Chapitre 35 - Elwin

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Quand les lumières s’allumèrent au matin, j’étais encore fatigué. Je n’avais pratiquement pas dormi de la nuit, continuant de penser à ce que j’avais découvert la veille. Sushi, Orange, la Reine, moi-même, tous les prisonniers de ce vaisseau avait un compte à rebours au-dessus de la tête, et aucun de nous ne savais quand il allait se terminer. J’allais peut-être mourir dans un mois. J’allais peut-être mourir demain. Comment savoir ? J’allais peut-être mourir aujourd’hui-même ! Peut-être qu’Orange allait mourir prochainement aussi, elle qui semblait être la plus vieille d’entre nous.

Alors que j’étais toujours roulé en boule sous mes couvertures, la porte de ma chambre s’ouvrit pour laisser entrer Finlah, pourtant mon petit déjeuner.

- Bon matin, Elwin, dit-il joyeusement en déposant le cabaret sur le bureau. Bien dormie ?

Je ne répondis rien, l’observant simplement. Finlah se retourna vers moi, intrigué par mon manque de réaction.

- Tu vas bien ?

Je hochai la tête, sans rien dire. Mais même sans mot, il était toujours trop évident quand je mentais. Finlah vint s’asseoir à côté de moi sur le lit, prit mon pied droit et déroula le bandage pour voir ma blessure, s’assurer qu’elle guérissait bien. Il faut croire que c’était le cas, car il remit le bandage en place.

- Qu’est-ce que t’as ? demanda-t-il.

- Rien, dis-je en secouant la tête et baissant les yeux. Je me demandai seulement... quel jour on est ?

- Quel jour ? répéta Finlah en riant. Je ne sais plus. Février... le 5, ou le 6. Pourquoi tu veux savoir ça ?

Je gardai le silence, surprit d’avoir eu une réponse. Je m’attendais à ce qu’il dise : « il n’y a pas d’heure, ici ! Pas de temps ! » avec son petit air mystérieux.

- Je me demandai aussi... d’où viens la nourriture ?

Finlah éclata de rire, ne comprenant visiblement pas le sens de ma question.

- Les légumes sont cultivés, les animaux sont... enfin, tu comprends. Et on récupère le tout dans les épiceries.

- Non, je veux dire... la nourriture qui est ici, dis-je en pointant mon petit déjeuner qui refroidissait sur le bureau.

- Des épiceries, répéta Finlah en fronçant les sourcils. Et on a quelques cuisinières.

- C’est pas ce que je veux dire, tu le sais très bien ! m’énervais-je. Après les épiceries, comment est-elle arrivé ici ?

- En voiture.

- Et après la voiture ?

- Après, elle est arrivée, on la cuisine, puis on la sert.

Je poussai un long soupire, et Finlah profita du moment pour sortir de la chambre. J’allai m’asseoir à mon bureau et attaquai mon repas d’œuf brouillé, de toasts et quelques tranches de bacons. La question que j’avais voulu dire, c’est : est-ce qu’il y avait une fusée qui apportait la nourriture ? À quel intervalle ? En même temps, c’était surement mieux qu’il n’ait pas comprit. Si Finlah se mettait à avoir des soupçons sur moi, il pourrait surement décider de me tuer plus tôt.

D’un autre côté... s’il y avait vraiment un moyen de sortir, c’était ça. Il ne resterait plus qu’à trouver comment faire... tout le reste.

Dans mon cabaret, juste à côté de mon assiette, il y avait mes médicaments, les sept pilules du matin. Je savais bien qu’il ne fallait pas que je les prenne, mais j’en avais envie. Il me suffisait de penser à ma vie et celle de mes amis qui était comptés. Au fait qu’il était certainement impossible de s’échapper d’ici. Ces médicaments ne m’aideront pas à m’échapper, mais ils m’aideront au moins à supporter la chose. Je mis les pilules dans une main, mon verre d’eau dans l’autre. Et au moment où j’allais toutes les avaler d’un coup, je sentis quelque chose me frapper la main et toutes les pilules tombèrent au sol, éparpillé. Je restai là un moment à les regarder, à la fois déçu et soulagé.

- C’était toi, Bleu ?

- Bleu oui.

Je levai les yeux pour le voir, adossé au mur.

- Pourquoi t’es pas avec Simon ?

- Pas Bleu méchant avec Bleu.

- Ah ouais ? dis-je en haussant les sourcils. Et qu’est-ce qu’il a fait ?

- Bleu méchant.

- Oui, mais qu’est-ce qu’il a fait pour que tu trouves qu’il ait été méchant ?

- Il pas Bleu aime pas l’aide bleu que je donne bleu.

- Et dans cette aide qu’il aime pas, qu’est-ce que t’as fait ?

- Bleu tué méchant monsieur et Bleu amener une bleu fille magique.

- Ne me dit pas que t’as tué un mec et kidnappé une fille ! m’écriais-je.

- Bleu oui, marmonna Bleu en baissant la tête, comme s’il avait honte.

- Je t’avais déjà dit de plus tuer !

- Mais bleu méchant mec méchant !

- Non, Bleu ! dis-je en me levant de ma chaise. Méchant ou pas, tu ne vas tuer personne, c’est compris ?! Et la fille, tu vas la ramener chez elle ! C’est fini, le meurtre et le kidnapping, ok ?

- OK, murmura Bleu.

- Et tu vas t’excuser à Simon.

- Bleu oui...

Mais Bleu restai là, visiblement nerveux. Je poussai un long soupire en m’asseyant à nouveau sur ma chaise.

- Qu’est-ce qui te tracasse ?

- Le frère pas Bleu va jamais réussir bleu à faire ce qu’il bleu veut faire.

- Et qu’est-ce qu’il cherche à faire ?

- Retrouver Bleu. Il bleu veut monter ici.

- Il... quoi ?!

Si je n’avais pas déjà été assis, je serais surement tombé sur les fesses. Pourquoi Simon tenait-il à me retrouver ? Je croyais qu’il était convaincu, autant que maman et papa, que j’étais un véritable meurtrier. Mais, justement... s’il voit Bleu, il sait que ce n’était pas vraiment moi. Pourquoi je ne m’en rends compte que maintenant ?!

- Simon n’a pas intérêt à venir ici ! m’écriais-je. Les adultes tuent tous ceux qui ont dix-sept ans. Simon n’est qu’à quatre mois de ses dix-sept ans ! Ça lui servirait à quoi, de monter ici ? « Salut, El, je suis de retour ! Oh, excuse-moi, faut que j’aille mourir... ».

Je me levais de bon de ma chaise et donnai un coup de pied rageur sur l’une des pattes du bureau. Une douleur atroce me monta aussitôt de ma blessure, ainsi qu’au gros orteil qui avait pris le coup, m’arrachant un chapelet de juron alors que je m’asseyais à nouveau sur ma chaise pour me masser le pied.

- C’est pas à Simon de monter. C’est à moi de descendre ! grognais-je. Tu lui ferras bien comprendre. Pas question qu’il monte ici.

Bleu hocha vigoureusement la tête, comme quoi il avait hâte d’exécuter ma requête.

- Tu feras pas de mal à Simon, hein ?

Bleu baissa la tête en poussant un long soupire. Je levai les yeux au ciel en désespoir.

- Ne fait de mal à personne.

- Bleu oui...

Il y eu un long silence, pendant lequel je me pris une tranche de bacon qui commençait à refroidir. Je pris quelque gorgé de mon verre d’eau avant de me retourner vers Bleu.

- Y’as pas moyen que tu saches me faire sortir d’ici, hein ?

- Bleu peut pas sortir Bleu, dit-il en secouant la tête de gauche à droite. Bleu dehors pas d’air bleu, Bleu mourir. Bleu peut pas téléporté Bleu, même bleu problème.

- Tu sais te téléporter ? dis-je en haussant les sourcils.

Dans le fond, je le savais déjà, bien sûr, mais c’était la première fois que j’associais le mot « téléportation » avec le fait que Bleu apparaissait et disparaissait tout le temps. Et j’avais encore moins songé au fait qu’il pourrait m’entrainer avec lui là-dedans. C’était exitant à envisager, que je saurais me téléporter n’importe où – à condition qu’il y ait de l’air en chemin. Il reste toujours que j’avais la possibilité de me promener n’importe où dans ce vaisseau, à ma guise... mais pas tant que les lumières sont allumé et que les adultes se promènent n’importe où ; je me ferrais grillé et j’aurais droit à une belle grosse punition, peut-être la camisole de force et un ruban adhésif sur la bouche pour m’empêcher de lancer des ordres à Bleu.

Sauf peut-être...

- Mais tu sais te mettre invisible, aussi ! dis-je en souriant. Laisser une personne te voir, alors qu’une autre ne te voie pas ! Alors, finalement, avec ou sans lumière, je peux faire ce que je veux, quand je le veux. Mais c’est génial !

Bleu hocha vaguement la tête, nullement impressionné par ma soudaine bonne humeur. Je me dépêchai de terminer mon déjeuner qui refroidissait, puis me levais pour faire face à Bleu.

- Rend moi invisible.

Bleu ne fis aucun mouvement, et je ne sentis aucune différence. Mais comme Bleu ne m’avais jamais directement désobéi, je préférais garder un petit doute et d’aller vérifier moi-même devant le miroir, et je n’y vis rien du tout, comme si mon reflet avait disparu. Par contre, je voyais toujours le reflet de Bleu, resté près de la porte de la salle de bain.

- Maintenant, où aller... tu crois qu’il serait mieux d’emmener avec moi un peu d’aide, juste au cas ? Qui serait meilleur, d’après toi ? Sushi, la Reine, ou Orange ?

Bleu ne répondit rien, me laissant faire mon choix. Je pouvais tout de suite retirer Sushi de la liste ; je l’aimai bien, mais il était trop imprévisible. De jour, il était totalement drogué et on peut dire que ça paraissait énormément dans ses actes, et de nuit, il était encore pire, parce qu’il était moins drogué et pourrais flamber n’importe qui accidentellement. Alors, entre la Reine et Orange... Certainement que la Reine était plus raisonnable, mais Orange était plus... Rose.

- Rose, dis-je avec un sourire. Amène-moi à la chambre de Rose.

En l’espace d’un clignement d’yeux, le décor avait changer. Je n’étais plus dans ma salle de bain, mais plutôt dans une chambre, identique à tout point de vue à la mienne ou à celle de Sushi. La seule différence était qu’il y avait Rose, qui se tournait littéralement les pouces en chantant une chanson qui me disait vaguement quelque chose.

- Hé, Rose ! dis-je avec un grand sourire.

Elle ne me remarqua même pas, continuant de chanter.

- Bleu, dis-je en me tournant ver lui, qui était juste derrière moi. Je veux qu’elle me voie ! Elles seulement.

- Oh !

Je me retournai vers Rose en sursautant, qui me regardait droit dans les yeux. Visiblement, je n’étais plus invisible à ses yeux.

- Bleu ! dit-elle en se levant de son lit. T’es fou de venir ici pendant le jour ? Et d’où tu sors ?

Elle lança un regard vers la bouche d’aération, où la grille était toujours à sa place.

- Appel-moi Elwin, tu veux ? dis-je avec une grimace.

- Pourquoi Elwin ?

- Bah... c’est mon nom.

- Oh...

- De toute façon, dis-je pour changer de sujet, je risque pas de me faire prendre. Je suis invisible.

- Pourquoi je te vois, alors ?

- Parce que je le veux. Et puis, j’ai pas passé par les conduits. Je me suis téléporté! dis-je fièrement.

- Ah, quand même... et alors, qu’est-ce que t’es venu faire ici ?

- Profité de ma découverte de nouvelle capacité pour partir à la recherche de moyen de sortir d’ici. Tu veux explorer le vaisseau avec moi ?

Je lui tendis une main, digne du meilleur gentleman. Il ne m’aurait manqué qu’un chapeau haut de forte, un monocle et une canne que j’aurais pas été plus convaincant.

Les joues de Rose virèrent au rouge alors qu’elle se retenait à grand peine de ne pas sourire. Elle leva la main, prêt à la déposé dans la mienne qui n’attendait que ça, mais elle recula en secouant la tête.

- Invisible ou pas, ils vont se rendre compte de mon absence, dit Rose en secouant la tête.

- Bleu va s’occuper de ça ! Il va surveiller ma chambre et la tienne pour s’assurer que personne ne s’en approche. Et si c’est le cas, il va nous ramener tout de suite dans nos chambres. Ni vu ni connu !

- T’as pensé à tout, dit Rose en souriant de toute ces dents.

- En fait, je viens seulement d’y penser, dis-je en riant. Mais c’est vrai que Bleu va le faire. Pas vrai ?

- Bleu oui !

- Il a dit oui.

- Oh, dans ce cas...

Enfin, Rose posa sa main dans la mienne. C’était un geste simple, voulant signifier « j’accepte », mais ce que je ressentis au moment où mes doigts se replièrent sur les siens voulait signifier beaucoup plus.

- Bleu, dis-je sans parvenir à décrocher mon regard des yeux de Rose, Rend-là invisible, sauf à mes yeux. Ouvre la porte, referme derrière nous. Ensuite, tu surveilles nos chambres. Tu viens tout de suite m’avertir si tu vois quelque chose.

- Bleu oui !

La porte s’ouvrit aussitôt avec un déclic.

- Tu viens ? dis-je en faisant un pas vers la porte.

Rose hocha la tête, toujours avec son grand sourire. Nous passâmes la porte main dans la main, sans penser une seule seconde qu’il vaudrait peut-être mieux qu’on se lâche. La porte se referma d’elle-même derrière nous.

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