Chapitre 5

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Les premiers rayons du soleil entrent par les larges fenêtres de la salle du trône encore déserte ; le trône est encore vacant, les piliers s'élèvent jusque dans l'ombre, et les dalles allongent leur symétrie parfaite sur toute la salle.

Elle n'est pas, à y prêter une attention toute particulière, aussi déserte que le premier coup d'œil le suggère. Dans un coin, deux silhouettes en contrejour se tiennent, se meuvent, mais leurs échos de voix sont soigneusement contrôlés.

-Des chasseurs de Shiratorizawa, marmonne l'un, d'une voix songeuse et un peu creuse, comme s'il répétait les mots qu'il venait juste d'entendre.

-J'ai reconnu leur écusson. Qu'est ce qu'ils faisaient là ? reprend le deuxième, plus virulent.

Le premier homme, en qui on aura reconnu le bras droit du roi, vêtu de son armure rutilante comme à l'accoutumée, semble toujours pensif.

-Ils n'étaient pas loin de leur frontière. Peut-être juste des chasseurs égarés.

-Peut-être, s'enflamme le deuxième, bien évidemment le monarque en personne ; mais s'ils pensent qu'ils peuvent se promener à leur guise sur mon territoire, alors ils se trompent. Nous sommes peut-être alliés, mais pas encore fusionnés !

Des plaques rouges parsèment ses joues alors que ses yeux jettent des éclairs ; la mésaventure de la veille à la chasse, qu'il rapporte aujourd'hui à Iwaizumi, l'a contrarié au plus haut point. Et son lieutenant sait mieux que personne à quel point la seule pensée de Shiratorizawa, et à plus forte raison, d'Ushijima l'exaspère.

-Oikawa, dit-il donc d'un ton qu'il espère conciliateur. En cas de guerre, ils sont nos plus puissants alliés. Aoba, allié à Shiratorizawa, peut défier n'importe quelle autre armée et être assuré de la victoire.

-Guerre ? Qu'est-ce donc ? ironise Oikawa. Depuis quand n'a-t-on pas eu de guerre ? Le monde est stable, personne ne cherche à étendre son royaume, tout est solidifié par des traités, des alliances, des... mariages...

-On dirait presque que tu le regrettes. Tu aurais préféré vivre à l'époque de nos grands pères, lorsqu'on a repoussé Nekoma, Fukurodani et les autres au-delà des montagnes ? On a cru en sortir vainqueurs, or nos frontières ont fondu comme neige au soleil quand il a fallu rendre des comptes à Shiratori. Et maintenant, ils dominent complètement le continent.

Le roi a croisé les bras, et lève maintenant les yeux au ciel. Il connaît mieux que personne l'histoire du continent et cela lui est d'autant plus douloureux qu'elle a été écrite récemment. Au fond, peut-être aurait-il aimé être un roi guerrier, un conquérant, à la tête d'une armée immense pour aller prendre les châteaux ennemis. Mais, ainsi qu'il s'en plaint, le monde est stable, et nulle chance de briller en chef de guerre.

Si une guerre doit survenir, estime-t-il, dans le monde tel qu'il est aujourd'hui, elle opposerait les deux grands pôles du nord et du sud ; Shiratorizawa et Aoba, ainsi que Dateko, contre les royaumes coalisés de Nekoma, Fukurodani, Shinzen, et autres ; mais depuis cinquante ans, les tensions diminuent, en grande partie grâce à la chaîne de montagnes scindant le continent en deux, qui symbolise la rupture autant qu'elle empêche une intervention physique massive.

S'il y avait guerre, réfléchit donc Oikawa, serait-ce une guerre totale ? Probablement. Il se remémore la carte accrochée à son mur ; pour qui donc tiendrait Karasuno, ce petit royaume coincé entre les deux puissances ? Et Inarizaki, plus bas encore ? Oikawa secoue la tête, un peu perdu dans des pensées trop grandes pour lui ; et surtout, qui ne sont plus d'actualité.

-Oikawa, dit encore Iwaizumi. Il va falloir être très prudent avec Shiratorizawa. Ils vont chercher par tous les moyens à intervenir dans notre politique, et le moyen le plus sûr pour ça...

Memento AmariOù les histoires vivent. Découvrez maintenant