La salle du conseil est une petite pièce, sobre en comparaison du reste du château. Les murs de pierre brute sont à peine dissimulés par les tapisseries aux couleurs vives, relatant les exploits des rois à travers les âges. Oikawa, lorsqu'il était encore enfant, aimait s'y promener et voir défiler sous ses yeux l'histoire de ses ancêtres. Un jour, songeait-il alors, il s'y trouverait aussi ; et alors il essayait de se figurer sous quels traits, dans quelle posture ; en roi juste, assis sur son trône en majesté ? Ou en roi conquérant, sur son cheval et l'épée au poing ? Il savait déjà, bien sûr, ce qu'il préférait.
On accède à cette pièce par une petite salle, où patientent ceux qui ont des requêtes à émettre au conseil et attendent d'être introduits. Ils en sont séparés par de doubles arcades menant aux jardins privés du roi, afin qu'ils n'entendent pas ce qui se dit avant leur arrivée.
Lorsqu'ils arrivent dans la fameuse salle, éclairée jour et nuit par les torches rivées au mur, la première chose qu'ils voient est la grande table en bois située au centre de la pièce. Tout autour sont assis des gens d'importance pour le royaume ; ministres, chef des armées, hauts conseillers, et le roi en personne. Sur la table est étalée une grande carte, semblable à celle que possède le roi dans ses appartements, représentant l'intégralité du continent connu : les royaumes et leur capitale, les forêts, lacs, cours d'eau et montagnes.
C'est là que se prennent les décisions stratégiques et préparent l'avenir du royaume. Désormais, cela se résume davantage en échanges commerciaux et arrangements matrimoniaux ; mais à l'époque, il s'agissait de savoir où déplacer ses armées et qui soutenir, qui attaquer.
En ce moment même, ils discutent d'informations rapportées par les espions placés à Shiratorizawa. C'est une précaution qu'Oikawa avait préféré prendre, et il semble qu'elle paye à présent.
-Le prince, Ushijima, rapporte justement un de ses espions, semble se rapprocher d'un être bien particulier. Il s'agirait d'un ermite, reclus dans les grandes montagnes. A quelles fins veut-il l'employer, nous n'en savons rien.
Oikawa fronce les sourcils, se rappelant la discussion des chasseurs de Shiratorizawa.
-Celui qui a des cheveux rouges et de grands yeux ?
-C'est cela même.
-N'est-il pas un sorcier qui voit le futur ?
Cette question entraîne plusieurs secondes de silence.
-Ce ne sont peut-être là que des rumeurs, intervient Iwaizumi. Les vrais sorciers sont très rares.
-Il n'y en a que deux de répertoriés à notre époque, acquiesce un des ministres. L'un est à Nekoma, le second à Inarizaki.
-Shiratorizawa est le plus vaste des royaumes, réplique le roi. Il est parfaitement possible qu'ils aient un sorcier. Et si Ushijima cherche à s'en faire un allié, c'est qu'il prépare quelque chose. Je n'aime pas ça, il faut renvoyer plus d'espions.
-Et si nous renvoyons plus d'espions, répond Iwaizumi en fronçant les sourcils, nous prendrons plus de risques. Et si nous sommes découverts, les conséquences pourraient être dramatiques.
Oikawa croise les bras. Comme toujours, songe-t-il, Ushijima fait ce qu'il veut, et personne pour l'en empêcher. Ils décident de renvoyer les quelques espions, espérant avoir dans quelques semaines un rapport plus détaillé de ce qui se trame chez Shiratorizawa.
-Bien, c'est assez pour aujourd'hui, déclare Iwaizumi, et la petite assemblée se dissout.
Oikawa se retrouve seul dans la pièce ; il pose sa tête dans ses mains, penché sur la carte, et soupire. Plusieurs minutes s'écoulent ainsi, avant qu'il ne relève son visage fatigué et ne remarque une ombre entre les colonnes qui donnent sur la salle ; immédiatement, ses yeux se mettent à pétiller et un grand sourire étire ses lèvres.
Cela fait quelques semaines déjà depuis qu'il a entamé sa relation clandestine avec l'archer. Personne ne sait –excepté Iwaizumi, qui l'a aisément deviné aux expressions tour à tour rêveuses et joyeuses du roi. La discrétion est donc de mise ; durant la journée, ils se croisent et se recroisent, petit jeu d'itinéraires savamment orchestré par eux deux. Quand ils passent l'un près de l'autre dans un couloir désert, ils se volent un baiser au passage ; et s'ils sont sûrs d'être seuls dans un recoin sombre du château, alors ils s'embrassent fougueusement plaqués contre un mur, inconscients de tout. Ensuite, essoufflés, feignant un air indifférent, ils repartent chacun sur leur chemin –l'un vers la salle du trône pour des doléances populaires, l'autre en direction de la cour d'entraînement, non sans un dernier regard en arrière.
