chapitre 33 - Elodie

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Point de vue d'Amélie :

Assis en face de moi sur sa chaise devant la table de cuisine, il me regarde d'un drôle d'air, comme si il avait quelque chose à dire, mais qu'il ne savait pas par où commencer.

«Pourquoi tu me regardes comme ça? Demandé-je.

Il secoue la tête.

- Non rien.

- Mais si vas-y!
Je ne suis pas fragile, tu peux dire ce que tu penses.
Si tu veux remettre le sujet d'hier sur le tapis, fais-le.»

Il sonde mon regard et me demande :

«Qu'est-ce qu'il est devenu?
Je veux dire, tu as porté plainte?

- Non, enfin si.

- Ça c'est une réponse claire en tout cas...

- Pardon... Oui, j'ai porté plainte, seulement il était trop tard.

- Comment ça trop tard?

- Comme je te l'ai dit, j'avais réussi à refouler cet événement. Je ne m'en suis souvenue que 5 ans plus tard, mais j'étais alors trop fragile, trop détruite pour me battre. Et d'ailleurs, qu'est-ce que ça aurait changé? Rien n'aurait pu effacer ce qui m'était arrivé.

Il m'a fallu des années pour en arriver à un semblant de reconstruction.
J'avais 19 ans quand j'ai enfin trouvé les ressources en moi pour porter plainte.

J'ai du raconter tout ça à la police, dans les moindres détails devant une caméra. Seule, sans personne pour me soutenir ou m'attendre à la sortie du commissariat.
J'ai dû attendre plusieurs heures dans leurs toilettes pour calmer mes larmes et pouvoir reprendre ma voiture après ça.

J'ai attendu qu'ils mènent leur enquête, et finalement, il en est ressorti qu'il était connu des services de police, mais pour d'autres raisons.
Aucune autre plainte pour agression sexuelle.
Soit j'étais la seule, soit les autres ont gardé le silence.

J'espérais qu'il n'y en avait pas eu d'autres, à la fois parce que je ne souhaiterais pas ça à ma pire ennemie, et parce que j'aurais pu les protéger en le dénonçant plus tôt.

Mais une infime partie de moi aurait souhaité qu'on soit au moins deux. Parce que ça me révulsait de me dire que quelque chose en moi l'avait excité. Quelque chose que peut-être j'aurais pu changer, un comportement que j'aurais pu ne pas avoir.
J'ai été dégoutée de moi-même pour avoir ce genre de pensées.

Pourquoi seulement moi?
Parce que j'étais brune?
Parce que j'ai de grands yeux?
À cause de mon rire?
Ma voix? Mes vêtements?
Quoi?
Qu'est-ce qui pousse un pédophile à choisir telle ou telle victime?

J'aurais voulu comprendre.
Mais finalement, qui peut comprendre ce qui se passe dans la tête d'un malade?

La police m'a informé que mon agresseur était mort un an auparavant.
C'était trop tard lui intenter un procès. Malheureusement, on ne peut pas accuser un mort...

- Ça a du être difficile pour toi, de traverser tout ça sans obtenir justice.

- Oui. J'étais dégoutée. Déjà, parce que je ne serais jamais reconnue comme une victime, mais surtout parce que lui, il ne saura jamais tout le mal qu'il m'a causé. Peut-être qu'il ne s'est même jamais posé la question de savoir si ce qu'il avait fait était mal. Il ne voyait peut-être pas ça comme ça, dans son esprit tordu.

La police m'a dit aussi qu'il était marié et père de famille.
Tu imagines?
Est-ce que sa femme savait le monstre qu'il était? Et ses enfants. J'aurais voulu un procès, quitte à le perdre, faute de preuves, mais je l'aurais voulu. Au moins pour que sa famille se demande si c'était vrai.

J'aurais voulu savoir, si il se souvenait de moi, de ce qu'il m'avait fait. Si il y en avait eu d'autres, si il s'attaquait aussi aux femmes, ou seulement aux petites filles... Si il regrettait...
Tellement de questions qui resteront à jamais sans réponses, et ça... Ça a été terriblement difficile à surmonter pour moi.

Mais avec le temps, j'ai remonté la pente. Ça m'a soulagé, quelque part d'apprendre sa mort.
De savoir qu'il ne recommencerait jamais. Qu'il ne ferait plus jamais de mal, ni à moi, ni à aucune autre.

- Et avec tout ça, tu as survécu, et tu es devenue la femme forte qui m'a attiré.
Tu forces mon admiration.»

Je me lève de ma chaise, m'approche de lui et m'installe à califourchon sur ses genoux pour l'embrasser.
Il me serre dans ses bras en me rendant mon baiser.
Je finis par poser ma tête sur son torse. Il me caresse les cheveux et le dos. C'est tellement bon, tellement rassurant. J'ai l'impression d'être à l'abri de tout dans ses bras. Jamais Je n'aurais cru ressentir ça.

«Je suis désolé mon coeur, mais je vais devoir m'en aller cette fois, je dois aller au bar, j'ai des commandes à passer. Ça te dérange si j'utilise ta salle de bains?»

Mon coeur?? C'est nouveau ça!
Tiens en parlant de coeur pourquoi bat-il si vite?
Ça devrait me faire paniquer ou m'étouffer, comme d'habitude, mais non, pas du tout. Si j'analyse mes sentiments, je dirais plutôt que j'ai l'impression de flotter. Alors c'est ça que signifie l'expression «être sur un petit nuage?»
C'est très approprié. Je pourrais presque me voir planer au dessus du sol, avec des petits coeurs dans les yeux, comme dans les dessins animés.

«Amel?

- Oui, non, heu... Vas-y. Fais.. fais comme chez toi.»

Je lui indique la salle de bains d'un geste du menton.
Il dépose un baiser sur mes lèvres et s'y dirige.

J'entends la douche couler quand une sonnerie attire mon attention.
Ce n'est pas celle de mon téléphone.
Je repère celui de David, resté sur sa chaise, dans la cuisine.

Et si c'était un appel important? Pour son travail ou sa famille?
Je décide de lui apporter son portable pour qu'il puisse décrocher.

Finalement la sonnerie s'arrête quand je prends le téléphone dans mes mains.
Un message s'affiche :

«Elodie :

Je regrette de t'avoir quitté. C'était la plus grosse erreur de ma vie. Pardonne moi, et reprenons notre histoire où nous l'avons laissé.
Love 💋»

Et merde... qu'est-ce que je fais?
Je fais comme si je n'avais rien vu, et je verrais bien ce qui se passera ensuite...

Quoique... Pourquoi a-t-il encore son numéro en mémoire?
Je me sens prise d'une colère énorme.
Je crois que je suis jalouse...
Tant pis! C'est trop tard pour reculer, ce que je ressens est là, et je ne peux plus rien y changer.

Elle se prend pour qui, elle? Elle n'avait qu'à savoir ce qu'elle voulait avant!
Ma décision est prise :

Je déverrouille le portable de David, me prends en photo avec, en prenant soin de me décoiffer légèrement avec les doigts (coupe de cheveux after sex) et de laisser apparaître un de mes suçons, dans mon cou.

J'ouvre le message de la pouf et lui réponds :

«Désolée, David n'est plus dispo. Tu as laissé passer ta chance, il ne couche plus qu'avec moi maintenant. 😜»

Je joins la photo et l'envoie.
Parfait! Voilà qui est mieux! Je me sens apaisée, et j'ai envie d'éclater de rire, tout à coup.

Prouve moi que tu ne m'aimes pas (Terminé / En Correction!)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant