BLUES

chapitre 9

PDV FLY

Moi aussi, j'écrirai un jour.
J'écrirai sur Sky, le roman tout entier ne parlera que de ses yeux grands ouverts sur la beauté du monde.
Ou peut-être qu'il parlera de sa façon de rire un peu spécial, ou de son nez rebondit.
Peut-être que j'évoquerai son physique à tomber, son physique qu'elle rend que plus beau en le laissant naturel.
Ou certainement que je parlerai de son amour immense, son amour défoncé, déboussolé, qui ne sait plus trop où se poser.

- On devrait rentrer, dis-je en sortant mon porte-monnaie.

- Je ne veux pas que tu paies encore une fois.

- Sky...je peux te payer le petit-déjeuner, ça ne fait pas de toi une fille dépendante.

Elle hésite, la main en suspens.
Puis elle souffle un grand coup en se levant.

Le Trompeur l'a atteinte violemment, bien plus que je ne le pensais.
Il l'a tellement détruite de l'intérieur, que je me pousse à me demander ce qu'elle était avant de le rencontrer.
C'est certain, elle n'était pas aussi hésitante, elle n'avait aucun problème avec la drague, avec les hommes, avec le rire.
Elle devait certainement aimer Tryo et Nirvana, elle devait certainement kiffer l'idée de se retrouver sous le même toit que sa meilleure amie.

Je me dis que l'amour, c'est triste, l'amour est fourbe.
Il nous transforme, puis il disparaît, sans remettre les pièces en place.
Il nous change complètement, puis s'enfuit, l'air de dire : "débrouille-toi avec ça, t'as plus le choix. Tu l'as aimé, c'est ton problème. Moi, je finis toujours par me casser, tu aurais dû t'en douter. Je suis éphémère. "
L'amour, ça rend les gens naïfs, au point de croire en lui.

Alors, oui, c'est certain : Sky n'est plus la même.
Mais est-ce vraiment mal ?
Ne devons-nous pas passer par là, vivre tous ces obstacles, toutes ces absurdités, afin de pouvoir enfin rencontrer la fameuse âme sœur.
Et si toutes ces larmes étaient là pour lui rappeler qu'elle vaut mieux que ça, qu'elle peut les sécher quand elle veut et décider d'être heureuse ?

- T'es cruellement belle, murmurai-je en quittant le resto.

Sa beauté est présente seulement parce qu'elle ne s'en rend pas compte.
Trop de filles profitent de leur charme, pas Sky.
Sky, elle en a presque honte.
Elle se rabaisse, elle se dit qu'elle n'est qu'une épine sur la rose, qu'elle ne sert qu'à gâcher la beauté...
Mais en réalité, elle est la rose toute entière : avec ses pétales, ses épines et sa fragilité.
Elle est belle, mais ses épines sont là pour nous rappeler que sa beauté ne nous est pas due.

- On rentre écrire les partitions ? demande-t-elle.

Je n'arrive toujours pas à savoir comment j'ai pu la laisser me proposer son aide.
Elle va être parfaite dans son rôle et je sais que ça va finir de m'achever.

Pourtant, je hoche la tête, tente de placer ma main dans le bas de son dos, mais elle l'écarte.
Ça me fait sourire de plus belle.

- J'aimerais t'aider moi aussi, annonçai-je. Je veux être utile dans l'avancer de ton roman.

- Et si tu écrivais des poèmes ?

- Des poèmes ?

Je pense en être capable.
Enjoliver les choses, enjoliver Sky, l'amour, le monde.
C'est mon truc.

- Ca me plait bien, déclarai-je. Mais...je n'écrirais pas en vers. Oh et, pas de rimes non plus. Je suis vraiment nul pour ça.

- Alors ce n'est plus un poème ! s'insurge-t-elle.

Je lui donne un petit coup d'épaule et souffle :

- Je vais alors appeler ça "flyme". C'est un mélange de Fly et de poème.

- Tu es exaspérant.

- Merci.

- Ce n'était pas un compliment !

- Encore un constat, hein ?

Elle lève les yeux au ciel, croise les bras sur sa poitrine.
Je demande :

- Quel est ton rapport ?

- Tu es simplement exaspérant.

- Mais je suis un inventeur de mots !!

Elle a un petit rire et j'ai conscience d'avoir l'air d'un gosse, mais en cet instant, avec Sky, ça met égal.

- D'accord, d'accord, dit-elle. Ecris ce que tu veux, je lirais, et si ça ne me plaît pas, je jetterais.

Je secoue la tête d'un air réprobateur :

- Tu adoreras.

Je n'en doute pas.
Parce que Sky adore tout.

- Je vais commencer de ce pas à écrire, d'ailleurs.

Je grimpe les escaliers de la maison deux à deux, en me disant que quoiqu'il arrive, je trouverai toujours de l'inspiration auprès de Sky.
Il y a des personnes comme ça, qu'on admire, qu'on aimerait partager avec le monde entier.

Mat' nous attend sur le seuil :

- La balade était bonne, Sky ?

J'ignore pourquoi il s'amuse autant à lui rendre la vie difficile.
Il ne l'a connaît pas, ignore tout de ce qu'elle vit et il a d'ailleurs l'air de s'en foutre éperdument.
Puis je me dis qu'il n'a pas l'habitude de cohabiter avec des filles, qu'il passe son temps à flirter et qu'il a oublié comment agir normalement avec la gente féminine.

Sky se contente de lui présenter son majeur.

- Je prends ça pour un non, déclare Matthys. Tu déconnes Fly, ta copine n'est pas satisfaite de ta compagnie.

Je le pousse afin de dégager le chemin.