Puis, le soir après dîner, alors que les habitants du château s'endorment, ils se retrouvent au sommet de la volière. Les champs dorés, les plaines verdoyantes, les ruisseaux bleutés, tout est gris lorsque la lune est cachée ; mais dans le paysage plat, qui s'offre à eux du haut de la tour, se regroupent ça et là des points de lumière. Ce sont les villages environnants, que les fenêtres illuminées et les feux de joie rendent visibles à des lieues à la ronde.
Cette vue n'est possible que parce que la tour est située à l'extrême ouest du château, lui-même dressé au sommet de la ville d'Aoba. Elle est construite sur le flanc d'une colline, avec au sommet l'immense château pointant ses tours vers le ciel. S'ils se tenaient en haut de la tour qui se dresse à l'est du château, ils verraient sous eux une mer de toitures, emplie de petites lumières mouvantes –les patrouilles de nuit, armées de leurs torches, faisant leurs rondes habituelles.
-Tout ça est à toi, disait parfois Tobio, ébloui, penché au-dessus du vide.
Oikawa attendait qu'il se redresse pour l'attirer contre lui et rectifier, les yeux dans les yeux :
-Tout ça est à nous.
Puis il souriait, prenait ses mains, posait son front contre le sien.
-Demande-moi de te construire un château, en n'importe quel lieu de ce royaume, et tu l'auras.
-Je n'en veux pas, répondait l'archer, l'air un peu boudeur. Je préfère qu'on soit ensemble dans le même château.
Et le roi s'émerveillait devant un amour si pur ; qui n'aurait pas cédé à la tentation de voir ses désirs matériels réalisés ? Quel amant de quel roi n'avait pas profité de sa position pour s'enrichir ? Mais cela ne semblait pas intéresser Kageyama.
-Oikawa, demanda-t-il soudain. Qu'est-ce qui se passera quand ce prince de Shiratorizawa viendra ici ?
-Pas les sujets qui fâchent, esquive Oikawa en lui posant un doigt sur la bouche. Quoi qu'il advienne, aucune décision politique ne peut me forcer à aimer quelqu'un d'autre que toi.
-Et rien ni personne ne pourra m'éloigner de toi, lui promet Tobio, saisissant sa main.
Il le regarde droit dans les yeux ; Oikawa sent qu'il ne regarde pas le roi en lui, le supérieur hiérarchique, le dirigeant craint, dont le visage est connu de tous et dont tous voudraient se faire aimer. Lui voit ce que les autres ignorent ; l'être humain sous la couronne, le cœur derrière les habits d'apparat, les insécurités sous le masque de vaillance.
Il se sait aimé pour qui il est, et non qui il essaie d'être. Et le roi malheureux, plié sous les responsabilités, soumis aux codes de son rang, mal dans son époque, se sent alors le plus chanceux des hommes. Au sommet de la tour, seuls avec les étoiles, il lui murmure :
-Je t'aime.
-Je t'aime, lui répond Tobio, pour aussi longtemps que battra mon cœur, et pour aussi longtemps que verront mes yeux.
-Et ton cœur bat ? lui demande le roi, glissant sa main contre sa poitrine.
-Vite, répond l'archer.
-Et tes yeux voient ?
-Une vue magnifique.
Attendri, le monarque se penche pour l'embrasser ; il pose ses lèvres sur les siennes et l'enlace de ses bras. Ces instants volés sont les leurs ; mais aussi beaux soient-ils, le roi ne peut s'empêcher de vouloir davantage.
Il imagine déjà comment introduire Tobio à la cour, en faire quelqu'un d'important ; jusqu'à l'épouser et le couronner. Et la vision obsédante de Kageyama à ses côtés, partageant sa table, partageant son lit, partageant son pouvoir enfin, flotte devant ses yeux rêveurs alors qu'il le serre un peu plus fort contre lui.
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Memento Amari
FanfictionOikawa est le roi du puissant royaume d'Aoba Johsai. Cependant, peu après son accession au pouvoir, il s'éprend d'un simple archer. Cet amour lui est défendu: son devoir l'appelle à épouser non pas un simple soldat, mais un bien un prince étranger.