Chapitre 4 - Sale

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Je rentre chez moi et prends une douche.
Je frotte ma peau aussi fort que je le peux.
Je me sens tellement sale... Je me dégoûte, mais paradoxalement, j'éprouve un étrange sentiment de maîtrise. C'est comme si j'étais couverte de boue mais que je m'étais roulée dedans de mon propre gré. Personne ne m'y a forcée.
Ça paraît peut-être contradictoire, mais c'est le seul mode de fonctionnement que je connaisse.

C'est la seule chose qui me donne l'impression d'être l'unique souveraine de ma vie et de mon corps. La seule décisionnaire.

J'imagine que c'est un peu ce qu'on ressent en jouant à la roulette russe.
On va peut-être mourir d'un instant à l'autre, mais peu importe, puisqu'on est le seul à avoir le doigt sur la gâchette.
Et quelque part, en y réfléchissant bien, je m'auto détruis sans doute aussi sûrement qu'un joueur de roulette russe...

Je finis par sortir de la douche et vais immédiatement me coucher. Je lutte le plus longtemps possible contre le sommeil, sachant d'avance quelles images vont revenir me hanter, mais la fatigue finit par avoir raison de moi.

Je me réveille en pleurs et en sueur. Comme d'habitude.
Putains de cauchemars. Est-ce que ça passe un jour? Qui est l'imbécile qui a dit qu'avec le temps tout passe?
Je vais dans la salle de bains me laver.
Je sais déjà qu'il est inutile d'essayer de me rendormir, je suis trop bouleversée, et il va falloir que je me prépare pour aller au travail. Autant essayer d'être un minimum présentable.

Après une longue douche brûlante, je me maquille avec un peu de crayon noir, un léger trait d'eye liner et  du mascara, puis je m'habille.

Je prends un café et un morceau de pain, puis je monte dans ma voiture.
Je souffle un bon coup en pensant à l'endroit où je me rends.

Je travaille dans une agence de nettoyage où on fait le ménage dans des entreprises.
Le premier bureau où je vais appartient à un directeur. Un homme plutôt beau, d'environ 38 ans, brun aux yeux marron, bien rasé, et toujours souriant, en tout cas avec moi.
Je me suis toujours demandé ce qu'il faisait au bureau si tôt. Parfois il n'est pas là, mais d'autres fois si.
Il connait mon nom et mon prénom. Ça me turlupine à chaque fois.

Sérieusement, vous avez déjà vu un patron se préoccuper du nom de la femme de ménage?
La femme de ménage d'une entreprise extérieure qui plus est.
Ça fait cliché mais c'est la vérité pourtant, personne n'en n'a rien à foutre de la femme de ménage, d'habitude.

Lui oui. Il me parle, me sourit, il se baisse même pour ramasser sa poubelle et me la tendre.
Quel dommage qu'il soit un peu vieux pour moi. Quoi que ça ne m'aurait pas forcément arrêté finalement.

Mais je ne mélange pas le travail et la vie privée. Je ne peux pas me le permettre. Si je perdais mon travail je serais dans une merde pas possible.
Personne pour me soutenir, surtout pas mes parents. Ça leur ferait trop plaisir de savoir que je ne peux pas me débrouiller sans eux.

Non. Je ne veux rien devoir à personne.
Je travaille et paie mes factures et mon loyer depuis mes 18 ans.
Il y a certains mois où je n'ai pas pu manger autre chose que des pommes de terre, faute d'argent, puisque je voulais économiser pour acheter ma voiture, une petite twingo vert pomme, d'occasion, retapée par un copain mécanicien.

Aujourd'hui, je vis tout ça plutôt bien, parce que je me dis que c'était le prix de ma liberté, mais j'en ai pleuré des nuits entières, parce que savoir à 18 ans que tu es seule, que quand ça ne va pas ou que tu as besoin d'un conseil, tu ne peux pas appeler ta maman, c'est lourd à porter. Évidemment, il y en a sûrement d'autres qui se sont débrouillés seuls à cet âge. Mais peut-être pas sans aucun soutien, et peut-être pas en étant bousillé de l'intérieur. Quoique...
Mais surtout, je crois qu'on a tous nos limites, et j'ai trouvé les miennes.

J'ai traversé l'enfer.
J'ai même pensé à me faire interner en psychiatrie. Au moins on m'aurait donné des anti dépresseurs, et je n'aurais plus eu à tout gérer, à avoir peur de ne pas pouvoir tout payer à la fin du mois, de perdre mon travail, me retrouver à la rue...

Je n'aurais plus pensé à rien du tout, mes parents, mon passé, ma vie de merde, mon avenir incertain. Le fait que je ne serve à rien sur cette terre...

J'ai été dépressive plusieurs années et suiviuner psychothérapie. Cela paraît anodin, dit comme ça, mais c'était tellement dur. Je voulais tout arrêter à chaque fois, parce que je rentrais chez moi en larmes d'avoir remué trop de souvenirs.

Et puis, j'ai rencontré Anna.
Ou plutôt, je l'ai rencontrée à nouveau.
On a été au lycée ensemble, mais on n'était pas intimes même si on discutait, et on s'était perdues de vue quelques temps.

Elle travaille maintenant en alternance dans une agence immobilière, où je fais le ménage, en même temps que ses études. Ça lui fait de l'expérience et de l'argent de poche. En attendant d'avoir son diplôme, elle vit chez sa mère qui est divorcée. Une femme adorable et dotée d'une grande ouverture d'esprit.
Quand Anna m'a vu, elle m'a dit :

«Merde, t'as vraiment une sale tête! Ce soir on sort, et tu me racontes tout.»

J'ai refusé, mais elle a insisté jusqu'à ce que je flanche.

Anna m'a aidé plus que tous mes psy. Désolée pour les psychologues, mais c'est la vérité. J'avais besoin qu'on me secoue, qu'on me dise les choses telles qu'elles sont. Chose que l'éthique ne leur permet pas vraiment de faire.

«Tu devrais dire à tes parents que ce sont des gros cons, m'a-t-elle dit ce soir-là.

- Je peux pas faire ça. C'est quand même mes parents. Et puis ce n'est pas leur faute non plus...

- Mais si putain! Si c'est leur faute. C'est pas la tienne en tout cas. T'as pas besoin d'eux, t'as juste besoin de leur dire leurs quatre vérités.»

Conseil que je n'ai pas suivi. Parce que je ne suis pas encore assez forte pour les confronter.
Mais jusque-là, j'avais toujours cru que j'étais coupable de tout ce qui n'allait pas chez moi et dans ma vie, et Anna était de mon côté, elle m'a prouvé que c'est le rôle des parents de protéger leur enfant, pas l'inverse.

Elle m'a fait prendre conscience des choses, et m'a soutenu, comme personne avant elle.

Prouve moi que tu ne m'aimes pas (Terminé / En Correction!)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant