Si Finlah avait une idée de ce que j'étais en train de faire, il se mettrait surement en colère. Il me giflerait, comme il avait déjà fait une fois. Il me donnerait plus de médicaments, ou il dirait que j'hallucine, c'est tout. Mais je préférais halluciner et voir ça, que d'être coincé dans la morne réalité.
J'étais couché dans mon lit. J'avais retiré le bandage que l'infirmière avait mis sur la brulure que Sushi m'avait faite. Je passais mes doigts dessus, ça me faisait mal, mais c'était le bût. La douleur me venait par flash, un pincement qui ne durait qu'une seconde, le temps que j'appuie dessus. Dans la seconde, une image me venait, toujours la même ; mon frère en voiture avec le psy. Évidemment que ce n'était que le fruit de mon imagination débordante, mais ça me semblait tellement réel. Et puis, réelle ou pas, c'était Simon. Je voyais Simon, à une dizaine de centimètres de moi ; il ne m'aurait fallu que de tendre le bras pour toucher son épaule. À chaque flash de douleur, flash d'image, j'essayai de tendre le bras – pas le mien, mais celui de ma vision. Au final, ce n'était que mon bras – le moi couché dans le lit – qui se tendait. Ça ne réussissait qu'à me déprimer un peu plus à chaque tentative.
- Simon, tourne la tête, murmurais-je.
L'image disparut. J'appuyai un peu plus fort sur la brulure ; la douleur fût trop forte et je ne pus que gémir en retirant mon doigt. J'ouvris les yeux, prit une grande inspiration, puis les fermais à nouveau, touchant du bout du doigt ; l'image revint.
- Simon !...
Elle était déjà terminée. J'ouvris les yeux encore une fois, mes yeux qui commençaient à s'inonder un peu, puis remis mon bandage en place. Je serais les dents sous la nouvelle douleur, mais, sans me concentrer sur autre chose que placer mon bandage, je n'eus aucun flash d'image. J'essuyai mes yeux d'un revers de main, reniflant, et Finlah entra au même moment avec mon repas. Il l'avait clairement remarqué depuis le moment où il avait passé la porte, mais il prit le temps d'installer le cabaret sur le bureau avant de se tourner vers moi.
- Pourquoi tu pleurs ?
- Ma brulure me fait mal, dis-je en détournant les yeux.
- Courage, ce n'est pas si grave, dit-il avec un petit sourire et une petite tape sur l'épaule. Ne joue pas avec et ça va guérir vite.
Puis Finlah ressortit de la chambre, me laissant seul avec moi-même. J'allais chercher le plateau sur le bureau et l'apportai à mon lit, le posant sur mes genoux alors que je m'adossais confortablement contre mon oreiller. Steak, riz et brocoli. Je mis le verre d'eau sur la table de chevet et attaquai mon steak, essayant de le couper, sans vraiment y parvenir. Le couteau me glissait des doigts chaque fois que j'essayais de couper. Plus j'essayai, plus j'avais conscience de mes doigts engourdie, plus j'avais conscience que mon corps tout entier l'était. Tout le temps.
Dans une dernière tentative, le couteau me glissa des doigts et atterrit au sol, tachant mes couvertures au passage. Capitulant, je mangeai le steak avec mes doigts.
Est-ce que j'ai toujours été aussi mou ? Je ne m'en étais pas rendu compte, pour sûr. Dans mes souvenirs, j'étais plutôt vif, assez fort quand même. Quand j'aurais pris un ou deux ans de plus, j'aurais eu ma place assurée dans l'équipe de soccer et je serais devenu un grand cliché. Avec un peu de chance, j'aurais eu une poussée de croissance, encore mieux si je pouvais dépasser Simon. Mais ça aurait fait bizarre, quand même, il est le plus vieux, il se doit d'être le plus grand, enfin, on n'est pas dans Supernatural. Alors, pour égaliser un peu les choses, disons un ou deux centimètres plus petits, mais pas plus.
Prédestiné au cliché du sportif... regardez-moi, je n'arrive même pas à couper mon steak.
Je n'avais pris que quelques bouchés, mais déjà, je n'avais plus faim. J'allais remettre le cabaret sur le bureau, mais gardais le verre d'eau près de moi. Je ramassai le couteau toujours au sol, puis je me rendis compte que ce n'était pas un couteau à steak, mais plutôt un couteau à beurre. Évidemment, ça expliquait peut-être pourquoi c'était un peu difficile à couper, mais surtout pourquoi Finlah m'avait laissé seul avec un couteau. Sans trop réfléchir, j'essuyai la lame sur le bandage que j'avais au bras, pensant bien faire, mais la douleur me fit grincer des dents sous le choc. J'avais déjà oublié que le bandage était là pour une raison.
- Je suis cinglé, murmurais-je.
Je fermai les yeux et appuyai le couteau bien fort contre le bandage. Cette fois, l'image dura plus longtemps, mais pas de beaucoup. Simon me regardait droit dans les yeux, et j'entendis clairement ce qu'il me disait, en pleine panique : « bouge-toi ! »
- Mais j'essaie ! hurlais-je en lançant le couteau au loin. J'essaie, je fais que ça, je sais pas comment faire !
Je me laissais tomber, dos contre le lit, en étoile. J'en avais marre, d'halluciner rien qu'avec mes yeux, mes oreilles, je voulais interagir avec ce que je voyais, je voulais parler à mon frère, le toucher, le prendre dans mes bras et lui dire comment il me manque !
Je retirais mon bandage et l'abandonnai au coin de mon lit, puis regardai ma brulure en forme de main. La main de Sushi. Je pensais à essayer à nouveau, encore, aussi longtemps que je n'aurais pas réussi à parler à Simon. Mais, en regardant la brulure de Sushi, je pensais à toute autre chose ; Sushi lui-même. Si quelqu'un savait me dire comment faire quelque chose d'impossible, ce serait bien un type qui sait réellement faire des trucs impossibles.
Je me levai de mon lit et allai à la grille, portant la chaise de mon bureau devant pour me mettre à la bonne hauteur, puis tirais dessus de toute mes forces ; elle ne bougea pas d'un centimètre. Peut-être que ma seule chance de parler à Sushi ne sera que demain, quand on sera de retour dans la salle pour jouer au scrabble, mais je commence à le comprendre, mon petit cerveau de malade mental ; peu importe comment dur je veux quelque chose, je l'aurais oublié avant demain soir. Et puis, de toute façon, il sera trop tard rendu là ; Simon m'a dit de me bouger, il faut que je bouge. Quand il me lance un ordre, c'est plus fort que moi, il faut que j'obéisse. C'est comme si j'étais son elfe de maison. Ou son lutin, comme il aimait bien m'appeler... puisque les Schtroumpfs sont des genres de lutins... Simon ne pouvait jamais lâcher les Schtroumpfs, surtout quand ça en devenait énervant.
- Ouvre-toi ! hurlais-je.
Je donnais en grand coup dans la grille, puis un deuxième, puis un dixième. Je poussai un grand soupir, me hissant sur la pointe des pieds pour voir au-delà de la grille, le petit couloir où j'avais vu Marie si souvent. Si seulement elle pouvait venir, là tout de suite !
Changeant de plan, je retournai à mon lit et appuyais sur le bouton pour appeler Finlah. Il lui faudrait entre cinq et dix minutes pour se ramener, normalement, mais j'allais tout de suite près de la porte, apportant mon couteau à beurre avec moi, tremblant d'impatience.
Je me sentais plus saint d'esprit que je ne l'avais été depuis le jour où on avait commencé à me donner ces médicaments. C'était surement faux, peut-être que j'étais en plein délire, là tout de suite. Que je courrais après une fausse image apparut de nulle part dans ma tête. Il y avait 99 pour cent de chance que c'était le cas. Après tout, c'était une image, et je l'avais vu qu'en fermant les yeux. Une chance sur cent, une minuscule chance que je ne sois pas totalement fou. 99 chances que je ne fasse que m'enfoncer encore plus.
- Pense pas à ça, El, dis-je pour moi-même. Dans le pire des cas, Finlah va me ramener à ma chambre, dire « tu hallucines, Elwin, maintenant va te coucher ». Je n'ai rien à perdre. Mais j'ai tout à gagner.
Pour passer l'attente, je me mis à compter, perdis le compte vers trente, recommençai, puis oubliai subitement quel était le nombre entre seize et dix-sept. Je me frappai le front sous le désespoir, totalement incapable de m'en rappeler. Ces médicaments me faisaient plus de mal que de bien. Il me fallut près de deux minutes avant de me rendre compte qu'il n'y avait rien entre seize et dix-sept. Rien d'entier, du moins. Là, s'aurait été le moment ou Simon et sa grosse tête se serait ramené pour dire « bah ouais, y'a seize virgule un, seize virgule deux... » Il aurait continué à l'infini jusqu'à ce que je m'énerve contre lui et qu'on finisse par se battre dans le plancher et que maman nous prive de Mario Kart. C'était déjà arrivé plusieurs fois.
Revenant à la réalité, j'entendis les bruits de pas qui se rapprochaient derrière la porte, de plus en plus près. Je serais le couteau contre moi, me demandant un instant ce que j'étais censé en faire ; le poignarder ? Lui beurrer une tranche de pain ? Je réfléchissais sérieusement à la question quand la porte s'ouvrit enfin sur Finlah. Il fit un pas dans la chambre et, avant qu'il ne se rende compte que je n'étais pas dans mon lit, je me faufilais derrière lui pour passer la porte qui était toujours ouverte, puis courus à toute jambe dans le corridor en direction de la chambre numéro 9, soit celle de Sushi.
- Elwin ! entendis-je derrière moi. Qu'est-ce que tu me fais ? Reviens là !
J'ignorais Finlah et continuai de courir aussi vite que je le pouvais, ce qui voulait dire, il y a un temps, plus vite que tous mes amis, maintenant un peu moins. En trente secondes, je commençai déjà à me sentir épuisé. J'avais un poing de côté. Des points noirs dansaient devant mes yeux. Je ne comprenais plus rien ; c'était vraiment à cause des médicaments, si j'avais maintenant si peu d'endurance ? Ou bien, tout simplement, parce que je n'en ai jamais eu ?
