si Bleu, justement, c'est lui ?!

- Je vais bien, papa, finis-je par dire dans un soupir. J'ai seulement... mal à la tête. J'ai les idées embrouillées.

Et pour cause, j'avais réellement mal à la tête. Bleu qui me criait dessus ne m'aidait en rien.

- Tu vois, fils, dit mon père d'un ton philosophe, fumer, c'est mal. Arrêter aussi, ça fait mal.

- Tu parles d'une bonne idée ! Je sors.

Je me levais du canapé, dans l'idée d'aller dehors et de fumer une cigarette – même si ma mère avait jeté mon paquet, je pouvais toujours aller en ville m'en chercher, et tant pis si je n'avais pas le droit de sortir de la maison -, mais mon père m'agrippa par le bras et me força à me rassoir sur le canapé.

- Je sais bien qu'Elwin te manque, c'est pas la peine de ramener le sujet toutes les dix minutes. C'est pas une raison non plus pour te permettre de fumer, ou de prendre je ne sais quelle drogue !

- Je prends pas de drogue, soupirais-je. Je fume, c'est tout.

- Oui, la cigarette, c'est une drogue, petit crétin, dit mon père en me donnant une petite claque derrière la tête.

- Oh, ça va, pas la peine de te mettre à me frapper, j'ai déjà assez de maman pour ça ! m'énervais-je en me retirant du canapé. Je vais dans ma chambre, alors. Je pourrais mettre la musique aussi fort que j'en ai envie ! Oh, c'est vrai... mon téléphone est mort, j'ai plus mon ordinateur, et même plus mon vieil iPod. Bah, j'écouterais la radio sur mon réveille-matin !

Mon père me lança un regard, le genre « j'ai envie de dire quelque chose, mais je ne sais pas quoi », mais je l'abandonnai là et allai dans ma chambre, suivie par Bleu. Je me retournai à temps pour lui refermer la porte au nez – si disons qu'il en a un. Je me retournai ensuite pour le voir, au milieu de ma chambre, comme apparu de nulle part. Je laissai échapper un long soupir de désespoir.

- Tu pas bleu doit écouter Bleu, dit-il dans une plainte et en tapant du pied.

- J'ai déjà donné, je ne comprends rien de ce que tu me veux !

J'allai allumer la radio, tout pour ne plus entendre l'autre se plaindre, et tombai sur l'une de ses chansons françaises que personne n'aime, mais qui continue de jouer à la radio simplement parce qu'il faut des chansons françaises. Ce qui n'aidait en rien pour améliorer mon humeur. J'allai ouvrir la fenêtre et passai la tête à l'extérieur pour un peu de vent frais, fermant les yeux deux secondes. En les ouvrant à nouveau, je vis Bleu juste devant moi, dehors dans la cour.

- Écoute Bleu.

- À une condition, soupirais-je. Arrête de dire bleu vingt-mille fois dans la même phrase.

- Je vais bleu essayer. Heu... je vais... essayer. Je vais essayer bleu ! Je vais essayer!

- Toutes mes félicitations. Deuxième phrase, maintenant.

- Bleu peut plus voir Bleu !

- Qu'est-ce que je viens de dire ?

- Mais... Bleu voit plus Bleu ! Bleu n'est plus bleu !

- Tu recommences ! m'énervais-je en refermant la fenêtre et allant m'assoir sur le lit. Arrête de dire bleu tout le temps, comme si tu parlais de quelqu'un ! Y'a que toi pour s'appeler Bleu, moi je connais personne qui s'appelle Bleu pour qui j'ai quelque chose à faire.

- Mais bleu si ! Tu le connais très bleu bien !

Je lui lançai un regard noir, et Bleu se reprit :

- Tu le connais bien, c'est ton bleu. C'est ton frère bleu !

Cette fois, je pus presque entendre le déclic se faire dans ma tête quand je le compris enfin.

- Par Bleu, tu veux dire Elwin ?

- Bleu oui ! Heu... oui !

- Alors pourquoi tu le disais pas simplement ?! m'écriais-je en me relevant du lit.

- C'est ce que j'ai bleu fait !

- Non, tu disais pas Elwin, tu disais Bleu. Bleu, bleu, bleu, bleu, j'en peu plus de cette couleur ! Pourquoi tu dis pas vert, jaune, violet, indigo ?!

- Bleu, c'est beau.

- Oui, ça va, je m'en doutais déjà que c'est ta couleur préférée ! Et tu sais quoi ? J'en ai rien à faire ! Tout ce que je veux, maintenant, c'est que tu me dises ce qui ne va pas avec Elwin !

- Elwin Bleu est plus bleu. Il voit plus le bleu. Il bleu hallucine. Il voit du bleu vert. Il voit plus bleu ! Il me bleu vois plus ! M'entend plus bleu ! comprend de travers bleu ce que j'avais bleu dit, et maintenant me bleu vois plus ! Bleu croie que j'ai bleu jamais existé bleu !

- Attend, attend une seconde, s'il te plait ! m'écriais-je. T'as dit bleu vingt milliards de fois en trop ! Je suis pas sûr d'avoir tout compris, mais j'ai envie de tout sauf de te faire répéter. Donc ! Elwin hallucine ?

- Bleu oui ! il...

- Stop ! Dis seulement oui !

Il y eut un petit moment de silence, puis Bleu lâcha un timide « oui ». J'allais peut-être arriver à quelque chose, avec lui. Ou... avec cette chose.

- On reprend. Elwin hallucine ?

- Oui.

- Pourquoi ?

- Le méchant monsieur bl... non, juste méchant monsieur.

- Qu'est-ce qu'il fait, le méchant monsieur ?

- Il ment à Bleu. Il lui donne des médicaments. Qui lui fait bleu halluciner. Je bleu veux dire... Qui lui fait halluciner.

En clair, Elwin se fait droguer. J'avais déjà de grands doutes qu'il ne vivait pas le paradis, mais là, qu'il se fait droguer... je peux comprendre qu'on ait pu essayer de le soigner, pour peu importe du problème mental qu'il aurait pu avoir - même si je sais que le seul problème qu'il n'ai jamais eu, c'est Bleu -, là, ce n'est plus la même histoire. Des médicaments ne devraient pas causer d'hallucination. C'est de la drogue.

Je m'assis à nouveau dans le lit, me prenant la tête à deux mains. Mes lunettes glissèrent sur le bout de mon nez, mais je ne fis aucun mouvement pour les rattraper.

- Bleu, il faut que tu me dises où est Elwin. Je sais que tu le sais !

- Je bleu sais pas.

- Oh que oui, tu le sais ! m'écriais-je en me relevant du lit encore une fois. Évidemment, que tu le sais, tu y étais avec lui, non ?

- J'ai pas bleu vu le dehors. Parce que Bleu l'a pas vu. Bleu, c'est lui, Elwin. Moi, c'est Bleu.

- Ça va, j'ai compris, soupirais-je en baissant la tête d'un air lasse. Vous vous faites appeler Bleu tous les deux.

- Non, lui est Bleu, je suis Bleu, je suis lui !

- Tu es Elwin ?

- Non ! Je suis Bleu !

- Oh, seigneur ! m'énervais-je. Tout ce que tu dis n'a aucun sens. Je fais comment pour trouver Elwin, alors ? Et pourquoi tu es venu ici ? Et comment t'as fait pour venir si tu viens tout juste de dire que tu ne peux voir que ce qu'il voit ?!

- Bleu me voie plus. Me bleu tien plus. Bleu peu faire bleu ce qu'il veut.

- Je vais faire comme si j'avais compris. Dis-moi maintenant comment je dois trouver Elwin.

- J'ai une bleu idée.

- Ça consiste à me faire arrêter par la police ?

- Bleu oui. Heu... juste oui.

- Allons-y.

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