Chapitre 10

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L'automne commence à tomber sur le royaume d'Aoba Johsai. Les moissons sont faites; les champs sont dépouillés de leurs dorures, et présentent maintenant un éclat terne sous un ciel de plus en plus nuageux. Les premières pluies arrivent ; elles couvrent les toitures du château de filets d'eau qui se glissent entre les tuiles en zébrures argentées, font dégorger les rivières d'habitude paisibles et transforment la cour d'entraînement en pataugeoire.

Les soldats, et en particulier les plus jeunes, qui n'y sont pas encore faits, se plaignent donc de supporter à longueur de journée leurs équipements trempés et boueux. Dans l'aile du château qui leur est réservée, le sol dallé des corridors est parsemé de flaques d'eau, et il y règne une odeur de fourrure mouillée. C'est un de ces couloirs que remonte tranquillement Kageyama, alors que son entraînement est terminé ; les archers n'ont pas été épargnés par le mauvais temps, et il passe ses doigts dans sa chevelure humide pour rejeter les mèches gorgées d'eau en arrière, et ainsi éviter qu'elles ne tombent dans ses yeux.

Il possède, comme tous ses pairs, une chambre modeste, alignée avec toutes les autres ; un lit, une armoire, les soldats du royaume n'ont pas besoin de plus. Après tout, ils ne sont pas censés trouver le roi négligemment assis sur leur lit en rentrant.

-Qu'est-ce que tu fais là ? s'exclame Kageyama en claquant la porte dans son dos.

Oikawa se lève et lisse les pans de son manteau ; les couleurs vives de ses vêtements royaux, les broderies d'or, les bijoux de pierres précieuses qu'il porte, signes d'opulence et de pouvoir, jurent contre la nudité de la chambre. Il ne porte pas sa couronne incrustée de joyaux –cela aurait été le contraste ultime. Le roi n'en demeure pas moins entouré d'une aura de puissance, à laquelle Tobio semble demeurer insensible :

-On aurait pu te voir. J'aurais pu ne pas être seul.

Oikawa plisse le nez :

-Avec qui ?

-Kindaichi, Kunimi, d'autres archers, je ne sais pas, répond Kageyama avec une moue un peu fâchée.

Le regard du roi se durcit un instant.

-Qui sont-ils ? Ce sont tes amis ?

-Ce sont mes frères d'armes, répond Tobio en fronçant les sourcils. Rien de plus.

Oikawa emprunte une expression plus détendue, mais la lueur froide et métallique au fond de ses yeux ne disparaît qu'après qu'il a pris Tobio dans ses bras, le serrant fort contre lui. Il ne semble pas s'inquiéter de salir ses vêtements luxueux en les pressant contre ceux, trempés, de l'archer.

-Je voulais juste venir voir mon mari, murmure-t-il dans son cou. Tu m'en empêcherais ?

-Non, répond Tobio avec l'ombre d'un sourire. Personne ne peut t'empêcher de n'en faire qu'à ta tête.

-Exactement, sourit le roi.

Son sourire s'estompe quelque peu alors qu'il se recule ; ses yeux parcourent un instant le lit de mauvaise qualité, la vieille armoire, les murs de pierre brute, non recouverts, et la seule fenêtre, qui laisse entrer une faible luminosité en ces jours de pluie. Finalement, il déclare, d'une voix plus basse, plus mûre, en un mot plus sérieuse :

-L'arrivée de Shiratorizawa est imminente. Je voulais encore profiter un peu de toi avant d'être tout entier happé par les négociations.

-Oh, murmure Kageyama. C'est vrai qu'on devra être encore plus prudents que d'habitude.

Et il pousse à nouveau ses lèvres pour former cette petite moue un peu agacée, signifiant très clairement que la prudence n'est, de toute évidence, pas exactement la ligne de conduite d'Oikawa. Lequel s'en amuse simplement, et il lui passe une main distraite dans les cheveux, le couvant d'un regard attendri :

Memento AmariOù les histoires vivent. Découvrez maintenant