chapitre 13

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PDV FLY

-Ray ! Quelle merveilleuse surprise.

Le trentenaire s'avance d'un pas tranquille jusqu'au bar et commande une vodka.
Je m'empresse de la lui servir pour engager la conversation.
C'est l'un des rares clients à avoir causé avec moi en trois ans de boulot et je dois avouer que je ne m'en lasse pas.
Il m'avait manqué.

Chaque soir j'observe la porte en espérant le voir entrer.
Et aujourd'hui, il débarque.
Enfin.

- Comment se passe l'apprentissage de surf ?

Il a un petit rire.

- Ces gamins ne savent pas tenir plus de dix secondes sur une planche !

C'est le genre de personne qui rit de tout, même de son malheur.
Car j'en suis certain, il ne doit pas apprécier de voir ces gosses tomber, après leur avoir parlé pendant une heure, de la façon dont on doit se tenir sur une planche.
Et pourtant, le voilà tout souriant, dans mon bar, après sa journée infernale.

- Et cette fille ? demande-t-il sans prendre de pincettes. Elle est toujours aussi épanouie par son amour ?

Je repense au presque baiser que j'allais lui donner.
Une belle connerie.
La gêne s'est installée entre nous ces six derniers jours.

- Elle n'a jamais été épanouie par son amour, je rétorque. Son amour l'a détruit totalement.

- Tu as l'air d'en connaître un rayon à son sujet ! La dernière fois, c'est à peine si tu lui parlais, tellement elle te faisait de l'effet.

Je me renfrogne un peu.

J'ai soudain envie de la voir.
Voir son sourire, ses cheveux, sa silhouette...
Même pour une seconde.

Merde.
Je suis accro.

Ray me donne une petite tape par-dessus le bar et me glisse :

- Les femmes sont compliquées, hein ?

- Sky est juste...

- Et en plus, elle s'appelle Sky !!

Ray lève les mains au ciel, signe qu'il pense comme moi : c'est un appel du destin, on était fait pour se retrouver.
Pas forcément pour s'aimer, se marier et avoir des bébés.
Mais pour se sauver.
Parce que, plus que jamais, on avait besoin d'un pilier.
Et mutuellement, on s'est portés.

- Sky est différente, je lâche alors. Pas différente dans le sens ultra cliché : mignonne et douce, certainement vierge et pure. Non. Elle, elle est tout le contraire. Tout le contraire de la fille différente, sans être la fille ordinaire. Elle est un paradoxe à elle-seule.

Il semble si stupéfait ensuite, que je n'ose plus placer un mot.

- Merde alors, lance-t-il soudain. Tu es complètement épris de cette petite inconnue !

- Elle ne m'est plus vraiment inconnue en fait...

Voyant qu'il ne suit plus, je lui apprends :

- Elle n'avait nulle part où aller...alors... je l'ai accueilli chez moi.

Ray ouvre de grands yeux.
Je n'arrive pas trop à savoir si c'est parce qu'il me juge, ou parce qu'il est impressionné.

- Ma sœur l'adore, j'ajoute.

C'est vrai.
Depuis son arrivée, il y a six jours, ma sœur n'a pas lâché Sky d'une semelle.
Elle passe son temps à vouloir lui faire essayer des robes et la maquiller.
Sky qui n'ose pas lui dire non, se laisse peindre le visage en grimaçant.

- Et vous êtes genre...quoi... en couple ?

- Quoi ? Non ! Rien de tout ça.

- Ne va pas me faire croire que tu serais contre.

Je détourne le regard.

- Elle a été méchamment touchée du côté sentimental, je ne peux rien tenter sans qu'elle se rembrunisse.

- Alors tu as déjà tenté le coup pour savoir cela, observe Ray.

Il est malin.
Très malin.

- J'ai eu envie de l'embrasser, alors je me suis penché instinctivement vers elle. Elle était magnifique, elle écoutait de la musique. Bon sang ce qu'elle est belle quand elle laisse le son la transpercer !

Ça me fait tout drôle de le dire à voix haute.
J'imagine que c'est ce genre de chose qu'un écrivain doit ressentir quand, un jour, son bouquin est lu.
Cette impression d'être mis à nu, de s'ouvrir entièrement au monde, de révéler nos plus gros secrets, nos plus grosses failles.

- Comment a-t-elle réagi ?

- Elle n'a pas encore fuit.

Chaque matin, lorsque je me réveille dans ce canapé trop dur, je pense à elle.
Chaque matin, je cours presque jusqu'à ma chambre, espérant l'y trouver endormie.
Et chaque matin, j'ai peur qu'elle soit partie, me laissant un simple mot sur le lit.

Je ne sais pas ce que je suis pour elle.
Mais certainement pas le genre de gars qui la fera rester si elle décide de s'en aller.
Elle me quittera sans un regard, sans un baiser, sans un mot.
Alors ma peur de ne pas la trouver dans mon lit chaque matin, est justifiée.

- Mais je suis absolument certain que si je merde à nouveau, elle partira sans demander son reste, dis-je.

- Alors fais ce qu'il faut pour la garder. Mais rappelle-toi toujours qu'elle ne t'appartient pas. Elle a un autre mec dans la tête et tu ne peux pas aller contre ça. Ne cherche pas à la réparer ou je ne sais quoi... tout ce que tu feras, c'est enfoncer le clou un peu plus profondément.

- Alors quoi ? Je dois esquiver le sujet ?

Ray se redresse un peu sur son tabouret, boit une gorgée de sa vodka sans me quitter des yeux et me souffle :

- Fais-la sortir. Elle doit voir autre chose que les quatre murs de ta maison, elle doit rire, s'épanouir. Et ce n'est pas en ta compagnie que ça arrivera, même si tu aimes le croire.

Je déglutis avec difficulté.
Sky n'est pas mienne.
Sky doit prendre son envol.
Et je dois la laisser m'échapper.
Pour son bien, je dois la laisser s'émerveiller de la beauté du monde, loin de moi.

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