Chapitre 6 - Achalmy

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An 500 après le Grand Désastre, 2e mois du printemps, campement du Rituel de Maturité, Terres du Nord.



Au cours des deux jours que dura notre périple, depuis notre bivouac proche des collines jusqu'à l'énorme campement éphémère du Rituel, nous croisâmes environ une trentaine de personnes.

Je n'avais pas manqué les regards intrigués que la princesse leur lançait. Ses petits froncements de sourcils lorsque nous nous saluions, paume sur l'arme, ses moues curieuses face à notre accent et à nos tournures, son air choqué devant une femme qui en embrassait une autre ou deux hommes jouant à qui lâchait les flatulences les plus bruyantes.

Nous étions un « peuple aux mœurs libres et sans contraintes » d'après Alice. Avec amusement, j'avais rétorqué « Être libre et indiscipliné ou être cultivé et enchaîné ? ». Elle n'avait pas répondu. Dans un monde parfait, nous aurions été libres de corps et libres d'esprit. J'aurais pu apprendre les étoiles comme un prince et Alice aurait pu épouser qui elle voulait.

Mais le monde n'était pas parfait.


Retrouver mon maître était devenu notre principal objectif et nous nous y accrochions comme à une aspérité sur une falaise.

Les premières couches de neige nous avaient offert un entretemps de détente. Comme la poudreuse avait déserté l'Ouest depuis un mois ou deux, Alice avait été ravie de redécouvrir la texture soyeuse de la substance blanche. Aussi guillerette qu'une enfant, elle avait fait de la neige lourde et humide des boules collantes qu'elle n'avait pas manqué de me lancer dessus à plusieurs reprises.

Au bout de quelques minutes d'une sage patience, je lui avais coincé le pied avec de la glace avant de m'éloigner d'elle d'un bon quart d'heure. Lorsque j'étais retourné la voir, elle n'avait gardé d'enfantin que son nez rose. Le plissement de ses lèvres bleutées par le froid, les éclairs colériques de ses yeux et sa posture révoltée me laissaient présager une confrontation. Je ne m'étais pas trompé.

Pour se venger, elle m'avait électrocuté assez fort pour que je m'écroulasse dans la neige. Secoué de spasmes légers et incapable de commander mon corps, elle m'avait laissé en plan.

La leçon était retenue. Des deux côtés.


Au matin de notre troisième journée dans les Terres du Nord, nous abordâmes l'extrémité sud du campement. Le Rituel réunissait des milliers de badauds. Des Chasseurs, des jeunes et des vieux, des femmes et des hommes, des fermiers et des vendeurs de peaux. Tous étaient réunis par une connaissance devant affronter la Maturité.

Comme je l'avais expliqué en détail à Alice un soir auprès du feu, le Rituel de Maturité était la seule tradition importante qu'un jeune Nordiste devait affronter. Fille comme garçon, à l'aube de ses dix-neuf printemps, le jeune adulte se lançait dans une quête pouvant prendre jusqu'à une année complète. En général, les presqu'adultes revenaient avant le printemps suivant. On les qualifiait alors de « grand » et ils étaient reconnus par leurs pairs ainsi. On leur accordait force, vaillance, courage et détermination. Car tout le monde ne passait pas le rite avait succès.

L'objectif était simple : atteindre les monts élevés les plus au nord et en rapporter un Saphir des Glaces. Mais le parcours pour y arriver, beaucoup moins. Ce saphir était une pierre précieuse que seules les grottes et cavités de nos montagnes pouvaient produire. D'un blanc-bleuté glacé, ils étaient l'incarnation de mon peuple : d'une beauté froide, durs comme l'acier et incassables. C'était justement une telle pierre qui retenait ma tresse.

Oneiris - Tome 1 : La Revanche d'Aion [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant