Chapitre 20 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 3e mois de l'été, le Noyau.



Je lui avais fait une promesse. Je ne l'avais pas déclarée à voix haute, mais j'espérais qu'il s'en était rendu compte. Comme il m'avait juré de veiller sur mon honneur, je m'étais promis d'essayer de protéger son cœur. De conserver son âme libre et sauvage, mais dépourvue de cruauté. C'était peut-être arrogant de ma part, mais c'était une façon de le remercier de tout ce qu'il avait fait pour moi.

Le vent frais du campement du Rituel de Maturité me semblait tout à fait réel tandis que je me rappelais la gravité de sa voix lorsqu'il m'avait annoncé qu'il veillerait sur moi, sur mon honneur. Nous sortions tout juste d'une confrontation avec un jeune Chasseur désinvolte qui m'avait fait des avances.

Avant que j'eusse pu prendre ma défense, Al s'était lancé dans le combat, m'enfermant au passage dans une prison de glace. Indignée par ce traitement, je l'avais giflé. Puis, avec le calme un peu morose qui le caractérisait, il avait affirmé que le différend était né de sa propre indignation. J'avais compris qu'il n'avait guère aimé la façon dont le jeune homme m'avait observée et traitée.

À la suite à cet acte spontané de sa part, je m'étais juré de protéger son cœur. Achalmy était fort, désinvolte et, parfois un peu trop fier, mais doté d'envies pures et de désirs nobles. Toutefois, ce n'était plus lui, le jeune homme au sourire rare et amoureux de la nature, lorsqu'il tuait. C'était une coquille vide, froide et dénuée de pensées, qui tranchait la chair, brisait les os et arrachait la vie.

J'avais le sentiment que chaque meurtre poussait un peu plus Al vers un néant gelé d'où il ne reviendrait jamais s'il avait le malheur d'y faire un pas. De tout mon cœur, je voulais être la main tendue qui l'empêcherait de sombrer.


Et, là, à moitié avachi sur le corps immobile du Dieu, le visage et le cou éclaboussés de sang, il avait sombré. Ses yeux étaient ceux d'une bête enragée : trop vides et trop pleins à la fois. Il avait tant serré les dents pour se retenir de hurler que des veines avaient fini par saillir à ses tempes. Ses mains meurtries tremblaient nerveusement alors qu'il me dévisageait en haletant.

Ses traits étaient tirés de colère, ses yeux luisaient de haine et sa bouche était plissée de dégoût. Il me donnait à la fois envie de m'éloigner de lui et de le prendre dans mes bras. Sa rage était si palpable, si justifiée, que je n'arrivais pas à lui en vouloir.

Ses poings déments avaient transformé le charmant visage du Dieu en était une bouillie d'os et de chair trempés dans du sang visqueux. Était-il au moins encore en vie ?


Avec des gestes mal assurés, Achalmy se redressa sur ses appuis puis contourna le corps inerte de l'ancien Noble en serrant ses mains ensanglantées contre sa poitrine. Son visage s'était figé en expression médusée.

— Par les Dieux, souffla Soraya Samay en s'approchant à pas incertains du seigneur Aion. Il va tous nous faire tuer.

Tout aussi hébétée et apeurée qu'elle, je pris tout de même le temps de déclarer :

— Je... Je crois qu'il l'a laissé faire.

Les visages de l'Impératrice, d'Al et de la troisième personne – un inconnu – se tournèrent vers moi. Une nouvelle vague de panique me submergea, mais je m'efforçai à rester calme. Avec Achalmy abasourdi par son propre geste, la Sudiste effarée par le comportement de mon ancien compagnon de route et l'inconnu muet d'horreur, je devais me montrer à la hauteur.

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant