An 500 après le Grand Désastre, 3e mois de l'été, la Place des Cinq, le Noyau.
Le même froid, la même noirceur. Je me rappelais la première fois que j'avais expérimenté la mort : j'avais huit ans et j'avais été un peu trop curieux. C'était l'hiver, le domaine de Zane était recouvert d'un manteau de blanc et d'un voile de froid. Comme mon maître ne pouvait pas m'entraîner à cause des intempéries, j'étais parti me balader dans les Collines de Minosth. J'avais évidemment échappé à l'attention de Zane en passant par la porte de derrière.
Seulement armé de mon courage d'enfant et d'un petit couteau, j'étais allé explorer les rondeurs givrées des collines, m'émerveillant du paysage rendu homogène par la neige. C'était au détour d'un virage que je les avais aperçus. Une bande de voleurs, emmitouflés de fourrure et de cuir, armés d'épées rouillées et d'arcs tordus. Classique pour les Collines de Minosth : la frontière était le rendez-vous privilégié des hors-la-loi venus dépouiller les voyageurs.
Fasciné par ce groupe hétéroclite d'hommes et de femmes de tout âge, j'étais resté à les observer pendant de longues minutes. Puis, sans avoir entendu quoi que ce soit, on m'avait soudain attrapé par le dos de mon manteau pour me soulever du sol.
Ils ne m'avaient pas laissé parler. Ils m'avaient fait les poches – rien si ce n'étaient mon couteau et un bout de pain piqué sur un coin de table avant de partir. Comme je commençais à maîtriser l'usage des éléments, j'avais vainement voulu me défendre. En envoyant un peu de poudreuse dans les yeux d'un voleur, je n'avais fait qu'énerver l'homme, qui avait commencé à me passer à tabac. Il n'en faut pas beaucoup pour faire perdre connaissance à un enfant de huit ans. Pas non plus énormément pour lui causer de sévères dommages à la tête.
Je n'avais repris mes esprits que deux semaines plus tard, comateux et saisi de vertige au moindre mouvement. Zane m'avait forcé à garder le lit pendant deux autres semaines. Durant cette période froide et morose, il m'avait passé les savons les plus sévères de mon enfance. Il était intervenu à temps pour que les voleurs ne m'ôtassent pas la vie. Il s'en était fallu de peu. Je n'étais plus jamais retourné seul dans les Collines de Minosth après cet accident.
Il y avait eu de nombreuses autres fois : quand j'étais tombé d'une falaise au cours d'une balade, à treize ans. Lorsque je m'étais perdu dans une forêt occidentale pendant une sortie avec Zane, deux ans plus tard, et que je m'étais blessé à la jambe. J'étais presque mort affamé quand il avait fini par me retrouver. Quelques mois après avoir terminé mon entraînement, j'avais été frappé d'une terrible fièvre, attrapée dans un village reculé de l'Ouest. Puis l'affrontement contre le conte Wessex Bastelborn. Des mois de convalescence.
Et, enfin, le combat contre Calamity. Peut-être la dernière fois, ma dernière chance.
Je regrettais de n'avoir pu être plus efficace au combat. Aion et moi avions réussi à affaiblir Calamity, nous étions sur le point de prendre définitivement le dessus. J'espérais sincèrement que le Dieu déchu allait réussir à défaire son ennemi ancestral. Le contraire me rongeait : qu'allaient devenir Alice et Wilwarin si jamais la divinité des désastres gagnait ? Il les tuerait sans hésiter une seule seconde.
Quant à moi, je me sentais partir doucement, mais sûrement. Déjà, je n'avais plus qu'une sensation diffuse de mon corps. Je n'étais même plus certain de respirer. Mes yeux observaient du noir, mes oreilles écoutaient le silence, ma bouche respirait le vide.
Lefk, fais vite, je t'en prie.
Mon Dieu protecteur semblait prendre son temps pour m'attirer à lui. Pourtant, j'étais prêt. Ma vie lui avait été promise dès que ma mère m'avait mis au monde. En tant que Nordiste, en tant que guerrier, le Dieu de la Mort avait toutes mes faveurs.
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Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]
FantasyCinq Dieux primordiaux créèrent Oneiris : le Temps, l'Espace, la Matière, la Vie et la Mort. Pour être au plus près de leurs fidèles, les divinités acceptèrent de se montrer à eux dans des enveloppes charnelles. Nombreux échanges eurent alors lieu d...