Chapitre 18 - Alice

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois de l'été, la Zone Morte, Terres du Sud.



Le soleil s'était levé déjà deux fois depuis que nous avions quitté Ma'an. Les heures s'étiraient avec une lenteur insupportable tant la monotonie du paysage aride et vide et l'absence d'échanges dans le groupe me desséchaient. Personne ou presque ne parlait. Les sons les plus bruyants auxquels nous avions affaire étaient les supplications et les cris étouffés de l'Impératrice bâillonnée et attachée, jetée en travers du dos de sa monture comme s'il s'était agi d'un vulgaire sac de légumes. Je compatissais à son sort, l'ayant vécu durant quelques heures après la bataille du campement. Mais tout ce dont j'étais capable pour l'aider, c'était de lui murmurer de temps en temps ses paroles réconfortantes et d'envoyer vers elle mes pensées.

J'avais bien essayé de faire changer d'avis Dastan Samay et de le convaincre de laisser à sa sœur l'honneur de chevaucher libre. Cependant, le Sudiste était persuadé que l'Impératrice prendrait la fuite dès qu'elle aurait les mains déliées. Pourquoi refusait-il à ce point de lui laisser une chance ? Il n'avait qu'à tenir la bride du cheval de Soraya Samay pour s'assurer qu'elle ne s'enfuît pas. Mais cela aussi, il l'avait refusé.

Vraisemblablement, traiter les membres de sa famille comme de vulgaires animaux était aussi courant dans le Sud.


La Zone Morte méritait bien son nom. Malgré les propos du comte Wessex Bastelborn quelques jours plus tôt, et qui auraient dû me préparer, j'avais été frappée par la physiologie du terrain. Rien. Rien du tout. De la terre... non, à peine de la terre. Une espèce de poussière lourde qui ne se décollait même pas du sol sous les sabots des chevaux. Pas un brin de vent, pas une mauvaise herbe en vue. Le ciel était vide de nuages et les astres ne brillaient que faiblement la nuit, comme si un voile opaque et invisible recouvrait la voute céleste.

Heureusement, mon père et le Noble avaient prévu assez de rations pour le voyage, sachant que nous ne croiserions ni courant d'eau, ni plantes ou animaux. La température restait indifféremment la même, de jour comme de nuit, en plein soleil ou au cœur des ténèbres. Nous avions moins chaud qu'à Ma'an, mais l'air restait sec et assez lourd pour recouvrir de sueur nos fronts et nos nuques.

L'étrangeté du lieu me médusait et épuisait mon esprit. Ne voir que la terre infinie et plate, entrecoupée seulement par les mauvais tours que me jouait ma vue, minait mon moral comme de l'acide. Même les gardes semblaient s'être affaissés dans une espèce de monotonie mortelle qui sapait leur volonté et faisait rouiller leur réactivité.

Il n'y en avait qu'un seul que tout ceci laissait indifférent. Dont les yeux luisaient un peu plus à chaque mètre de gagné. Dont le visage s'étirait de plus en plus en sourire. Ace Wessex Bastelborn gardait le regard rivé à l'horizon, comme s'il était déjà capable d'apercevoir le Noyau d'Oneiris, le cœur de notre continent. L'endroit où je mourrai.


Je grignotais quelques raisins secs lorsque le garde avec lequel je chevauchais tira brusquement les rênes de notre monture. Avec un geste crispé, j'agrippai sa tunique pour ne pas tomber puis jetai un coup d'œil par-dessus son épaule. Nous chevauchions derrière mon père et le Noble, les autres soldats à notre gauche et Dastan Samay, tirant la monture de sa sœur, à notre droite.

C'était le comte Wessex Bastelborn qui avait immobilisé sa monture. Comme j'avais été plongée dans la dégustation de mes raisins secs, je n'avais pas fait attention au paysage. Au loin apparaissait une espèce de ligne noire. Mon cœur se serra : le noyau ?

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant