Chapitre 32

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Nous avions passé pratiquement toute la nuit à errer sur l’autoroute, allant au sud autant que possible, au pire vers l’est. Nous avions mangé toute les barres protéinées que j’avais piqué chez nos sauveur et, au petit matin, nous avions encore faim, et nous étions épuisé. Impossible de se trouver un motel, puisque nous n’avions pas d’argent pour le payer. Impossible de camper à la belle étoile, puisque nous étions encore l’hiver. C’était drôle ; nous n’étions plus au Canada, et pourtant, il faisait toujours autant froid. Mystérieux, non ?

- J’en peu plus, marmonnais-je pour la millième fois, alors que le psy et moi marchions dans une piste cyclable pour éviter les regards des chauffeurs. Il faut que je dorme. Il faut que je mange quelque chose. J’ai les pieds et les jambes en feux...

- Je sais, Simon, marmonna le psy, tout aussi épuisé que moi. Mais on ne peut pas.

- On ne vas pas faire Maine – Virginie en une traite, quand même ! Il faut qu’on s’arrête.

- Très bien. On s’arrête où ?

Je gardai le silence, sans trop savoir quoi répondre. Toute les réponses que je pourrais donner étaient mauvaise. Pas de motel, pas de camping. Je baillai et toussait en même temps.

- Il nous faut de l’argent.

- On ne prend que ce dont on a besoin !

- Et on a besoin d’un toit, de la bouffe, et des vêtements ! Et pour les avoirs, il nous faut de l’argent. Comprit ?

Cette fois, ce fut le psy qui garda le silence, tout en poussant un grand soupire.

- Eh bien tu vas t’arranger tout seul.

- Je ne suis jamais seul.

Bleu approuva en hochant vigoureusement la tête.


Une dizaine de minute plus tard, qui me sembla être une heure de plus à caller dans la neige et de trébucher au deux pas, nous débouchâmes sur une petite ville morte. Il était encore trop tôt ; pratiquement toutes les boutiques étaient fermées. Une voiture passait de temps en temps. En embarquant sur le trottoir, je mis la capuche du manteau du psy sur ma tête pour passer inaperçu. Même s’il y avait très peu de gens pour me voir, je ne voulais prendre aucun risque.

- Bleu, tu sais ouvrir une porte verrouillée ? Sans la défoncée à coup de pied, je veux dire.

- Bleu oui.

- Parfait.

En peu de temps, je trouvais ma cible ; une petite épicerie, un écriteau annonçant les heures d’ouverture et, juste au-dessus, que c’était présentement fermée. Je regardai longuement autour de nous ; aucune voiture ne passait présentement. Je fis signe à Bleu de déverrouiller la porte et il le fit, le psy secouant la tête de gauche à droite d’un air lasse en voyant la porte s’ouvrir d’elle-même.

- Ta des demandes spéciales ? lui demandais-je.

- De l’eau. Apporte autant d’eau que tu peux, c’est le plus important.

- Très bien. Monte la garde. Frappe trois coups contre la porte si quelqu’un approche.

Le psy hocha la tête, et je me retournai pour m’enfoncer dans le magasin, Bleu me suivant de près.

Ce n’était rien de très différent au temps normal, à faire les courses avec maman, qu’elle disait « toi, vas chercher le pain. El, va chercher du lait. » J’avais rarement fait les courses seul, mais il m’était tout de même arrivé deux ou trois fois d’aller chercher quelque chose pour ma mère, quand elle commence le souper et que, oh misère, elle se rend compte qu’il manque un ingrédient. Là, c’était plus ou moins la même chose, sauf que, bien sûr, ce n’était pas ma mère qui m’avait envoyé ici. C’était Elwin.

Pratiquement toute les lumières du magasin, les néons au plafond, étaient éteint. Tout ce que j’arrivai à voir était baigné d’une lueur bleue. J’allais derrière une caisse et prit quelque sac avec moi pour y mettre mes provisions. Je pris l’un des sacs pour vider le contenu de toute les caisses que je pu trouver, dont Bleu avait gentiment accepté – pour une fois – de les ouvrir pour moi. Et ensuite, sans aucun remord – j’étais trop épuisé pour en avoir, de toute façon -, je me mis à déambuler entre les rangés, cherchant tout ce qui se mange qui ne nécessite pas de grosse recette ni de fourneau. Les étiquettes, annonçant le nom du produit et son prix, était uniquement en anglais, autre petite différence du temps où j’aidais ma mère avec ses courses. Je n’avais pas vraiment besoin de ses étiquettes pour me repérer, mais je m’amusais à les lires, pour pratiquer la langue. Comme allait les choses, je serais coincé dans ce monde d’anglophone pour un bon moment.

J’avais récupérer quelque fruit, comme des fraises, des bleuets et des mures, mais j’avais surtout penché pour les gâteaux. Je savais que ce n’étais pas le genre de chose qui aidait pour la faim, mais je ne voyais pas quoi prendre d’autre si nous n’avions même pas accès à des cuisinières. Je pris également un paquet de saucisse et des guimauves, au cas où on ferait un petit feu de camps – même s’il fait un peu froid. Dans un deuxième sac, je mis autant de bouteille d’eau que possible, accompagné d’une ou deux boisson énergisante (pour les nuits blanches à venir). J’avais encore des sacs vides avec moi, alors je retournai derrière une caisse pour les remettre à leurs places. Juste devant la caisse, je vis, pour ma plus grande joie, des paquets de cigarette. Avec un soupir, je lançai un regard vers la porte ; je ne voyais du psy que son dos, le reste m’étant caché à la vue. Je profitais du moment pour glisser un paquet dans mes poches, ainsi qu’un briquet – je n’avais pas vérifier si le mien marchait toujours après avoir pataugé dans la rivière, mais j’étais seulement trop paresseux pour vérifier.

Mes achats terminés, je retournai à la porte pour rejoindre le psy. Mais au moment où j’allais la pousser, je me rendis compte que le psy était en grande conversation avec une fille de mon âge. Elle semblait moitié contrariée, moitié intrigué par le psy, jouant avec des clés qu’elle tenait à la main.

Mon cœur rata un battement quand je compris qui était cette fille ; une employée, qui tentait de se débarrasser du psy pour ouvrir les portes. Je m’éloignais aussitôt de quelque pas pour qu’elle ne me voie pas par la porte vitrée, me cachant au coin du mur.

- Bleu, murmurais-je en tournant la tête vers lui, qui était, comme toujours, à me suivre comme une ombre. Faut que tu me fasses sortir d’ici. Tu pourrais me téléporter dehors, dans la ruelle ?

- Bleu non ! cria Bleu, comme si ma demande allait à l’encontre de ses principes. Mais Bleu peut nous débarrasser bleu de la fille pas bleue.

- Hors de question ! m’écriais-je aussitôt. Tu ne vas pas la tuer !

- Cette bleue fille est pas bleu dangereuse bleu. Bleu pas à s’inquiéter bleu. Frère de Bleu s’arrange tout bleu seul !

- Oh, ce que tu peux être débile, parfois !

Bleu ne répondit rien, replongeant dans son rôle d’ombre. Je jurais, alors que j’entendais une clé déverrouillé la porte. Je m’éloignai aussitôt pour me trouver une meilleure cachette, derrière les cadis. La lumière au plafond s’alluma et la fille passa à un mètre de moi, sans me voir. Elle alla à l’une des caisses, l’ouvrit, et resta totalement figé en voyant qu’elle était vide. J’aurais voulu partir maintenant, mais pas moyen sans qu’elle me remarque.

- Bleu, chuchotais-je le plus bas possible, va au fond de cette rangé et fait tomber quelque chose.

Bleu ne répondit rien, mais je sus aussitôt qu’il n’était plus derrière moi. À peine deux secondes plus tard, j’entendis quelque chose tomber, mais toute mon attention était sur la fille, attendant qu’elle parte dans cette direction pour voir ce qui se passait. Sauf qu’elle restait toujours derrière sa caisse, trop peur pour bouger de là. Elle agrippa un téléphone et appela des renforts.

Pas moyen de me débarrasser de cette fille. Et puis bon, Bleu avait eu raison sur un point ; cette fille ne pouvait pas être dangereuse. Elle était minuscule. Mais si elle appelait la police, là, ça changerait tout.

J’étais sur le point de sortir de ma cachette et de courir vers la sortie quand quelqu’un d’autre entra dans le magasin, un autre employé. Cette fois, c’était un adulte, dans la trentaine. Un grand noir musclé, faisant facilement deux têtes de plus que moi. Cette fois, si Bleu disait qu’il n’y avait pas de danger, il manquait sérieusement de jugement.

- Je crois qu’il y a quelqu’un par-là, chuchota la fille quand elle vit le mec avancer vers elle. Et les caisses sont vide !

L’homme alla dans la direction indiquée, alors que la fille reculait vers les portes. Elle s’était arrêté juste devant ma cachette, mais je préférais de loin me faire prendre par elle que par l’homme. Alors, je sortie de ma cachette, mes trois sacs toujours dans les bras, et coinça la fille dans mes bras, une main sur la bouche pour l’empêcher d’appeler à l’aide. Elle se débâtit comme une démone, mais je tiens bon.

- Je vais pas te faire de mal, chuchotais-je à son oreille. Je veux juste sortir d’ici. Ne fait pas de bruit, ok ?

La fille hocha péniblement la tête. Je la lâchai, et à la seconde où je ne la tenais plus, elle se mit à hurler. Et elle s’arrêta à nouveau quand elle vit ma tête ; elle m’avait reconnu. Elle recommença à hurler, deux fois plus fort qu’avant. Bleu apparût derrière la fille et leva les bras vers elle.

- NON, BLEU ! m’écriais-je aussitôt. Ne la touche pas !

Bleu s’éloigna d’un pas alors que la fille, en pleine panique, se retourna vers Bleu, sans le voir. Elle écarquilla les yeux, cette fois convaincu que j’étais fou et que je parlais tout seul. Elle parvint tout de même à arrêter de hurler, mais respirait fort, sa poitrine montant et descendant à toute vitesse. On aurait cru la fille pourchassée par le tueur, dans n’importe quel film d’horreur. Alors que je ne faisais rien du tout ; j’étais juste là, devant elle. Ça en devenait ridicule. Il était temps que je parte.

- Mike ! cria encore la fille. MIKE !

C’était surement l’homme, mais il ne se pointait pas. Mon envie de partir disparût aussitôt, un mauvais pressentiment montant en moi.

- Bleu, dit-moi que tu n’as pas tué le mec !

- Bleu oui. Et bleu alors ?

La fille me lança un autre regard, sans comprendre ce que j’avais dit. Et c’était ma chance, car elle se serait surement remise à hurler.

- Je suis désolé, dis-je en anglais, je pars tout de suite...

Je me retournai aussitôt et passait les portes, la panique montant en moi. Je n’avais fait que deux mètres quand je retrouvai le psy, adossé au mur du magasin. Il se redressa aussitôt quand il me vit arriver.

- Cours ! hurlais-je.

Je ne l’attendis pas, continuant mon chemin à toute vitesse. En cinq minutes, l’adrénaline commença à redescendre, je n’avais plus assez de force pour continuer. J’allais me cacher derrière un magasin, plié en deux pour reprendre mon souffle. Quand je relevai enfin la tête, le psy était là, lui aussi essayant de reprendre son souffle.

- T’aurais pas pu m’avertir que quelqu’un venait ?! m’écriais-je.

- Comment le faire subtilement ? répliqua le psy, une main sur les côtes. Elle aurait su tout de suite qu’il y avait quelqu’un dans le magasin.

- Ta raison, c’était trop tard pour qu’elle ne me voit pas. Mais j’aurais quand même pu partir avant que le mec arrive ! Tu veux savoir ce qui s’est passé ?! Eh bien, Bleu l’a tué ! Ouais, bravo, Bleu ! T’es vraiment inutile, tu le savais, ça ?! Dégage, je veux plus te voir !

Sans explication, Bleu disparût. J’aurais peut-être préféré qu’il se mette en colère, ou qu’il m’explique au moins pourquoi il avait fait ça. Mais non, ce n’était pas son genre. Pour lui, tout ce qui importe, c’est : il me cause des problèmes ? Je le tue. Je ne l’aime pas ? Je le tue. J’en ai simplement envie ? Je le tue.

Je donnai mes sacs au psy, qui les prit, sans fouillé dedans. Il semblait sous le choc que Bleu ai pu tuer quelqu’un. Comme si c’était nouveau.

- Encore un meurtre qui va passer sur mon dos, dis-je en donnant un coup de pied rageur contre le mur derrière moi. C’est vraiment n’importe quoi !

Sans prévenir, Bleu réapparût à tout juste quelque centimètre de moi. Je reculai autant que je pouvais, mais j’étais déjà contre le mur.

- Je t’ai dit de dégager, toi ! Fou moi la paix !

- Faux bleu pas donner d’ordre à Bleu ! Bleu aller voir fille pas bleue. Pas bleu fille comprendre !

- Tant mieux.

J’essayai de m’éloigner de Bleu, mais il me coinçait contre le mur. Pendant un instant, j’eu peur qu’il décide de me faire du mal, voir même de me tuer, mais j’espérais tout de même avoir une place assez importante dans son estime, s’il me permet de le voir. S’il me détestait, je ne pourrais pas le voir, non ?

