Chapitre 22

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Oikawa n'est pas connu pour être un lâche ou un peureux. Son éducation princière n'a pas contribué à faire de lui un pleutre, et il a toujours valorisé celui qui se défend seul plutôt que de se réfugier derrière une rangée de soldats. C'était ainsi qu'il se rêvait, enfant : un roi guerrier, en première ligne au-devant de son armée, emmenant derrière lui des milliers d'âmes transcendées par son courage et sa fougue.

La peur est un sentiment récent. Non pas les craintes de jeunesse, celles d'animaux dangereux, d'ennemis embusqués, d'incidents tragiques ; non, la vraie peur, celle qui ronge les entrailles et glace le sang dans ses veines, il ne l'a connue que lorsqu'il a cru perdre Tobio.

Mais au moment de tuer, il n'avait pas peur. Lorsqu'il a enfoncé la lame d'argent dans la poitrine de son ennemi, lorsque le sang a éclaboussé son visage et baigné ses mains, il n'avait pas peur. Ce n'était plus qu'une pure colère qui l'habitait, et dont les dernières flammes persistaient encore à son retour.

A présent, tout s'est éteint. Le sentiment qui s'est emparé du roi dépasse de loin la peur. Il est complètement désemparé face à ce qui semble lui arriver, désorienté et terrifié de se voir confronté à des forces qui le dépassent largement, et qu'il ne sait pas contrôler. Il a l'impression de ne plus connaître son corps, d'être dans la peau d'un autre, mais d'un autre au visage inconnu.

Iwaizumi l'a laissé seul après avoir promis de ne rapporter à personne l'épisode du livre. Depuis son départ, le roi est demeuré dans son lit, les mains enfouies dans ses manches, effrayé de leur pouvoir. Dans sa tête se rejouent les événements, un par un : il tend la main, il ressent une vive douleur, le livre tombe tout seul. Et l'horrible conclusion ne change pas : c'est lui qui, par son geste, a fait tomber le l'ouvrage, alors même qu'il se trouvait à plusieurs mètres de distance.

Il n'a presque jamais vu de pouvoirs surnaturels. Tout ce dont il peut se rappeler est le charme que Tendou a jeté sur le château, mais il n'a vu que les effets, non l'acte en lui-même ; en revanche, le souvenir reste vif de la manière dont le sorcier l'a repoussé, puis immobilisé, simplement d'un geste la main. Et, inconsciemment, c'est exactement ce qu'il vient de faire, agir d'un geste sur son environnement.

Il se sent comme confronté à un océan d'obscurité, ne sait pas où sont ses limites, jusqu'où il peut aller désormais. Les douleurs qu'il ressentait quelques minutes plus tôt se sont évaporées depuis la chute du livre, comme si ses pouvoirs l'avaient travaillé jusqu'à pouvoir se révéler pleinement.

Lentement, il finit par se lever et s'empare du livre qu'Iwaizumi a reposé sur une table. Il retrouve la page sur les créatures démoniaques, lit à nouveau le passage détaillant les sorciers tout en se demandant si c'est vraiment ce qu'il est en train de devenir.

« Les sorciers et les mages sont présents sur le continent depuis sa création.

Leurs pouvoirs sont innés dans les deux cas, mais procèdent d'une force maléfique pour les sorciers, tandis que ceux des mages résultent d'une force bienveillante. Leurs yeux, qui sont un de leurs signes distinctifs, sont de couleur rouge (pour les sorciers) ou dorée (pour les mages).

L'un comme l'autre sont en communion avec les forces surnaturelles et peuvent donc sentir tout lien relevant du sacré ou de l'hérédité. Certains peuvent également prendre conscience du passé et de l'avenir des personnes qu'ils côtoient. Cette omniscience se renforce, comme le reste de leurs pouvoirs, en fonction de leur âge. »

Un mot l'arrête : « inné ». Le statut de sorcier ou de mage est établi dès la naissance, il ne peut par conséquent pas être acquis. Une malédiction pourrait-elle lui conférer un tel pouvoir, de manière non naturelle ? Et sinon, qu'est-il donc voué à devenir ? Un spectre ? Un démon ? Un vampire, peut-être ? Un frémissement le parcourt à chacune de ces hypothèses.

Memento AmariOù les histoires vivent. Découvrez maintenant