Chapitre 11 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l'été, à une centaine de lieues à l'est du château du Crépuscule, Terres de l'Ouest.



Trois jours étaient passés depuis les événements de la rivière. Errick avait mis plusieurs heures pour se réveiller. Et, quand il avait été en état de parler, c'était simplement pour se plaindre d'un violent mal de tête. Depuis, nous étions restés au camp et nous n'avions plus mis les pieds près de la rivière. Le comte s'absentait parfois, mais réapparaissait dès que quelqu'un faisait mine de s'éloigner. J'avais parfois l'impression qu'il pouvait nous surveiller sans nous voir.

Un malaise évident et une tension palpable étaient tombés sur le camp depuis l'attaque du comte Bastelborn sur le chef de troupe. Les gardes toisaient notre meneur avec aigreur et l'insultaient entre leurs dents à la moindre occasion. Je comprenais leur ressentiment, mais je craignais un autre coup de folie de la part du Noble.


Un chevreuil cuisait en grésillant pour le repas de midi. Avec deux autres gardes, nous épluchions des patates que nous avions déterrées à quelques minutes à pied. D'autres faisaient bouillir un peu d'eau pour faire du thé. Nous vivions de cueillette et de chasse, mais ces méthodes ne suffiraient plus à nous nourrir si nous ne changions pas d'emplacement. Les végétaux consommables et la chair animale allaient rapidement s'épuiser.

Avec les jours, et en remarquant la sympathie de leur chef pour moi, les gardes m'avaient accueillie parmi eux. Je n'étais sûrement pas une personne de haut rang à leurs yeux, mais j'avais enfin leur respect. Je n'aurais pas osé revendiquer mon statut de princesse. Pas alors que la terre s'accumulait sous mes ongles, que des loques me servaient de vêtements et que même un Noble me contrôlait tel un vulgaire animal.


Le comte Wessex Bastelborn s'était joint à nous pour le repas. Assis en tailleur face aux gardes, il grignotait paisiblement la chair juteuse du chevreuil. Ses cheveux tombaient avec volupté sur ses épaules délicates et ses mains graciles manipulaient la broche avec agilité. Ses traits fins et sa silhouette gracieuse lui conféraient une certaine allure. Dans d'autres circonstances, j'aurais songé à la beauté raffinée qu'il dégageait. Mais, aujourd'hui, je le voyais plutôt comme un monstre de folie caché dans une enveloppe d'oisillon délicat.

Malgré le souffle tiède qui soulevait nos cheveux, les chants des insectes et des oiseaux, le murmure des feuilles, une chappe glacée de silence nous entourait. Un peu à l'écart des gardes, j'observais avec crainte les expressions assombries des hommes et des femmes. Errick, à la mine défaite depuis l'accident de la rivière, avait à peine touché à son repas.

Quand il eut terminé, Ace Wessex Bastelborn se leva avec souplesse puis tourna les talons. Avant qu'il ne disparût dans les sous-bois, l'un des gardes lança :

— Mon seigneur, nous avons prévu de lever le camp cet après-midi.

Comme si son corps avait été retenu par des fils, le Noble se figea brusquement. D'un léger mouvement du bassin, il se tourna vers l'homme.

— Je vous prie de m'excuser, mais... je pense avoir mal compris.

Le garde afficha une expression grimaçante.

— Nous estimons être restés ici assez longtemps, comte Bastelborn. Nous devons ramener la princesse Alice à ses parents. C'est la raison pour laquelle le roi Silvester nous a envoyés.

Mes doigts se crispèrent sur mes cuisses quand le Noble se tourna complètement vers son interlocuteur. Celui-ci pâlit en remarquant l'expression figée du comte.

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant