Chapitre 23 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 3e mois de l'été, la Place des Cinq, le Noyau.



Le silence qui s'était installé dans le Noyau était d'autant plus percutant qu'il avait été précédé par maints cris, explosions et révélations. Installée près du feu que Soraya Samay avait allumé des heures plus tôt, j'essayais de trouver le sommeil. À quelques mètres de moi, les respirations paisibles de Wilwarin et de l'Impératrice se mêlaient aux crépitements des flammes.

Les yeux grands ouverts sur le ciel étoilé, je ruminais. Mes idées, mes actions, mon avenir. Qui étais-je pour estimer qu'une seule vie parmi tant d'autres méritait d'avoir une seconde chance ? Qui pensais-je être lorsque j'avais accepté le marché de Dame Galadriel ? Qui allais-je être, demain ?

Frustrée d'être fourmillée de mille questions, mais de n'avoir aucune réponse valable, je me redressai, observai mes paumes écorchées puis ris à voix basse. Dire qu'il y avait un peu plus de trois mois, je dormais dans des draps de soie, profitais d'eau claire tous les matins et mangeais à ma convenance tous les soirs. Ma seule préoccupation de l'époque était alors d'annuler mes fiançailles avec Dastan Samay. Un autre rire nerveux s'échappa de mes lèvres : au moins un désagrément mis de côté. J'étais bien contente que mon mariage avec cet homme n'eût jamais lieu. Je préférais ne jamais connaître l'amour plutôt que de m'offrir à un tel individu.


Incapable de trouver le sommeil, je récupérai mes chaussures et me levai. Comme une brise fraîche soufflait, j'enfilai ma veste et partis en direction des sous-bois. Aion ne s'était pas de nouveau manifesté. Ni Achalmy. J'étais inquiète pour ce dernier. Que faire s'il était parti sans prévenir ? Sa froideur et sa colère lorsque je lui avais annoncé la vérité m'effrayaient encore. Je me doutais qu'apprendre que l'on était revenu des morts n'était pas plaisant. Mais il avait réagi plus virulemment que ce à quoi je m'étais attendue.

La brise soufflait entre les feuilles, quelques insectes chantaient. Je me sentais minuscule, seule et perdue au milieu du cœur du monde. J'avais accepté un poids trop lourd pour mes frêles épaules. Je m'étais pensée à la hauteur.

Quelle arrogance...

Les lèvres plissées, je marchai sans direction, les yeux rivés au sol pour ne pas trébucher sur une racine. Qu'aurait fait Galadriel si je n'avais pas accepté ? Étions-nous vraiment les seules personnes capables de ramener Kan et Eon à leur berceau ? Les Dieux comptaient-ils réellement sur nous pour sauver la destinée d'Aion ?


Au bout d'un moment, lasse de marcher, je me laissai choir sur une pierre près d'un ruisseau. L'eau devait venir directement du sol : il n'y avait pas de montagnes dans le Noyau. Un énième mystère divin.

L'écoulement discret reflétait l'éclat argenté de la lune et des étoiles. Je tendis les doigts vers le ruisseau. J'aurais aimé contrôler l'eau, comme le faisait Achalmy. J'aimais, bien évidemment, le vent et la foudre. Néanmoins, la puissance cachée du premier et l'instabilité de la deuxième me faisaient craindre ces éléments. Ils étaient trop impétueux pour moi. Ironiquement, ils allaient mieux à Al.

Je m'en voulais d'avoir blessé Achalmy en choisissant, à sa place, sa destinée. Néanmoins, je lui en voulais aussi d'avoir été si brutal. Il n'avait pas fait mine de réfléchir à ce qui m'avait motivée. Ce n'était pas seulement la tâche requise par les Dieux. C'étaient les promesses entre nous, les regards échangés, les sourires confiés, ce qui nous avait de nouveau réunis.

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant