BLUES

chapitre 11

PDV FLY

Le truc avec les mots, c'est qu'il n'y en a jamais assez.
26 lettres, c'est peu.

En tout cas, c'est peu quand on veut dire quelque chose d'important, à quelqu'un d'important.
C'est peu quand on veut déclarer sa flamme à sa bien-aimée, c'est peu quand on veut rendre hommage, c'est peu quand on veut dire un milliard de choses et qu'on ne sait comment le formuler.
Ou peut-être alors que c'est beaucoup trop, qu'on a tellement de choix qu'on ne s'y retrouve plus... ?

- Tu t'en sors ?

Voilà trois semaines que je travaille sur ce flyme, il n'y a rien à faire, je ne trouverais jamais les mots.

Je me lève et prends une cassette au hasard : Scorpions.
Parfait.
Sky me lance un coup d'œil intrigué depuis mon lit.
Je m'assois à même le sol, le dos appuyé contre le matelas, prends mon papier, mon crayon et la regarde écouter la musique, s'imprégner des paroles.
Ma plus grande source d'inspiration, ma muse, la voici : Sky qui écoute une chanson.

« Si toutefois, nous recommencions toute notre histoire depuis le début, j'essaierais de changer les choses qui ont tué notre amour... »

Elle se fige, les doigts crispés sur ses partitions.

« Ta fierté a bâti un mur, si solide que je ne peux pas passer à travers... »

Elle plaque un coussin sur son visage et je reviens à la réalité en un éclair.
Ses épaules tremblent et j'entends ses sanglots étouffés à travers l'oreiller.
Je caresse lentement son bras en murmurant :

- Ta tristesse est belle, tu en as conscience ?

Comment ne peut-elle pas s'en rendre compte, comment peut-elle ignorer que son amour est magnifique ?
Et j'aimerais tellement que la personne qu'elle aime en vaille la peine, j'aimerai tellement être cette personne...
J'aimerais tellement que son amour soit mien, à tel point que je ferai tout pour me l'approprier.
Je le mérite mille fois plus que Trompeur, et c'est sans me vanter, ou encore abuser.
Je mérite cet amour, je suis le plus à même à le conquérir.

Elle sort un œil larmoyant de sous le coussin et demande :

- Qu'est-ce que tu racontes ?

Je lui caresse les yeux, essuie ses larmes et ajoute, ignorant sa question :

- Tu es belle, tout simplement. Magnifique.

Et j'imagine qu'il est encore un peu tôt pour les compliments, alors j'arrête là, me redresse et chuchote :

- Je vais me faire à manger, tu veux quelque chose ?

- Fly...

Je referme la porte d'un coup, prenant sa réponse pour un non.

                               ***

- Tu avances dans tes flymes ?

Je me détourne, et en lâche mon sandwich en apercevant la personne en face de moi.
Cheveux bruns, longs, trop longs.
Yeux noisette, beaucoup trop semblables aux miens.
Et robe, toujours en robe, en salopette ou en short.

Elle tient encore sa valise en main, quand Mat' apparaît derrière elle.

- Salut ma belle !

- Matthys !!

Ils se prennent dans les bras l'un de l'autre, mais je suis beaucoup trop estomaqué pour bouger et dire quoique ce soit.

- Tu as bronzé ! dit-elle.

- C'est sûr que toi, tu ne risquais pas de prendre des couleurs, assise entre quatre murs de classe.

Ma sœur rit en se détachant un peu de Matthys.
Elle me jette un regard à la dérober.

- Oh hé ? Où est mon frère ? demande-t-elle.

Je souris et les rejoins alors pour un câlin général :

- Tu es rentrée plus tôt que prévu, constatai-je.

- C'est mal ?

- Non ! Non, c'est parfait, c'est génial, je...

- Il a ramené une fille à la maison, explique Mat', et il ne comptait pas te l'annoncer.

Cette fois, Ari s'écarte complètement de nous et pose les poings sur ses hanches.
Elle s'apprête à parler, quand... :

- Fly ? Je suis désolée, je ne voulais pas me mettre dans tous mes états et... oh.

Sky débarque dans la cuisine.

- Bonté divine ! s'exclame Ari pas du genre à rester dans le silence longtemps.

Sky rougit un peu et jette un coup d'œil à ses vêtements afin d'être sure qu'elle ne soit pas en mauvaise posture.
Elle porte une simple robe blanche, qui lui arrive aux chevilles.
Forcément, Ari la détaille avec admiration.

Encore une fois, Sky a misé bon sans même s'en rendre compte.
Elle se tripote les doigts et sourit à Arizona :

- Je suis...enchantée. Je m'appelle Sky.

Ma sœur hausse un sourcil, tout en me jetant un coup d'œil elle dit :

- Arizona.

Puis elle serre Sky dans ses bras, rien de plus simple.

- Alors pas de tirages de cheveux, pas de "évite de briser mon frère", ni de regard hautain ? s'indigne Mat'. Il a trouvé cette meuf dans un bar, bourrée jusqu'à l'os !

- Matthys, je grogne.

Ari et Sky se détachent l'une de l'autre et cette dernière déclare :

- Je vais vous laisser dans vos retrouvailles...

- Et si pour fêter ça, je vous invite tous les trois à manger ? demande Arizona en même temps.

Sky n'a pas l'air très à l'aise avec cette proposition, alors j'entreprends d'aller vers elle et de lui murmurer :

- Ce n'est que ma sœur, tu sais. Elle ne va pas te manger.

- Tu oublies Matthys qui va passer sa soirée à me rabaisser devant ta sœur.

Je pousse un long soupir de défaite :

- Je reste avec toi.

- Pas question, tu n'as pas vu ta sœur depuis des lustres !

Je hausse les épaules.
J'aime ma sœur, de tout mon cœur, mais elle va passer la soirée à papoter de tout et de rien et on ne pourra pas en placer une.
Je préfère mille fois le calme de Sky, avec de la musique en fond.

- Je vais rester à la maison, dis-je à Ari et Mat'. Je ne me sens pas très bien. Mais promis, demain, je rattrape le temps perdu avec toi Ari.

Elle hoche la tête et jette un coup d'œil amusé vers Sky, signe qu'elle comprend parfaitement.

- On rentrera tard ! annonce-t-elle en quittant la maison.