- Frère de Bleu doit comprendre !

- Arrête de dire bleu tout le temps et je comprendrais peut-être, grognais-je.

Bleu garda le silence, mais il me bloquait tout de même contre le mur. À bout de nerf, je me sortis une cigarette, que je mis dans ma bouche avant de l’allumer. J’essayai de bruler Bleu avec, mais il n’eut aucune réaction.

- Eh, je t’avais dit de prendre seulement l’essentiel ! s’écria le psy.

- Ta gueule !

Le psy fit la grimace, remarquant enfin à quel point j’étais en colère.

- Simon, ce n’est pas de ta faute, ce qui arrive...

- Ta gueule, j’ai dit ! TA GUEULE ! foutez-moi la paix !

Le psy recula d’un pas, jugeant préférable d’attendre que je décompresse avant de parler. Bleu, lui, pensait autrement. Il me donna une tape sur la main et ma cigarette tomba au sol, qu'il écrasa sous son pied, puis il s’avança encore plus de moi, me privant totalement de mouvement tellement j’étais coincé. Il mit ses mains sur mes épaules, je détournai la tête et fermai les yeux, presque en panique. Bleu préparait quelque chose, je le sentais, un peu comme une crampe d’estomac. Mon cœur se mit à battre plus vite. Je l’ai poussé à bout. Et maintenant, Bleu va me tuer.

Bleu s’éloigna de moi, et je tombai au sol, comme si le mur derrière moi n’existai plus pour me soutenir. J’ouvris les yeux en toussant, et vis Bleu, à un mètre de moi. Il m’avait fait quelque chose, mais quoi, au juste ? Je cherchai le psy des yeux, mais lui, par contre, avait disparût. Je me relevai d’un bon, et cette fois, je compris que le psy n’avait pas disparût ; c’était moi. Moi, j’avais disparût. Bleu m’avait téléporté... dans le magasin, juste à côté de la fille qui y travaillait, qui me regardait avec des yeux ronds et reculant lentement, à petit pas. J’étais derrière la caisse, avec elle, et de l’autre côté, il y avait des policiers, des ambulancier, tout un tas de gens susceptible de m’arrêter. Mais, autre que la fille, personne ne semblait me remarquer.

- Merci pour les renseignement, Lindsey, dit le policier qui était juste en face d’elle.

- Eh... pas de quoi... mais...

Sans attendre la suite, le policier partie vers un autre homme, portant un tablier et un badge rouge écrit « gérant ». La fille, qui apparemment s’appelait Lindsey, se mit à courir en direction d’un autre policier.

- C’est lui... c’est le meurtrier, là, Elwin Bowan, il est juste là !

Le policier tourna la tête vers moi, puis secoua la tête.

- Il n’y a personne là, petite. Et puis, Elwin Bowan est enfermé. S’aurait pu être Simon, son frère, mais il est au Canada, je te rappel.

- Un ou l’autre, mais il est juste là ! Regardez !

Le policier poussa un soupire, puis alla voir l’un des ambulanciers, il chuchota quelque chose à son oreille en faisant de petit signe discret vers la fille. Mais Lindsey se mit à courir pour sortir du magasin. Et soudainement, j’apparût à nouveau juste devant elle, alors qu’elle s’adossait au mur extérieur du magasin pour essayer de reprendre son souffle et ses idées. Quand elle leva les yeux et qu’elle me vit, sa lèvre inférieure se mit à trembler dangereusement.

- Je suis folle, murmura-t-elle. Je suis folle, complètement folle...

- Non, tu ne les pas, dis-je en secouant la tête. S’il y a quelqu’un de fou, là, c’est moi.

Lindsey continua de marmonner, et je m’éloignai d’un pas pour lui laisser un peu d’espace. Je levais les mains devant mon visage pour les voir ; elles étaient normales, de la bonne couleur, alors pourquoi il n’y avait que Lindsey pour me voir ? Peu importe ce que Bleu m’avait fait...

- Bleu ! criais-je en me retournant. Bleu, t’es où ? Montre-toi !

- Est-ce que tu vas me tuer ? demanda timidement Lindsey.

- Non ! dis-je aussitôt. Non, bien sûr que non ! Je n’ai jamais tué personne, et Elwin non plus, figure toi !

Je lui lançai un regard ; elle ne semblait pas croire un seul mot de ce que je disais, mais je lui faisais trop peur pour qu’elle exprime vraiment ce qu’elle pensait.

- Ne restons pas là, allons quelque part de tranquille pour parler.

- Pour que tu puisses me tuer sans être vu ? demanda Lindsey en écarquillant les yeux.

- Je t’ai déjà dit que je n’ai pas l’intention de te toucher ! Non, si on reste là, ils vont te voir parler tout seule, et tu vas passer pour une vrai folle. C’est ce que tu veux?

Lindsey secoua la tête, balançant ses cheveux blonds et ondulé. Du coup, je réalisai qu’elle aurait pu être belle, si elle n’était pas aussi apeurée. Elle avait vraiment tout pour jouer la victime dans un film d’horreur.

Finalement, Lindsey alla à l’arrière de l’épicerie. Il n’y avait rien, là, et personne ne risquerait de nous voir. Ou plutôt, de la voir, elle.

- Il faut que tu me dises... commençais-je nerveusement en regardant tout autour de moi. Tu dois forcément savoir quelque chose. Pourquoi Bleu veut que tu sois la seule à pouvoir me voir ?

- Mais... qui est Bleu ?

- Un ami, dis-je vaguement. Enfin, l’ami d’un ami... c’est l’ami imaginaire de mon frère.

- Tu es fou, dit Lindsey, les larmes aux yeux.

- Dans ce cas, toi aussi ! Tu es la seule à me voir, tu te souviens ? Et je peux pas te lâcher tant que tu ne m’auras pas dit ce que je dois savoir, car Bleu ne me laissera pas partir.

- Mais...

N’y tenant plus, Lindsey se mit à pleurer à chaude larme. Mon côté gentleman avait envie de la prendre mes bras pour la consoler, mais je savais qu’il valait mieux garder mes distances, ou elle se mettrait à paniquer encore plus.

- T’as juste à me dire... ce que je dois savoir. Et je m’en vais. Promit. Je ne le répèterais à personne.

- Personne ? répéta-t-elle en s’essuyant les yeux.

- Seulement à Bleu – mais lui le sais surement déjà, c’est justement pour ça qu’il m’a envoyé à toi -, et à mon psy. Enfin, c’est pas mon psy, rectifiais-je en la voyant faire la grimace. C’est un psy, mais, j’ai pas besoin de consultation, hein, je suis pas fou! Et il est autant coincé que moi, je t’assure, aucune chance qu’il arrête un passant sur le trottoir pour lui raconter ce que tu vas me dire. Lui et moi, on est totalement coupé du monde. Même si on aurait envie de parler, on n’a personne avec qui le faire, alors...

- OK, dit Lindsey, à une condition. Tu parles en premier !

- Euh... j’ai pas grand-chose à cacher... tout ce qui s’est passé est passé à la télé ! Enfin, dans la réalité, ni Elwin ni moi n’ayons fait quoi que ce soit. C’était Bleu. Alors, voilà, tu sais tout.

- Non, je veux plus d’explication !

Soudainement, les rôles s’étaient inversé. Lindsey avait arrêtée de pleurer, même si elle avait toujours les yeux rouges et bouffit, et c’était moi qui subissait l’interrogatoire, un peu nerveux. Est-ce que je pouvais vraiment lui faire confiance ? Oh, et puis, s’il fallait qu’elle me fasse confiance, c’était un juste retour des choses. Alors, je racontais absolument tout, particulièrement ce qui n’était pas passé à la télé ; Qui était Elwin, Qui était Bleu, pourquoi il avait fait ça, et où il était maintenant. Et comment je m’étais retrouvé mêlé à l’histoire, Mélissa qui m’avait aidé à trouver une piste, et Bleu qui arrive, genre « j’emmerde cette pute, ma piste est meilleur ! » et à partir du moment, c’était l’histoire qui se répète, sauf sur un point ; on ne voulait pas de moi au septième ciel. Alors, je cherche à y aller par moi-même, pour retrouver mon petit frère et le ramener à la maison.

- Tu veux aller au septième ciel ? répéta Lindsey en pouffant. Aller cher la Nasa ? Tu imagines vraiment avoir une chance, une seule, de réussir ?

- Avec Bleu, oui.

Je levai les bras, pour qu’elle me regarde bien. J’étais invisible, sauf aux yeux de Lindsey. Après ça, aller dans l’espace me semblait bien possible.

- En plus, ce ne serait pas la première fois, ajoutais-je d’un air mystérieux.

- T’es déjà aller dans l’espace ? dit Lindsey, souriant timidement même si elle voyait bien que je plaisantais.