- Arrête de douter, El, Simon compte sur toi ! murmurais-je.
J'accélérai le pas, tournant le coin d'un corridor. Je vis le chiffre treize sur une porte ; le neuf était tout au bout de ce corridor.
- Elwin ! entendis-je encore. Reviens par ici !
J'étais enfin arrivé devant la chambre de Sushi. Je cognai frénétiquement contre la porte, essayant de l'ouvrir, mais j'avais oublié un détail ; il fallait la clé pour ouvrir les portes, et je ne les avais pas. J'essayai de glisser mon couteau dans la fente, crocheter la serrure, n'importe quoi, mais rien ne marchait.
- Sushi ! criais-je en m'aplatissant contre la porte. Hé, Sushi !
Sushi ne me répondit pas, ou même s'il l'avait fait, je n'eus pas le temps de m'en rendre compte, car Finlah me rattrapa, m'agrippant à bras le corps, me faisant tomber tête première contre le sol de métal. J'entendis un pang se répercuter en écho, puis Finlah se releva à côté de moi et m'enfonça le pied dans le ventre, exactement comme Sushi un peu plus tôt dans la journée. Les larmes me montèrent aux yeux sous la douleur. Finlah m'agrippa l'épaule pour me forcer à me mettre assis, et je me laissais faire, me tenant toujours le ventre. Ça me faisait tellement mal que j'avais envie de vomir.
« Désolé, Simon, j'ai pas réussi, sur ce coup-là. »
Je fermais les yeux, essayant de voir Simon, mais tout ce que je vis, ce fut moi-même, et Finlah devant moi. J'ouvris les yeux, les levais vers Finlah. Je sentis une larme couler sur ma joue. Finlah prit sa tête de gentil avant de s'accroupir devant moi.
- Qu'est-ce que tu me fais, là, Elwin ? demanda-t-il en posant doucement sa main sur mon épaule.
Je me dégageai d'un mouvement d'épaule, détournant le regard.
- J'ai besoin de parler à Sushi, marmonnais-je. C'est important.
- Tu lui parleras demain, quand...
- Tout de suite ! hurlais-je en me relevant. Il faut que je lui parle tout de suite ! Sushi !
Je me retournai vers la porte, cognant de toute mes forces, mais Finlah me coinça dans ses bras et me força à reculer.
- Tu obéis, Elwin, ou sinon, tu sais ce qui va se passer.
Je me tortillai, essayant d'échapper à son emprise. Finlah me fit tomber au sol de ses pieds et me l'enfonça encore une fois dans le ventre. J'arrêtai aussitôt de me débattre, me mettant plutôt à pleurer, sans parvenir à m'arrêter. Finlah m'agrippa le bras, la main directement sur la brulure, et me traina vers ma chambre, alors que j'étais toujours étendu, essayant de me relever.
- Lâche-moi... lâche-moi, Finlah, tu me fais mal, dis-je entre deux sanglots.
- T'as eu ce que tu mérites, trou du cul.
L'insulte résonna plusieurs fois dans ma tête, à chaque fois un peu plus forte et plus cruelle. D'autres larmes coulèrent de mes yeux, alors que je me débattais toujours pour qu'il me lâche ; sa main sur ma brulure, c'était atroce.
Finlah me traina ainsi sur tout le long du corridor avant de me lâcher enfin. Je me laissais tomber sur le dos, tremblant sous la peine de retenir mes larmes. Finlah s'accroupit près de moi, un petit sourire aimable au visage. Sa tête de gentil commençait à me faire tout aussi peur que sa tête de méchant.
- T'es conscient de mériter ce que je te fais, pas vrai, Elwin ? Tu n'as plus le droit de sortir de ta chambre, à cette heure, mais tu es tout de même sortie. Il faut te faire comprendre que c'est mal, ce que tu as fait.
- O-oui, dis-je tout bas. Je n'aurais pas dû. J'ai compris.
Finlah se releva, puis me tendit la main. J'acceptai son aide, parce que je n'avais pas vraiment le choix, et il me tira tellement fort que je me relevai pour m'écraser contre le mur. Je me mordis la lèvre et, éloignant la tête, je vis une tache de sang sur le mur. Finlah m'agrippa par le bras encore une fois et m'entraina vers ma chambre.
- Tu viens de perdre le droit d'aller dans la salle pour, disons... une semaine. Je crois que ce sera suffisant. Si tu essaies encore de sortir, ce sera un mois. Compris ?
Je hochai la tête, n'essayant même plus d'arrêter mes larmes de couler. Comme vont les choses, je ne pourrais jamais parler au Simon de ma vision.
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Bleu
ParanormalTout ce que je souhaitais, dans la vie, se résumait à entrer dans l'équipe de soccer de mon école et passer de bon moment avec ma petite amie Suzie. J'étais assez populaire. J'avais une assez bonne façon de me faire remarquer, avec mes cheveux bleus...