Chapitre 19 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 3e mois de l'été, la Zone Morte, Terres du Sud.



Mon père est mort. La divinité mineure Calamity nous a attaqués. Le comte Wessex Bastelborn est en réalité le Dieu Aion.

Je ne cessais de me répéter ces mots, sans qu'ils prissent un sens concret pour autant. La situation était trop absurde, irréelle, pour que je parvinsse à l'assimiler pour de bon. J'avais l'impression de flotter dans un rêve long et douloureux duquel j'étais incapable de sortir.

— Alice.

La voix percutante du comte – non, du seigneur Aion – m'arracha à ma rêverie. Nous marchions côte à côte depuis l'attaque de Calamity en direction du Noyau. J'ignorais ce que nous allions y faire, maintenant que mon père...

En serrant les dents, je refoulai les larmes qui me brûlèrent les paupières.

... que mon père était mort, Dastan Samay parti et les gardes décédés. D'un regard par-dessus mon épaule, je m'assurai que l'étalon gris qui portait le corps inconscient de l'Impératrice nous suivait encore. Le seigneur Aion m'avait assurée qu'il avait ordonné à l'animal de ne pas nous lâcher d'une semelle.

— Alice, voilà le Noyau, ajouta le Dieu, ses iris, qui changeaient de couleur sans fin, levés vers la façade qui se dressait devant nous.

Non, pas une façade. Une enceinte. Je pouvais voir sa courbure disparaître à l'horizon. L'esprit embrumé, il me fallut un moment pour prendre conscience de la particularité de la structure qui me faisait face. Combien de mètres le mur mesurait-il ? Deux fois, trois fois, les maisons les plus hautes de Vasilias ? Il était fait d'une roche noire qui brillait d'un éclat obscur dans le coucher de soleil. Je ne distinguais aucune ouverture, seulement une façade si régulière et parfaite qu'elle ne pouvait être l'œuvre des humains.

— Allons-y.

Comme je ne le suivais pas, Aion se tourna vers moi.

— Alice ?

— Qu'allons-nous faire, seigneur Aion ? m'enquis-je d'une voix tremblante.

Il m'observa un instant d'un air presque... triste. Puis il se tourna de nouveau vers le mur, les épaules tendues.

— Prendre ma revanche.


Sans dire un mot de plus, il reprit son chemin, et le cheval qui nous suivait avec lui. Dépitée, obligée de l'accompagner, je me forçai à mettre un pied l'un devant l'autre et ainsi de suite. J'avais faim, j'avais soif, mais ce n'était rien face au vide dans mon cœur.

Malgré les objectifs égoïstes et cruels de mon père, je ne parvenais pas à lui en vouloir. Tout ce que je ressentais, c'étaient la peine, les regrets, le manque. Je savais que son absence allait rapidement me peser et me meurtrir. Déjà, je m'en voulais de ne pas avoir insisté, avant ma fuite du château il y a quelques mois, sur le sujet de mon mariage. Si je m'étais montrée à la hauteur de ses attentes, peut-être aurait-il changé d'avis sur mon avenir ?

Mais il était mort, et c'était bien trop tard pour ces questions futiles.


Avec l'impression d'être attachée par une corde invisible au Dieu, je le suivais sans joie ni peine. J'étais vide, comme une amphore. Lointaine, comme les nuages dans le ciel. Perdue, comme une feuille dans le vent.

Nous longions l'enceinte du Noyau dans un silence entrecoupé par nos respirations et les échos des sabots du cheval. Même l'animal avançait sans manifester le moindre saut d'humeur.

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant