Au château, le moment du dîner est toujours un moment rempli de chaleur et de convivialité. Autour l'immense salle à manger se creusent des cheminées flambantes, où, à l'occasion, on jette les déchets des repas pour les regarder se consumer rêveusement. Les tables sont spécifiques ; l'une accueille les courtisans, une autre les chevaliers, et la table royale les surplombe toutes deux. Au son des luths et des tambourins, qui se fondent dans le brouhaha des discussions, les serviteurs s'affairent autour des tables, posent sur les tables les plats débordants, les sauces en abondances, et versent surtout le vin qui coule à flots. A la lumière des flammes et des chandelles, les peaux des poulets rôtis luisent de gras, l'or des couverts et des coupes prennent un éclat terne, et les vapeurs entêtantes se mettent à flotter dans l'air.
Le roi profite d'une vue imprenable sur les convives. A sa droite, Iwaizumi mange avec appétit ; à sa gauche se trouve une femme plus âgée, qui semble être sa mère, comme le laisse penser la couronne qui orne ses cheveux châtains filés d'argent. Le jeune monarque est agité ; il ne touche pas à son assiette pourtant pleine de victuailles et se penche en avant, au risque de tacher ses vêtements, cherchant visiblement quelqu'un dans l'assistance.
Ses regards insistants se perdent sur la table des chevaliers, où les recrues sont mélangées aux plus anciens. Les discussions sont animées ; les plus âgés évoquent leurs souvenirs de campagne ; les plus jeunes se racontent leurs origines, et abusent du vin, qu'ils n'ont encore jamais vu en telle quantité. Iwaizumi les regarde avec un sourire amusé, avant de remarquer le comportement du roi. Alors une ride perplexe vient creuser son front, et il lui dit, assez bas pour que la reine mère ne puisse pas l'entendre :
-Qui est-ce que tu cherches ?
Oikawa sursaute, et son expression coupable confirme les soupçons d'Iwaizumi. Il connaît le roi depuis trop d'années maintenant pour ne pas savoir déchiffrer ses mimiques, même diminuées par la charge officielle qui lui commande de garder une façade majestueuse. Après tout, il sort à peine de l'adolescence.
-Je cherche une recrue que j'ai aperçue tout à l'heure, répond le roi, et c'est à peine si Iwaizumi peut distinguer son timbre par-dessus le tumulte des voix. Un garçon qui m'intrigue.
- Montre-le-moi, et je te dirai son nom.
-Je ne le vois pas. Il doit être au fond de la salle.
L'accent déçu qui ponctue cette phrase fait naître un sourire inquiet sur les lèvres d'Iwaizumi. Mais il ne dit rien, hoche simplement la tête et porte son gobelet à ses lèvres. Oikawa se remet à gigoter sur son siège, rapidement réprimandé par sa mère pour une attitude aussi peu royale. Au fond de ses yeux brillent quelque chose qui ressemble à de la détresse, et lorsqu'il quitte enfin la table, non sans un long dernier regard à la table des chevaliers, son assiette demeure intouchée.
Le soir, entre les lourds rideaux de velours qui entourent son lit, le roi se tourne et se retourne, incapable de trouver le sommeil. Il se sent profondément frustré. Tout au long de l'après-midi, il n'avait su se concentrer sur autre chose que ce garçon, qu'il n'avait pourtant aperçu qu'une courte seconde, mais dont la vue avait secoué jusqu'aux tréfonds de son être.
Et malgré lui, il avait attendu avec impatience le moment où il avait pensé pouvoir le regarder plus attentivement –ce qui avait été une déception. Etait-il dissimulé dans l'ombre ou simplement absent ? Il soupire, repousse ses couvertures pour ne pas étouffer, mais ne peut se débarrasser les images qui se meuvent dans son cerveau –le lendemain matin, se promet-il dans cet état entre le rêve et la réalité, il traverserait la cour où s'entraînent les soldats, pour le croiser, l'observer, et peut-être même lui parler. L'étrange anxiété qui le saisissait ainsi lui paraissait absurde ; il était le roi. Il n'avait pas à avoir peur.
VOUS LISEZ
Memento Amari
FanfictionOikawa est le roi du puissant royaume d'Aoba Johsai. Cependant, peu après son accession au pouvoir, il s'éprend d'un simple archer. Cet amour lui est défendu: son devoir l'appelle à épouser non pas un simple soldat, mais un bien un prince étranger.