Chapitre 34 - Simon

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Le psy et moi, nous n’avions pas eu le choix. Alors, on a fait du camping, au milieu d’une forêt, frigorifié. J’avais mangé toutes les fraises avant de m’endormir comme une buche, trop fatigué pour me soucier du froid. De toute façon, quand bien même que c’était l’hiver, c’était une assez chaude journée, et sans aucun vent. Mais quand je me réveillai à nouveau, quelques heures plus tard, alors que le soleil était bas et projetai plus d’ombre que de lumière, ma grippe avait empiré. J’avais la gorge irritée, et tant qu’à ne pas avoir de sirop, je m’étais mis à manger toute nos provisions, rien que pour ne plus ressentir ma gorge. Le psy s’était réveiller une dizaine de minute après moi, et il s’était aussitôt mit à tousser. Je poussai la boîte de mûr vers lui, et il se mit aussitôt à les manger.

- Allez, on est presque arrivé, on se décourage pas, dis-je d’une voix enrouée. Plus qu’un million de kilomètres à marcher.

Le psy éternua tellement fort qu’il renversa toute les mûrs dans la neige. Il releva ses yeux torves et son nez rouge vers moi, avant de déclarer :

- De suis balade.

- Ça se voit, dis-je en toussant. Moi aussi, je suis malade. Mais on peut pas allez chez le médecins. Et encore moins entrer dans une pharmacie. Alors, on endure. C’est pas la grippe qui va nous tuer.

- Dypopo... (Atchou !) Dypoterbie.

- Hypothermie ? traduisais-je en haussant les sourcils. Il fait pas si froid que ça.

Le psy secoua la tête, sans rien ajouter. Mais j’avais pitié pour lui. C’était de ma faute s’il était malade. Je retirai le manteau du psy et le lui rendit. Il eu l’air près à désapprouver, puisque je n’avais plus rien sur moi au-dessus de la ceinture, mais il avait trop froid pour refuser. J’allais vers un sapin près de notre « campement », puis retirais des branches et les ramenais devant le psy. Je pris mon briquet dans l’une de ses poches et tenta d’y mettre le feu. Avec un peu d’effort, je parvins à faire un peu de flamme avec les épines, et le psy se pencha aussitôt vers le feu pour se réchauffer.

- On ne peut plus rester dehors ; il nous faut un motel.

Le psy hocha la tête. Je pris une grande inspiration, qui se transforma en toux et qui m’irrita encore un peu plus la gorge, puis appelai Bleu. Il apparût à la seconde près, juste devant le feu.

- Faut que tu nous aides, dis-je en levant les yeux vers lui. S’il te plait, là, on est paumé.

- Bleu comment ?

- Tu pourrais... nous rendre invisible et nous téléporter dans une ville qui se trouve sur notre chemin.

Bleu garda le silence, réfléchissant à la question. J’avais la désagréable impression qu’il allait dire non. C’était toujours comme ça, avec lui ; s’il a envie de faire quelque chose de complètement inutile - comme me faire rencontrer Lindsey -, il le fait. Mais un petit service, c’était beaucoup trop.

- S’il te plait, Bleu ! T’es là pour m’aider, ou simplement me garder à l’œil ? Je suis sûr qu’Elwin voudrait que tu le fasses.

- Bleu oui, dit-il au bout d’un moment. Bleu voudrait.

- Donc, si lui le veux, tu le veux aussi. Pas vrai ?

- Bleu non. Mais Bleu est Bleu. Donc Bleu veut. Bleu aussi.

- Tu vas nous aider ? m’écriais-je, n’arrivant pas à le croire.

Bleu hocha la tête, puis s’approcha pour m’agripper l’épaule et, de l’autre main, celle du psy. Il sursauta en ressentant quelque chose lui prendre l’épaule, mais la seconde d’après, nous atterrîmes sur un sol en tapis, et une belle chaleur nous traversa le corps. Le psy grelottait toujours férocement, mais il souriait en regardant le plafond au-dessus de nous.

- Dénial, marmonna-t-il.

- Tu l’as fait ! m’écriais-je en me remettant assis. On est dans un motel ! Merci, Bleu !

Bleu ne répondit rien ; il n’était même plus là, mais je ne m’en inquiétais pas. Je pris un moment pour regarder le décor et, plus j’en voyais, plus mon sourire disparaissait. Devant moi, il y avait un coin de mur avec une affiche de American Horror Story, clairement la première saison, toute les honneurs à Evan Peters, devant un mur gris pâle. C’était plutôt étrange de mettre ça dans un motel. Je pivotai légèrement la tête, cette fois, je vis un meuble trois étage présentant plein de série. La première que je vis – car elle prenait beaucoup plus de place que les autres – était Supernatural. Encore un peu plus à droite, une télévision, ouverte, présentant un épisode de Walking Dead. Déjà là, c’était clair, nous n’étions pas dans un motel ; nous étions dans la chambre à coucher de quelqu’un ayant de très bon goût de série.

Je me retournai complètement, cette fois, et vis le lit qui ne pouvait pas me tromper ; définitivement une chambre à coucher. Deux filles étaient assises dans le lit et adossé au mur derrière elles, l’une admirant Daryl dans toute sa splendeur, l’autre, bouche bée, m’observait avec des yeux ronds.

- Lindsey ? dis-je dans une grimace.

Elle hocha subtilement la tête. Son amie ne vie rien, sursautant à la décapitation d’un zombie.

- Oh non, c’est pas vrai, marmonnais-je en lançant un regard d’excuser à Lindsey. Toute mes excuses, on se barre d’ici !

Je me retournai vers le psy pour l’aider à se relever. Le psy poussa un grand soupire de lassitude. Il aurait de loin préférer rester coucher au sol quelque heure de plus.

- Dana, tu peux me laisser seule, deux minutes ? dit la voix de Lindsey derrière mon dos.

- Oh, attend cinq minutes, l’épisode est presque terminé.

- Maintenant ! Sort !

Je me retournai vers elles pour voir l’amie de Lindsey sortir de la pièce en trainant les pieds. Aussitôt qu’elle fut sortie, Lindsey se pressa de verrouiller la porte de sa chambre, puis elle se retourna vers le psy et moi, sérieuse. Le psy soupira en se laissant tomber assis au sol.

- Il est malade ? demanda-t-elle au bout d’un long silence.

- Grippe.

Lindsey grimaça en reculant d’un pas.

- Je suis désolé d’avoir débarquer ici, c’était pas mon idée... J’ai demandé un motel, et on arrive chez toi... Tu dois vraiment en avoir marre de voir ma tête.

- Difficile d’avoir marre de voir ta tête. Mais je commence effectivement à penser que ça devient un peu trop bizarre !

Lindsey se mordit la lèvre en lançant un regard vers la porte de chambre. L’absurdité était tellement présente dans la situation que j’aurais surement pu la sentir en tâtant l’air. Je fermai les yeux, secouai vivement la tête, puis consentie à faire les présentations entre Lindsey et le psy. Le psy fit un vague sourire à Lindsey, et Lindsey hocha vaguement la tête.

- Encore désolé...

- Ça va, hein, me coupa Lindsey en m’envoyant un regard noir. T’es trop polie pour un meurtrier. Suivez-moi.

Lindsey sortie de sa chambre, et je la suivie, moi-même suivie par le psy. Hors de la pièce, il y avait deux autre porte et un escalier, qui nous descendirent. En bas, c’était une cuisine, où l’amie de Lindsey fouillait dans le frigo. Lindsey la dégagea d’un coup de bassin et attrapa une petite bouteille dans le frigo, et une cuiller dans un tiroir, puis partie avant que son amie n’ai eu le temps de protester. C’était de bonne manière de traiter une amie, selon moi ! Du coup, je commençai plutôt à croire qu’elles étaient sœur.

Lindsey remonta dans sa chambre, et nous la suivîmes encore une fois. Une fois la porte refermée, elle tendit la bouteille au psy. Ce ne fut qu’ensuite que je remarquai que c’était du Butley. Le psy en versa un peu dans la cuiller et avala son contenu en faisant la grimace, puis me tendit la bouteille pour que j’en fasse autant. Pendant ce temps, Lindsey s’était assis sur son lit, nous observant. Je déposai la bouteille et la cuiller sur son meuble plein de série, qui était juste à côté de moi.

- Merci, tu nous as sauvé la vie, dis-je dans un sourire.

- Je savais pas qu’on pouvait mourir de la grippe, dit Lindsey en haussant les sourcils.

Je secouai la tête, sans entrer dans les détails. Si on se serait fait coincé par la police alors que nous étions tous les deux malades, le psy et moi, nous n’aurions pas été loin – c’est ça que je voulais dire, mais je préférais encore passer par-dessus.

- Dana, l’autre fille qui était avec toi, c’était ta sœur ?

- Ma petite sœur, approuva-t-elle en hochant la tête et haussant les épaules.

- Elle sait que tu as un don ?

- Bien sûr que non ! Enfin, elle a déjà vu... des choses bizarres... mais je disais qu’elle se trompait. Que c’était son imagination. Elle insistait pas, de toute façon, c’était trop fou pour être réel.

- Ouah, murmurais-je.

- Quoi ?

- Oh, c’est juste... ça me rappel mon frère et moi.

Toute ces fois où je l’avais surpris parler à Bleu, mais qu’il m’assurait que Bleu n’existait que pour lui ; un ami imaginaire.

- Miss, dit le psy en s’avançant d’un pas, mais restant toujours en retrait pour ne pas risquer de la contaminer, je peux savoir qu’elle est votre don ?

- Télékinésie, murmura-t-elle en lançant un regard vers la porte.

Le psy se mit aussitôt à tousser, tellement fort qu’il en devenait rouge.

- Ça va ? lui demandais-je timidement. C’est plutôt insultant, ce que tu fais là.

- Excuse, di le psy quand il retrouva enfin la parole. Ça faisait longtemps qu’on avait perdu la trace de la télékinesiste !

- Vous… vous m'avez surveillé ? demanda timidement Linsey.

- Non, pas toi, tes vies antérieures.

Lindsey ne répondit rien, choqué. Et je la comprenais bien de l’être. Le psy était plutôt stupide, pour un psy !

- Tu sais quoi ? dis-je en me retournant vers lui. Il est temps qu’on parte d’ici. Encore désolé, Lindsey, cette fois, c’était la dernière fois qu’on se voit, promit. (Je me retournai pour ne faire face à personne, puis mit mes mains en porte-voix.) BLEU ! Ramène ton cul ici ! (Bleu apparût aussitôt, directement devant moi. Je sursautai en reculant d'un pas.) Assez jouer, maintenant. Amène-nous quelque part où on peut se reposer !

- Bleu ici parfait.

- Non, je veux un motel !

- Bleu ici meilleur ! Bleu pas aller plus bleu loin.

- Ah, merde, Bleu ! S’il te plait !

- Bleu non !

Je laissai aller un long soupir d'impuissance avant de m'asseoir sur le lit.

- Désolé, Lindsey. Je crois qu’on est coincé avec toi. Bleu semble croire qu'on est en sécurité, où tu es.

Je baissais les yeux vers le sol, lasse. Je remarquai que mes sacs où j'avais mis la nourriture et l’argent volé de l’épicerie était là où nous avions atterrie un peu plus tôt.

- Peut-être qu'il attend quelque chose de Lindsey, dit le psy.

- Comme quoi ? demanda celle-ci.

- Notre protection.

Lindsey garda le silence, fronçant les sourcils.

- Bien sûr que non, m’énervais-je. On a déjà Bleu. On n’a pas besoin de plus.

- Sauf que Bleu, il n’obéi qu'à Elwin. Et avec toi, il en fait qu’à sa tête.

- Ça, c’est clair, soupirais-je. Mais on ne peut pas emmener Lindsey partout avec nous, pour la simple et bonne raison qu’elle en a pas envie. Je sais pas toi, mais j’ai pas trop la tête à faire un kidnapping.

Quelqu'un cogna à la porte et nous sursautâmes tous en même temps. Pendant un instant, je ne pensais plus qu’à trouver une cachette, mais la personne entra sans attendre la permission et m'ignora complètement. C'était apparemment la mère de Lindsey, qui vint s’asseoir sur le lit entre elle et moi sans jamais me remarquer.

- Comment tu te sens ? demanda-t-elle tendrement à sa fille, qui ne semblait pas savoir quoi faire. Dana m’a dit que tu l’as chassé de ta chambre !

- Euh, oui, j’avais... besoin d’être seul, bredouilla Lindsey en me lançant un petit regard.

- C’est dur, ce que tu as vu, insista sa mère. Tu peux m’en parler, tu sais.

- Ça va, je vais bien ! Je vais très bien. T’as pas à t’inquiéter pour moi.

- Mais, et Mike ? Il faut que tu en parles, il faut que tu te vide le cœur !

- J’ai dit que je vais bien ! s’énerva Lindsey.

- Et tu as vu le meurtrier ! Simon Bowan !

- Je crois pas que c’était lui, dit Lindsey en serrant les poings. Je le voyais devant moi, et... il ne peut pas être à deux endroit en même temps.

Sa dernière phrase tenait plus d’une interrogation, qu’elle dit en me lançant un autre regard. Je secouai la tête de gauche à droite, lui assurant que je ne pouvais pas être à deux endroit en même temps.

- Je t’assure, maman, je vais bien. Mais je veux être seule. Comprit ?

- Très bien, soupira-t-elle en baissant la tête. J’ai compris, je te laisse seule.

Sa mère se leva et se dirigea à petit pas vers la porte. Et au moment où elle tenait la poignée, son regard dévia vers quelque chose, et changea de direction. Elle avait vu les sacs.

Je me levai d’un bon pour les prendre avant qu’elle ne regarde dedans, mais j’arrivai trop tard. La mère de Lindsey resta bouche bée quand elle vit tous les billets qu’il y avait dedans.

- Lindsey, qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle en levant le sac vers sa fille.

Lindsey avait les yeux ronds, ne sachant quoi répondre. Quoi répondre, de toute façon ? C’était clair que c’était l’argent volé de l’épicerie, dans un sac en plastique de l’épicerie.

- Qu’est-ce que tu fais avec ça ?! s’écria encore sa mère.

- C’est pas à moi ! dit Lindsey avec un petite voix.

- Ah non ? C’est à qui, alors ? Qu’est-ce que ça fait ici si ce n’est pas à toi ?!

Lindsey avait les yeux brillant, incapable de trouver une réponse adéquate. La vérité n’était surement pas très crédible.

Je me précipitai pour reprendre le sac des mains de la mère, et les deux autres pleins de nourriture toujours au sol. Au moment où je me retournai vers elle, elle se mit à crier d’une voix aigüe, me regardant droit dans les yeux. Le petit tour de magie de Bleu était terminé ; la mère de Lindsey me voyait.

- C’est Simon ! s’écria-t-elle. Simon Bowan ! Oh, mon Dieu !

Puis elle s’effondra au sol, évanoui. Il y eu un long silence.

- Je sais bien que je suis beau à en tomber, mais là, elle exagère...

- Simon, s’écria le psy en m’agrippant le bras, il faut partir, maintenant !

- Oui, eh... Bleu ! Sérieusement, là, tu nous fait sortir d’ici, ou je vais dire à Elwin que t’es méchant avec moi !

Le psy s’élança pour attraper la bouteille de Bentley et, aussitôt, nous tombèrent tous au sol, comme si quelque chose d’invisible nous avait poussé. En ouvrant les yeux, je vis que le psy et moi étions de retour dans notre coin de forêt, avec devant nous la branche de sapin où les épines avaient flambé, mais la branche elle-même était pratiquement intacte, sauf pour un peu de suie qu’il y avait dessus.

- Si seulement Bleu était... normal, grognais-je. Je pourrais le tuer.

- Eh, où est-ce que je suis ?

Je me retournai, surprit par le timbre aigue de cette voix. Je sentis mon cœur se contracter douloureusement quand je vis que Lindsey était toujours avec nous.

- Oh non, c’est pas vrai ! m’énervais-je. BLEU !

Bleu apparût devant moi, beaucoup trop près, comme à chaque fois. J’essayai de le repousser, mais il était plus solide que moi, et finalement, ce fut moi qui reculait.

- Ramène Lindsey chez elle !

- Bleu non ! Vous pas bleu besoin de fille magique pas bleu ! Et Bleu retourner voir Bleu tranquille !

- Ouais, c’est ça ! Retourne voir Elwin et dit-lui à quel point t’es inutile !

Et Bleu disparût, nous laissant seuls tous les trois. Je me retournai vers Lindsey, honteux.

- On est pas si loin de chez toi, je peux t’y amener.

- Euh, Simon, dit le psy derrière moi. Sans Bleu, tout le monde peut te voir, et ils vont aussitôt appeler la police. Et t’as un deuxième meurtre sur le dos, je te rappelle.

- Eh bien, toi, amène-la chez elle ! M’écriais-je en me retournant vers le psy. Avant que sa mère croie que je l’ai enlever et tuer, à cause de Bleu !

- Oh non, je reste caché, dit le psy en secouant la tête. Je suis certainement porté disparût, à l’heure qu’il est. Et puis, ce serait pas impossible qu’il soit dit que tu m’ai tué...

Sans pouvoir me retenir une seconde de plus, je hurlai ma rage en m’arrachant les cheveux. Le psy et Lindsey gardèrent leur distance, aillant apparemment peur que je décide de tuer quelqu’un pour me calmer.

- Je le comprend trop bien, Elwin ! criais-je en donnant un coup de pied dans un arbre. Il a ignoré Bleu pendant je ne sais combien d’année... et c’est à cause de ça que Bleu s’est mis à tuer tout le monde !

- Pas nécessairement « à cause de ça », dit le psy derrière mon dos. Il faisait la même chose dans chacune de ses vies antérieures.

- Il apprendra jamais de ses erreurs ? soupirais-je.

- Eh bien non, justement, il ne peut se rappeler de ses autres vies.

- C’est vrai, cette histoire de vie antérieure ? demanda Lindsey, qui était resté dans son coin.

- Oui, dit le psy. C’est prouvé pour les gens comme toi, ou comme Elwin... mais pour les gens normaux, c’est plus difficile de savoir, puisqu’on n’a rien pour repérer... De ce qu’on en sait, par contre, il y a d’autre ressemblance. Par exemple, toi, tu es une fille. Chaque télékinestiste qu’il y ai eu, à ce qu’on en sait, était des filles. Il n’y a jamais eu de gars capable de déplacer des objets par la pensée. Comme Elwin ; chacune de ses vies antérieures étaient des gars blonds avec des mèches bleus.

- Chacune de mes vies antérieures étaient myope ? dis-je dans un rire jaune.

- Pas nécessairement, c’est pas spécifique à ce point. Mais si tu serais, disons, aveugle à la naissance, alors surement que tes vies antérieures l’étaient aussi.

Je poussai un soupire de lassitude, avant de retourner vers le psy et tendre les bras. Avant même que je pu lui dire ce que je voulais, il me tendait son manteau. Je commençai à avoir particulièrement froid, sans rien sur moi. Je l’enfilai, remontai la fermeture jusqu’au cou, sortie mon paquet de cigarette pour m’en prendre une et m’assis dans la neige, tanné d’être debout.

- Va falloir que tu retrouves ton chemin toute seule, Lindsey, dis-je après avoir soufflé la fumée de cigarette vers le ciel. Marche à peu près une vingtaine de minute par-là, tu vas retrouver ta ville.

Mais Lindsey restait là, sans bouger, les mains dans les poches et la tête enfoncé dans ses épaules.

- C’est une ligne droite, tu vas pas te perdre.

- Mais ma mère... murmura Lindsey en secouant la tête.

- Tu lui diras qu’elle a halluciner, dis-je en haussant les épaules. Dit n’importe quoi. Mais ne dit pas que j’étais vraiment là, s’il te plait, j’ai déjà assez de problème comme ça !

- Elle n’y croira pas. Elle t’a vue. Peu importe ce que je dirais, elle ne croira que ce qu’elle a vue. Elle va croire que je t’ai aidé. Elle va me faire le pire sermon du monde avant de me ramener au policier pour que je leur raconte tout ce qui s’est passé, et plus encore. Ce sera l’enfer ! (Lindsey nous regarda tour à tour, le psy et moi. Puis elle se retourna vers le psy :) Est-ce que je pourrais te parler ? demanda-t-elle timidement. Mais j’ai pas de quoi à payer une séance...

- Bien sûr, dit le psy avec un petit sourire. Vien là. Et toi, dit le psy en se retournant vers moi pour me menacer du doigt, ne bouge pas de là.

Je lui fis une grimace pendant que le psy et Lindsey partait un peu plus loin entre les arbres pour s’arrêter à un tronc cassé et s’asseoir dessus. Ils étaient assez près pour que je les voie, mais tout juste, et ils étaient flou. Je n’arrivai pas à distinguer la silhouette du psy à celle de Lindsey, pourtant assez différente. Et je n’entendais pas un seul son de leur part.

Un vent froid me donna des frissons dans le dos et je grimaçai encore une fois en m’adossant contre l’arbre derrière moi. Je n’aimai pas vraiment être seul d’ordinaire, j’étais quelqu’un de social, mais depuis qu’Elwin était partie, c’était pire. À chaque fois que j’étais seul, que je n’avais rien à faire, c’était inévitablement à lui que je pensais. C’était des souvenirs joyeux. Je me revoyais jouer à Mario Kart avec Elwin. Il avait gagné, ce qui voulait dire que ce sera à moi de laver la vaisselle. Ma mère, qui avait assisté à la partie, me tendait déjà la bouteille de savon à vaisselle avec un grand sourire démoniaque. Elwin faisait une petite dance joyeuse dans le salon, et Rocket sautait derrière lui, intrigué par ses mouvements.

Sans même m’en rendre compte, j’avais terminé ma cigarette, alors je m’en pris une deuxième. Je fermai les yeux en la fumant, pensant à un autre souvenir. Elwin arrivant dans ma chambre, la tête basse, demandant de l’aide pour un devoir de math qu’il n’arrive pas à comprendre. Elwin faisant rebondir un ballon de soccer sur son pied plusieurs fois de suite, disait : « Allez, Sim, c’est facile ! » Il me shootait ensuite le ballon pour que j’essaye, mais j’étais incapable de le faire rebondir plus de trois fois sur mon pied. Elwin sur le siège passager de la voiture et moi le conduisant chez un ami, échangeant une conversation banale. Elwin se disputant avec rien ni personne, et rougissant quand il vit que je le regardais. « Je parlais à mon ami imaginaire. Je suis pas fou, je sais qu’il existe pas. » et partant dans sa chambre sans me laisser le temps de le juger.

J’ouvris les yeux quand je me rendis compte que, à chaque souvenir, le visage d’Elwin semblait devenir toujours un peu plus flou, comme si je n’arrivai plus à me rappeler de son visage dans tous ses détails. Il n’était plus qu’une tête avec des yeux et des cheveux, sans nez ni bouche, ni oreille. Elwin devenait un rêve, qu’on oublie quelque minute après l’avoir fait. Ça faisait des mois que je ne l’avais pas vu en face, et plutôt que l’oublier et de passer par-dessus, la douleur semblait empirer un peu plus à chaque jour.

À ma troisième cigarette, je pleurai pour de bon. C’était pire que de savoir Elwin mort ; savoir qu’il allait mourir, et que je n’arriverai surement jamais à temps pour l’en empêcher.

Je sentis quelque chose me frôler la jambe, et je sursautai en échappant ma moitié de cigarette restante dans la neige. J’aperçu le psy entre mes larmes, et je m’empressai de remonter mes lunettes pour m’essuyer les yeux. Lindsey était juste derrière, me regardant en se mordant la lèvre.

- Bon, on y va, maintenant ? demandais-je d’une voix tremblante. Faut qu’on bouge.

- Lindsey vient nous, dit le psy.

Je me figeai dans mon mouvement, à mi-chemin entre debout et assis.

- Je crois que c’est mieux ainsi, dit Lindsey en hochant la tête. Et je pourrais t’aider à retrouver ton frère. Peut-être que je saurais vous être utile.

- Non ! criais-je en donnant un coup de pied dans une bute de neige. T’as une famille, une petite sœur, tu ne peux pas les abandonner !

- C’est pas des adieux, dit Lindsey en secouant la tête. Ça ne prendra certainement pas plus d’une semaine, voire moins que ça, pour se rendre en virginie.

Je lançai un regard de détresse vers le psy, qui haussa les épaules et secoua la tête, l’air de dire « c’est décidé, tu ne peux rien y changer ».

Bleu avait bien réussi son coup. J’étais maintenant coincé avec Lindsey.

BleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant