Chapitre 3

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Les jours qui suivent coulent lentement et intensément pour Oikawa. Il feint d'être celui qu'il a toujours été, léger et futile, pourtant profondément désireux d'améliorer son royaume ; et en son for intérieur, toutes ses pensées ne sont dirigées que sur un seul être.

Il s'est créé au fil des jours un petit rituel dans le quotidien du roi. Désormais, pour se rendre à la salle du trône où il reçoit les doléances de ses sujets, il emprunte le couloir qui longe la cour des soldats, et ainsi, il peut s'accorder sans trop culpabiliser une minute pour repérer et contempler son petit favori. Il se rend vite compte que Kageyama excelle dans le domaine du tir à l'arc, et en conçoit une certaine admiration –certes il n'est pas un prince, mais alors ? Sa valeur s'exprime dans son talent.

Il tâche de repérer les lieux où il aperçoit souvent les soldats, et s'efforce d'imaginer comment dévier sa trajectoire pour y passer. Cependant, il remarque que souvent celui qu'il cherche n'est pas avec eux, et déduit, avec un peu d'amertume, qu'il doit rester dans sa chambre ou s'entraîner tout le temps qu'il a de libre. Ainsi, le couloir qu'il commence à user de ses pas est surtout celui qui donne sur la cour d'entraînement, et Oikawa, pour presque chaque déplacement à travers le château qu'il doit faire, l'emprunte ; après plus d'une semaine, parfois même inconsciemment.

Le second grand moment de la journée est celui du dîner, où, pour sa plus grande joie, contrairement au premier soir, il peut maintenant observer Kageyama. Lequel a par ailleurs pris le pli bienheureux de ne pas se placer en bout de table, c'est-à-dire d'être chaque soir tout à fait dans le champ de vision du roi. Le monarque par ailleurs, se force à limiter ses œillades à ce moment, pour éviter que sa mère ne le surprenne d'abord, mais aussi pour se dispenser des brimades d'Iwaizumi, qui, il le sent, le surveille de près. Tout cela est un grand jeu de regards furtifs.

Une chose surtout pousse Oikawa vers l'avant, c'est l'intime conviction que cet intérêt est réciproque. Peut-être n'aurait-il pas poursuivi son manège assidu, s'il n'avait pas remarqué l'effet, perceptible dès le commencement, qu'il produit sur le jeune homme.

Il n'a pas manqué de surprendre les regards curieux qu'il lui lance depuis la table des chevaliers, le soir, et pour cause ; leurs yeux se croisent souvent, se détournent aussitôt pour se rencontrer à nouveau la seconde suivante. Ces regards sont rapidement devenus un jeu implicite, qu'ils entretiennent chaque jour au dîner. Et plus d'une fois, après un tel échange où s'alternent les regards surpris et désireux de se retrouver, Iwaizumi lui demande en sachant fort bien la raison, pourquoi il sourit ainsi.

Et chaque soir, ce petit rituel recommence, et dure le temps du repas. Lequel, comme par magie, devient alors délicieux ; les cheminées semblent flamber de flammes plus vives et chaleureuses, et dans chaque rire qui parvient à ses oreilles, le roi trouve un écho à sa propre joie. Il rumine avec délectation ce temps-là lorsqu'il va se coucher, afin, espère-t-il, d'en peupler ses rêves.

Cette complicité naissante lui donne beaucoup d'espoirs pour la suite, mais une chose vient entraver sa progression ; la connaissance de l'échéance qui approche, qui se traduit dans les regards, dans les paroles implicites que lui adresse la reine. Bientôt, il devra s'unir à quelqu'un, peu importe qui du moment que ce soit un gouvernant. Et un archer est loin d'être un statut acceptable pour prétendre à épouser un roi.

Cette alliance purement politique est une fatalité à laquelle, il le sait, il ne peut échapper. A peine a-t-il le choix de l'époux qu'il prendra –quel royaume, après tout, apportera le plus à celui d'Aoba ? Celui de Nekoma ? Celui de Fukurodani, de Shinzen, de Karasuno peut-être ? Il a rapidement compris, par les allusions à peines voilées qu'elle fait, que sa mère envisage surtout le puissant Etat de Shiratorizawa.

Memento AmariOù les histoires vivent. Découvrez maintenant