An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, Vasilias, Terres de l'Ouest.
Le tapage dans la taverne Wildave allait grandissant au fur et à mesure que les minutes s'écoulaient. Je m'étais installé au comptoir environ une heure plus tôt, après avoir fait un tour à la guilde des chasseurs du coin. Ils m'avaient donné dix pièces de cuivre en échange des trois carcasses que je leur avais ramenées : deux lièvres et un petit chevreuil.
En une heure, j'en étais déjà à mon cinquième verre d'Eau-de-mer – une spécialité locale légèrement alcoolisée – et leur effet se faisait ressentir : la tension de mes épaules était partie, mes muscles engourdis après cette journée de chasse étaient plus détendus et l'ambiance bruyante du Wildave me revenait moins nettement qu'une heure auparavant. Je sirotais mon verre rempli du liquide bleu-violacé en humant les légères senteurs d'alcool et de fleurs. L'Eau-de-mer était un mélange d'eau océane dessalée thermiquement et de fleurs violettes fermentées qui tiraient leur nom, Vas, de Vasilias, seul endroit où l'on pouvait les trouver.
Et je me demandais ce que l'autre type assis au fond de la taverne pouvait bien me vouloir. J'avais surpris plusieurs fois son regard s'attarder sur moi, les rires étouffés de ses hommes répartis à travers la salle. Il s'agissait sûrement d'habitués du Wildave car, lorsqu'une rixe s'était déclenchée entre deux types éméchés, le propriétaire s'était contenté de jeter un regard las à cet homme au fond et celui-ci avait simplement claqué sa chope sur la table en bois. Les gars ivres étaient sortis pour continuer leur petite bagarre.
Ça ne me plaisait pas trop. C'était la deuxième fois que je venais ici depuis le début de la semaine. Il avait dû me repérer. Par mes vêtements de Chasseur du Nord, par mon accent, par mes armes. Je ne savais pas. Tant qu'il me fichait la paix, tout irait bien.
Mais, à sentir son regard perçant sur ma nuque, j'avais bien peur qu'il passât à l'action. Dès ce soir, j'aurais quitté Vasilias. Je n'aurais alors plus à m'inquiéter de ce gars. En attendant, les bas-quartiers de la capitale n'étaient pas bien famés et je ne comptais pas attendre les preuves de cette réputation sordide.
Je m'apprêtais à demander un sixième verre d'Eau-de-mer quand la porte d'entrée s'ouvrit pour la énième fois, laissant entrer une brise fraîche qui chatouilla désagréablement la peau exposée de ma nuque. Le son diminua aussitôt dans la taverne, attirant mon attention. Des pas légers sur le parquet grinçant du Wildave, une odeur atténuée d'orage et le nouvel arrivant s'installa sur le tabouret à ma droite. Intrigué, je levai les yeux.
C'était une nouvelle arrivante.
Comme la fille s'était assise à côté de moi, je n'eus le droit qu'à son profil, mais celui-ci m'en révéla déjà long. Un nez droit légèrement en trompette, des lèvres fines et joliment dessinées, une mâchoire douce, mais serrée en ce moment. Ses cheveux raides étaient aussi noirs que l'encre utilisée pour les tatouages dans mes Terres natales et coupés en carré à longueur de mi-cou. Néanmoins, ce qui attira le plus mon regard, et sûrement celui de tous les autres occupants de la pièce, furent ses vêtements. Typiquement occidentaux, en tissu souple et visiblement de bonne qualité et, surtout, aux anneaux d'or.
La mode occidentale consistait à rattacher des pièces de tissu les unes aux autres grâce à des boucles de différentes tailles. La demoiselle en possédait plus que la moyenne : un au niveau de chaque épaule, un à chaque hanche, pour son haut et son pantalon, et deux anneaux serrés à chaque cheville et aux poignets pour retenir les parties qui servaient de manche et pantalon. En or. Sidéré, je la dévisageai – et je fus loin d'être le seul –, mais elle ne prêta attention qu'à l'écriture serrée du tableau noir indiquant les boissons proposées. Elle portait une cape bleu marine pour se protéger de l'air encore frais de ce printemps tardif. Quelque chose attirait mon regard en plus de ses vêtements manifestement de bonne qualité et chers : leurs couleurs. Elle n'arborait pas le bleu marine et le gris argenté de la noblesse vasilienne. Mais du turquoise et du blanc. Les teintes de la royauté.
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Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]
FantasyCinq Dieux primordiaux créèrent Oneiris : le Temps, l'Espace, la Matière, la Vie et la Mort. Pour être au plus près de leurs fidèles, les divinités acceptèrent de se montrer à eux dans des enveloppes charnelles. Nombreux échanges eurent alors lieu d...