An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, lisière de la Petite Forêt, Terres de l'Ouest.
Le soleil s'était couché quand nous sortîmes de la Petite Forêt. Aussi silencieuse qu'un mort depuis notre escarmouche avec le chasseur, Alice m'avait suivi en traînant les pieds. Son attitude ne me surprenait pas, mais m'agaçait. Que croyait-elle ? Que personne ne s'en prendrait à elle en constatant que sa bourse représentait une année de durs labeurs ? Quelle naïveté.
Comme si la dégradation de nos échanges ne suffisait pas, la pluie s'était mise à tomber alors que nous montions le camp. Nous nous étions abrités sous les branches d'un grand chêne, mais ça n'avait pas empêché l'humidité de nous atteindre. Le repas avait été frugal et morose. La nuit humide, sombre et désagréable.
J'estimais à encore cinq jours de marche notre objectif. Mon ancien maître vivait au pied d'une des célèbres collines de Minosth. Il s'était installé là-bas il y avait des années et j'y avais passé la plupart de mon enfance à m'entraîner. Des vagues de souvenirs s'emparaient de mon esprit quand j'y songeais. L'odeur de l'acier et du cuir dans l'atelier, les froides soirées d'hiver passées devant la cheminée, le sang – mon sang, souvent – qui avait coulé durant ces années d'apprentissage, la sueur, la boue, la peur, le doute, la joie, la fierté. Le rire grave de mon maître, ses yeux chaleureux et sa manie de toujours mâchouiller quelque chose. Cela faisait deux ans que je n'avais pas revu Zane et il me manquait. Sous sa garde de mes sept à seize ans, il était devenu en quelque sorte un père à mes yeux.
Après avoir obtenu la Marque Noire à la fin de mon entraînement, j'avais quitté la demeure de Zane sans un regard en arrière. Âgé de seize ans avec une fierté mal placée, j'avais déambulé en vivant de la chasse et de contrats de mercenaire sur les Terres de l'Ouest sans jamais retourner dans mes contrées natales ni retrouver mon maître.
Serait-il prêt à m'accueillir – en plus d'Alice – après ces longs mois de silence ?
Il s'écoula une journée et demie avant qu'Alice ne daignât m'adresser la parole. Le lendemain de notre traversée de la Petite Forêt, il avait plu du matin au soir, rendant les chemins glissants des vallons que nous avions franchis. Notre septième jour de marche depuis Vasilias avait commencé par un soleil resplendissant dans un ciel nettoyé par les pluies de la veille.
Vers midi, je m'arrêtai sur la berge d'un fleuve tranquille, moyennement profond et à l'eau claire. Alice me suivait toujours d'un air maussade et recouvrit la parole lorsqu'elle me vit déposer sacs et armes à quelques mètres du fleuve.
— Pourquoi est-ce qu'on s'arrête ici ? s'enquit-elle en lâchant son matériel. On déjeune ?
— Oui. Et on va en profiter pour se récurer les ongles, princesse, répondis-je d'une voix narquoise.
Elle ne se décida à réagir que lorsque je commençai à me déshabiller.
— Attends, tu vas te laver dans cette rivière ?
— Oui.
Je débouclai ma ceinture et retirai mes couches supérieures. Aussitôt, Alice commença à s'éloigner en grommelant sur mon manque de pudeur. Souriant pour moi-même, je finis de me déshabiller puis entrai dans l'eau. Elle était froide, mais je préférais être propre. En fin de compte, la baignade était tolérable : grâce à mon don sur l'eau, j'étais en mesure de réchauffer celle qui m'entourait sur un petit périmètre sans trop me fatiguer.
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Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]
FantasyCinq Dieux primordiaux créèrent Oneiris : le Temps, l'Espace, la Matière, la Vie et la Mort. Pour être au plus près de leurs fidèles, les divinités acceptèrent de se montrer à eux dans des enveloppes charnelles. Nombreux échanges eurent alors lieu d...