Chapitre 16 - Elwin

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J'avais le droit d'aller dans la salle, maintenant. Et aussi dans une autre, appelée le gym. Maintenant, j'étais tout autant inoffensif que les autres patients. Il y avait toujours Finlah pour me suivre partout, mais seulement lui. J'avais le droit de me mêler aux autres, dont Marie la Reine, Sushi, Orange et Mario Bros. Ils me parlaient comme si nous étions amis depuis toujours. Mais moi, je ne leur parlais pas. J'avais l'impression que mon cœur allait exploser aussitôt que j'ouvrais la bouche.

Maintenant, je comprenais Bleu, comment il avait dû se sentir quand je lui avais dit de partir, et que je ne l'avais jamais rappelé en six ans.

Personne ne s'était inquiété que mes mèches bleues fussent devenues vertes, et pâlissaient toujours un peu plus chaque jour. Tout le monde croyait déjà d'avance que ce n'était que des fausses mèches, de toute façon. J'essayai parfois de réfléchir à une façon de les faire redevenir bleues, mais je n'y arrivais pas. J'avais le cerveau trop embrouillé par les médicaments pour réfléchir correctement.

J'étais dans la salle, assis à une table avec mes nouveaux amis, à jouer au scrabble. C'était le jeu préféré de la Reine, alors on y jouait souvent. J'avais beau être nul en anglais à l'école, comparé à eu, j'aurais eu de quoi faire prof. J'avais arrêté l'école à quatorze ans, d'accord. Sushi, lui, il était ici depuis qu'il avait cinq ans. Et même, lui, c'est le japonais qu'il avait appris. Maintenant, il s'avait le parler, mais l'écrire, c'était une autre histoire. Orange était française, Mario était mexicain et avait vécu son enfance dans l'espagnol. Moi, j'avais été élevé en français, mais au moins, je savais déjà parler l'anglais, même si je n'avais pas vraiment le bon accent. Alors, à jouer à scrabble, ça donnait un effet désastreux. Sushi donnait des suites de lettre qui ne voulait rien dire, pour ensuite dire : « ça veut dire salut ». Un peu plus tard, il mettait les mêmes lettres et disait « ça veut dire bonne nuit ». Mario fessait de même avec l'espagnol. Orange aussi, mais là je voyais bien que ses mots ne voulaient rien dire. La Reine n'y voyait que du feu, parce qu'elle ne connaissait rien d'autre que l'anglais.

Au milieu de notre partie, j'entendis une cloche. Ça voulait dire qu'il était temps de retourner à notre chambre. Tous les autres se levèrent, et moi, je restais assis, à regarder le plateau du jeu de scrabble. Si j'avais eu dix secondes de plus, j'aurais eu le temps de mettre le mot « bleuet ».

- Allez, Elwin, on se lève, dit Finlah derrière mon dos, une main sur mon épaule.

Je ne bougeai toujours pas. J'avais envie de tout, sauf de me lever. J'avais envie, surtout, de voir Bleu.

- Allez, lève-toi.

Finlah m'agrippa plus fermement pour me forcer à me lever. Je me laissai faire, n'ayant pas envie de lutter. J'étais aussi déprimé que le jour d'après cette nuit-là. Le jour d'après seulement, car la nuit même, je n'étais pas déprimé, j'étais seulement en panique. C'était une émotion beaucoup trop forte pour moi, présentement.

Arrivé à ma chambre, j'allai directement sous la douche. Je restai assis sous le jet tout le long, regardant l'eau légèrement teinté de vert couler dans le trou. Peut-être que c'était ça, en fait. Toute ma vie n'avait été qu'une illusion, mais maintenant, je le voyais bien ; rien n'était vrai. Si je ne pouvais plus voir Bleu, c'était parce qu'il n'avait jamais existé. Si mes mèches déteignent, c'est parce qu'elles n'étaient pas vrai. Si j'étais ici, c'était parce que j'étais réellement cinglé. Parce que j'avais réellement tué Suzie et Jimmy.

J'enviais ces deux patients qui s'étaient noyés dans leur bain.

Le jet d'eau s'arrêta de lui-même après dix minutes, et je sentis l'air froid me donner des frissons presque instantanément. Je regardais les petits poils hérissés de mes bras, cherchant un bleu. Je n'en trouvais aucun. Deux minutes de plus, et Finlah vint cogner à ma porte, pour s'assurer que tout allait bien. Je ne répondis rien, alors il entra. Je me repliais sur moi-même, toujours assis au fond du bain, pour qu'il ne voie rien de trop intime. Finlah leva la tête pour ne pas risquer de me voir et m'apporta une serviette. Ensuite, seulement, il s'agenouilla devant moi, sur le tapis.

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