prologue

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PDV SKY

- Le mieux, soufflai-je, c'est qu'on arrête de se voiler la face.

Dan me jette un regard empli de désespoir, de tristesse, d'impuissance.
Tous ces non-dits, tous ces mensonges...
Difficile de se dire que trois ans plus tôt, je le prenais pour acquit, pour l'amour de ma vie.

- Nous deux, c'était extraordinaire. Je ne regrette aucun moment passé avec toi, aucun acte, aucun baiser...rien.

J'ai envie de pleurer, mais je me souviens que maintenant, j'ai 23 ans, que j'ai assez pleuré pour cet homme et que je vais enfin lui claquer la porte au nez.
Je ne vais plus hésiter, plus attendre d'être déçue à nouveau.
En claquant cette porte, je signerai mon indépendance, mon courage, ma dignité...

- Tu es un bon gros connard, Dan.

Qu'est-ce que ça peut être bon !
Pour la première fois, je contrôle entièrement la situation, je ne le laisse plus m'atteindre.

- On ne peut pas se quitter comme ça, dit-il.

- Ah oui ?

Il me regarde d'un air désabusé.

- Enfin, Sky ! Que crois-tu ? Tu n'as pas d'argent, tu ne tiendras pas un mois dans cet appart miteux.

Je serre de toutes mes forces les parois de la porte d'entrée, afin d'éviter à mon poing de se retrouver sur la face de Dan.
Je dégaine mon sourire le plus faux :

- Dan. Tu es un...

- Bon gros salaud ? Connard ? Con ?

- Abruti, crachai-je en voulant refermer ma porte.

De son pied, il retient ce qui était censé me séparer de lui à tout jamais.

- Ce n'est pas ce que tu crois, murmure-t-il. Je n'ai même pas eu le temps de m'expliquer.

- Dan, tu es saoul. Tu m'as salement trompé. A ta place, je ne me la ramènerai pas trop.

Je force la porte, mais rien à faire : il continue de la bloquer.

- Je t'aime.

- Oh, je t'en prie !

- Je t'aime, Sky. C'est la stricte vérité.

Devant mon air absent, il poursuit :

- J'aime quand tu m'envoies bouler à chaque fois que j'essaie de te parler le matin, j'aime que tu restes en pyjama les jours de blues, j'aime lire tes débuts de roman, j'aime te regarder lire, sourire, vivre. J'aime te sentir contre moi quand je me réveille, j'aime t'embrasser, t'aimer...

- Dan...

- J'aime quand tu fais la grimace dès que tu te vois dans le miroir, j'aime que tu ne te prennes pas un seul instant au sérieux, j'aime quand tu laisses traîner tes affaires un peu partout dans l'appart, j'aime ta voix, ton souffle qui s'écouler contre ma joue, j'aime...

- Bon sang, Dan. Ferme-la ! Je ne te permets pas.

Il baisse le regard, se passe une main dans les cheveux.

- Pourquoi ?

- Quoi ?

- Pourquoi est-ce que tu me quittes ?

J'ai un rire sec.

- Tu as couché avec ma coloc, j'estime être en droit de te lâcher.

Il souffle.
Et j'ai de nouveau envie de lui fourrer mon poing dans la gueule.
Comme s'il avait le droit de souffler, d'être abattu.
C'est lui qui l'a cherché, c'est lui qui m'a lâché le premier.

- Sky...

- Dégage de chez-moi.

Pendant un instant, il semble sur le point de m'obéir, puis... :

- Dis-moi seulement ce que tu vas faire maintenant.

- Ça ne te regarde absolument pas.

Il jette un coup d'œil à la valise à ses pieds.
Comme si c'était elle la responsable...

- Tu comptes faire quoi de Layla ?

- Qui ?

- Layla, ta coloc.

- Je ne vois pas de qui tu parles.

- Sky...

Honnêtement, si mon poing ne finit pas sur Dan, il finira sur Layla.

- Je vais la laisser pourrir ici, dis-je.

Et je suis surprise du calme dont je fais preuve, de ma maturité.
Je viens de le trouver au lit avec ma coloc et je ne me suis pas effondrée.
Pas encore.

- Je vais partir quelque temps, je m'entends ajouter.

Peut-être qu'il est temps pour moi de me reconstruire.
C'est un signe : "tu as un cœur brisé, profites-en pour écrire, pour partir..."

- Peut-être que je vais enfin réussir à terminer un de mes bouquins.

- Je serai ton premier lecteur.

Je devrais l'envoyer balader, clairement lui claquer la porte au nez.
Mais au lieu de ça, je souffle :

- Barre-toi.

Il hoche la tête, comme si c'était ce qu'il allait faire.
Mais il ouvre la porte en grand, d'un seul coup, et me prend dans ses bras.

- Tu tiens à tes couilles ?

Je le sens hocher la tête dans mon cou.

- Alors écartes-toi, avant que je décide de te castrer.

Il recule et je ne me suis jamais sentie aussi seule.
J'ai envie de courir dans ses bras, m'accrocher à son cou, l'embrasser jusqu'à mon dernier souffle...
Je me demande ce qu'il devrait me faire pour qu'un jour, j'en ai marre de lui, que je me lasse de ses baisers, de son amour.
Je m'en veux aussitôt de penser cela, alors je déclare :

- Si jamais tu as le malheur de recroiser mon chemin...je jure que cette fois, tes parties n'auront pas autant de chance.

Il déglutit avec difficulté.

- Sky...je...hum. Désolé.

- Tu sais à quel point les excuses ne m'atteignent pas.

Je le pousse dans le couloir.

- La prochaine fois que tu attendras parler de moi, annonçai-je, je serai un grand écrivain.

- Je n'en doute pas une seconde.

- J'écrirai sur toi.

Il a l'air content de cette annonce, alors j'ajoute :

- J'écrirai combien j'ai le cœur brisé, combien tu m'as humilié.

- Sky...

Il tente de prendre ma main dans la sienne.

- Au revoir.

Sur ces mots, je le pousse franchement.
Et la porte se referme brusquement derrière lui.
Comment une histoire d'amour peut-elle se terminer en un claquement de porte aussi brutal ?
L'amour, c'est censé être la douceur, la tranquillité, un nuage sur lequel on flotte...

Je n'ai peut-être jamais véritablement aimé.
C'est vrai.
Mon amour avec Dan se résumait à un souvenir.
J'aimais ce qu'il était et non ce qu'il est.
J'aimais le Dan d'il y a trois ans, quand je l'ai rencontré.
Récemment, je l'aimais comme une habitude, un objet qu'on a toujours eu et qu'on ne veut se résoudre à vendre.
Et j'étais persuadée que de son côté, c'était pareil.

L'amour, ça ne dure pas.
Avec le temps, ça devient fade et médiocre.
C'est plus un quotidien, qu'un sentiment.

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