- Je me suis déjà envoyer en l’air quelque fois.

Lindsey pouffa de rire avant de reprendre son sérieux et de secouer la tête. Elle ne semblait pas approuver ma blague, mais elle avait ri, c’était ça l’important.

- Ne fait pas ça.

- Quoi, ça ? Tu ne veux pas que je m’envoie en l’air ?

- Arrête de me draguer. Tu t’y prends vraiment mal.

Mon petit sourire disparût aussitôt.

- Mais, je te draguais pas ! Enfin, si ce serait le cas, j’aurais pas envoyé une blague aussi nul.

Lindsey ne répondit rien, regardant ailleurs. C’était à croire qu’elle était déçue.

- Je vais pas rester ici, de toute façon. Il faut que je retrouve mon frère. Tu te souviens ? Maintenant, dis-moi que t’as à me dire.

Lindsey hocha la tête et baissa les yeux.

- T’es sérieux, pour Bleu ? demanda-t-elle.

- À cent pour cent.

- Et pour Elwin aussi ?

- Encore plus.

- OK, murmura-t-elle tout bas.

Elle regarda nerveusement à gauche puis à droite, s’assurant que personne ne l’observait.

- OK, dit-elle encore. Tu vas pas me juger ?

- Pas plus que toi, tu me juge.

Lindsey se mit à sautiller nerveusement en se mordant la lèvre, retardant le moment autant qu’elle le pouvait. Quand ça devenait ridicule, elle se pencha pour attraper une boule de neige. Elle me la présenta, sans rien dire. Puis, elle baissa la main. Sauf que la boule, elle, resta toujours au même endroit, dans les airs, sans rien pour la retenir. Elle y resta une dizaine de secondes avant de s’écraser au sol.

- De la télékinésie ? m’écriais-je. Mais c’est génial !

- Non, dit Lindsey en secouant la tête. C’est pas génial. T’as jamais lu Stephen King ?

- Non, mais j’ai déjà vu le film, dis-je en haussant les épaules. Qu’importe ? Tu te fais intimider, toi ?

- Pas vraiment.

- Alors, ce n’est pas la même histoire.

- Tu n’as même pas peur de moi ?

- Pour quoi faire ? soupirais-je en haussant les épaules. Une boule de neige qui flotte, ça ne fait pas vraiment partie de la liste de mes pires cauchemars...

Lindsey sourit, sans rien dire. Cette fois, j’avais peut-être un peu envie de la draguer, mais Bleu apparût entre elle et moi, m’empêchant de poser ma prochaine question.

- Pas Bleu sais, maintenant.

- Pousse-toi, grognais-je.

Mais Bleu m’agrippa par les épaules, avant de me pousser violement. Je fermais les yeux par réflexe avant de tomber les fesses dans la neige. Quand j’ouvris à nouveau les yeux, je n’étais plus avec Lindsey, et je n’étais plus derrière l’épicerie. Le psy était là, deux mètres plus loin, et quand il me vit, il se précipita pour me prendre dans ses bras.

- Merde, où est-ce que t’était passé ?! s’écria-t-il.

- J’étais... avec...

Je regardai nerveusement autour de moi ; j’étais toujours derrière un magasin, mais ce n’était pas l’épicerie, et je ne voyais pas Lindsey d’ici.

- La fille... Lindsey, bredouillais-je, un peu groggy par cette téléportation inattendue. Elle est comme... comme ces enfants de l’histoire que tu m’as contés hier soir. Il faut que je la retrouve. Elle doit toujours être derrière l’épicerie.

Je partie dans cette direction, mais je n’avais pas fait deux pas que le psy m’agrippa fermement par le bras et me tira par en arrière.

- T’es suicidaire, ou quoi ? C’est bourré de policier, là-bas ! Il faut qu’on parte de cette ville au plus vite ! Oublie cette fille, ça vaudra beaucoup mieux.

Au mot « oublier », je sentis toute l’excitation me quitter d’un coup. Et malheureusement, le psy avait raison. Il fallait partir, ne pas trainer. La priorité du moment était de trouver un endroit tranquille où dormir et reprendre des forces. Cette fille ne nous mènerait nulle part. Alors pourquoi Bleu avait tenu à ce point que je la rencontre et que je sache ce qu’elle savait faire ?

Je remis le capuchon de mon manteau sur ma tête et une cigarette aux lèvres, puis le psy et moi continuâmes notre chemin, la tête basse, en direction du sud. Dans la direction opposée à l’épicerie.

BleuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant