Chapitre 10 - Achalmy

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l'été, campement du Rituel de Maturité, Terres du Nord.



Le soleil rasait les cimes des arbres à l'est, enflammant les nuages et rougissant l'immaculé du paysage neigeux. Le deuxième mois de l'été venait de s'installer, mais la neige subsistait. À hauteur du camp, la nature avait réussi à grignoter de l'espace, les jeunes pousses écartant les fragments de neige pour admirer le soleil, les sapins retrouvant leur splendeur, les animaux vagabondant entre les troncs. Pourtant, alors que l'Ouest et l'Est profitaient des douces soirées tièdes, des cultures foisonnantes et de la faune abondante, que le Sud dorait sous leur soleil chéri, le Nord continuait à frissonner dans l'air du matin et à se réchauffer auprès des feux de camp.

Parfois, la punition infligée par Lefk suite au Grand Désastre me paraissait injuste. Qu'avions-nous fait, nous, peuple sans prétention du Nord, pour mériter une telle désolation ? Ne pouvions-nous pas profiter de la vie comme les autres Terres ?

Tu as d'autres priorités, Al, me réprimandai-je alors que j'admirais le lever du soleil.

Je devais partir. Il était plus que temps. Après plus de deux mois de convalescence, j'étais prêt à reprendre la route.

À retrouver Alice.


La première semaine suivant notre affrontement contre le Noble avait été la pire. Pas que je m'en rappelais très bien ; je l'avais passée majoritairement inconscient. Cependant, les bribes de souvenirs que j'en gardai étaient très désagréables. Ma blessure au torse avait vite été prise en charge par les Maîtres d'Armes et un guérisseur, mais ça n'avait pas empêché l'infection de s'installer. La fièvre m'avait enivré plus fort que l'alcool, plus chaudement que la chair d'une femme, plus brutalement que la sensation de virevolter au combat.

S'il n'y avait pas eu Zane, avec son calme à toute épreuve, son inquiétude bornée ; s'il n'y avait pas eu mon père avec son amour tenace, sa main serrée autour de la mienne nuit et jour, la fièvre m'aurait emporté. Lorsque le guérisseur et Vanä, avec leurs concoctions à base de plantes affreuses, avaient réussi à faire baisser ma température, au début du troisième mois du printemps, ma guérison avait été plus supportable.

Mes quatre côtes cassées m'avaient cloué au lit un bon mois et demi. Au bout de deux semaines, les Maîtres d'Armes m'avaient autorisé à me lever pour soulager ma vessie ou mes intestins et faire de rapides ablutions. Les bandages qui enserraient vigoureusement mon torse n'avaient pas facilité la tâche et l'œil acéré de Vanä non plus.

Avoir été traité comme un amoindri, parfois un enfant, pendant deux mois, avait fini par me miner le moral et, ces deux dernières semaines, c'était de la morosité léthargique que les Maîtres d'Armes me protégeaient. La honte, les remords, le souvenir cuisant de ma défaite, le regard terrifié d'Alice et l'expression cruelle du comte Bastelborn me donnaient envie de disparaître au fond d'un trou gelé.

C'était peut-être uniquement grâce à l'attitude enjouée de Zane et à la bienveillance de mon père que je gardais encore la dignité d'un être humain. Car, après avoir été nourri à la petite cuillère, après avoir souillé mes draps dans les pics de fièvre comme un nourrisson, après avoir gémi, peut-être pleuré, je ne m'en rappelais plus, quel honneur me restait-il ?

Quand je n'avais eu cesse de répéter cette question aux Maîtres d'Armes, Zane s'était contenté de s'esclaffer et d'ébouriffer mes cheveux, ignorant mes interrogations, et mon père m'avait regardé de cet air soucieux que je ne lui connaissais pas.

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant