Chapitre 18 - Achalmy

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l'été, lac Ishalgen, Terres de l'Ouest.



Le coucher du soleil était encore plus beau au bord d'un navire. Accoudé au bastingage, à l'arrière-pont pour éviter de gêner les matelots pendant leur travail, j'observais l'astre diurne disparaître dans les flots infinis du lac. Une immense traînée d'or liquide arrosait la ligne d'horizon tandis que les ultimes rayons chauds éclairaient le ciel, la mer et la terre.

Wilwarin était adossé au garde-corps à côté de moi, nauséeux. La tête dans les bras, son bâton entre les jambes, je l'entendais parfois gémir de malaise.

— Tu devrais voir ça, lui soufflai-je d'une voix avenante. C'est magnifique.

— J'aimerais te voir perché entre les branches d'un arbre fondateur d'Enetari, Chasseur, gronda-t-il d'un ton vexé. Je me demande si tu t'y sentirais aussi à l'aise que sur un navire.

Malgré sa pique, je souris. C'était la première fois que Wilwarin prenait un bateau. Comment lui en vouloir d'avoir le mal de mer ? Sans compter que les Orientaux étaient attachés à la terre, aux arbres, à la nature, plutôt qu'à l'océan, qui bordait pourtant tout une partie de leurs contrées.

Quant à moi, j'avais l'impression d'être sur un nuage. Le roulis apaisait mon cœur, le vent chargé d'humidité était un délice et l'odeur d'iode ne me dérangeait absolument pas. Et il y avait l'eau. Partout. Infinie, puissante, bienveillante. Elle m'entourait sans me toucher, me veillait sans m'agacer. Devant, derrière, au-dessus, en-dessous, je la sentais m'envelopper comme une douce couverture.

Tout mon être vibrait de plaisir à être ici, sur ce navire, voguant au milieu de nulle part, parcourant les distances au gré du vent et des vagues. La perspective de sauter à l'eau et de m'immerger pleinement en son sein était envoûtante. Néanmoins, la capitaine, remarquant mon regard planté dans les profondeurs du bleu-vert, m'avait aussitôt affirmé qu'elle ne me repêcherait pas si je me noyais.

Comme si je pouvais me noyer.


Malgré mes envies, je me retins de me jeter à l'eau et me contentai de grignoter des abricots et du pain sec, assis sur le bastingage. Wilwarin allait un peu mieux, mais pas assez pour manger ni boire. Heureusement pour lui, le voyage ne durait qu'un jour. Si tout se passait bien, nous serions à Ma'an demain soir. Derrière Alice, mais pas très loin d'elle non plus.

Mon cœur se serrait à chaque fois que je songeais à elle. Comment vivait-elle les événements de ces derniers mois ? Parvenait-elle à garder la tête froide grâce à sa bonté et à son obstination ? Gardait-elle espoir ? Ou s'était-elle laissée submerger ?

Alice, tiens bon. Sois forte.

Le regard rivé aux dernières lueurs claires au fond du ciel, je faisais rouler le noyau de mon fruit entre mes doigts. Je m'étais pris d'affection pour elle. Je refermai brusquement le poing autour du noyau. Était-ce seulement de l'amitié ?

Irrité, je balançai le reste de mon abricot par-dessus bord et, avant qu'il ne touchât la surface, l'enveloppai d'une bulle d'eau. Avec quelques mouvements de doigts, je m'amusai à la faire virer, aller dans différentes directions, monter et descendre. Puis, lorsque j'eus satisfait mon esprit confus, je fis exploser la bulle d'eau et le noyau avec.

J'aurais aimé que ce fussent les têtes du Roi et du comte.


Comme il faisait une chaleur encore conséquente, Wilwarin et moi décidâmes de dormir sur le pont-arrière, près du garde-corps. Nous étions loin d'être les seuls à le faire, d'ailleurs. La quantité de marchandises en cale limitait l'espace et les hamacs étaient déjà réservés aux matelots. Ainsi, la plupart des voyageurs dormirent sur le pont avec une couverture et un sac sous la nuque en guise d'oreiller.

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant