BLUES

chapitre 20

PDV DAN

Sky m'observe inscrire l'adresse dans le GPS, démarrer la voiture, puis ouvrir les fenêtres.
Elle fronce légèrement les sourcils quand elle me voit allumer une clope, mais quand elle comprend que c'est seulement une cigarette, elle se détend un peu.

Elle sort la tête par sa fenêtre, cheveux au vent et elle sourit.
Je ne crois pas l'avoir déjà vu sourire, je ne suis pas le genre de gars qui fait sourire.
C'est tellement rafraîchissant de la revoir, même si je sais qu'elle repartira très bientôt parce que je vais merder tôt ou tard.
Ce moment de bien-être ne sera pas éternel.
A chaque fois qu'elle revient dans ma vie, elle devrait me dire : "je ne suis que de passage, pour une nuit ou deux. Jusqu'à ta prochaine connerie en fait, puis ça sera à moi de faire la connerie de partir..."

- Je n'arrive toujours pas à croire que tu es trouvé mon père, s'extasie-t-elle.

C'est bien son genre ça, toujours optimiste, voir le verre à moitié plein...
Elle a l'air d'une grande gamine.
Et ça lui va merveilleusement bien.

- Ne te fais pas trop d'illusion, je la préviens, c'est une adresse trouvée un peu par hasard, dans une source très peu convaincante...

- C'est l'intention qui compte, déclare-t-elle en haussant les épaules.

Est-ce que je lui porte de l'intention ?
Je n'en suis pas si sûr.
Disons simplement que je m'ennuyais, elle n'était plus là, j'étais seul chez moi, alors j'ai lu les journaux et des numéros de téléphone à son nom de famille.
Rien d'extravagant.
Rien d'exceptionnel.

- Merci beaucoup, Dan. Tu n'imagines pas à quel point c'est important pour moi... Cet homme, c'est mon père, mon sang, ma chair et... je n'ai jamais eu la chance de le rencontrer, et puis là tu...

- Ça va, ça va, dis-je d'un air agacé en faisant stop d'une main. On est arrivé.

Je me gare et observe Sky du coin de l'œil.
Elle a l'air un peu déçue que je lui ai coupé la parole, mais ses jambes ne tiennent plus en placent, elle est trop excitée à l'idée de rencontrer son père.

Merde.
Est-ce que je suis vraiment en train d'analyser ses sentiments ?

Elle est la première à quitter la voiture et ne prend même pas la peine de m'attendre pour rejoindre le petit chemin de graviers qui mène à la maison.
Une maison simple, un cube, avec deux fenêtres à l'étage et une baie vitrée au rez-de-chaussée.

La porte est bleue, la couleur préférée de Sky.
Je ne sais pas comment je connais ça couleur préférée...
Elle s'est incrustée dans ma vie et je ne l'ai même pas vu venir.

Aucune voiture n'attend dans l'allée, mais Sky ne se laisse pas abattre et sonne.
Aucune réponse.
Elle me jette un coup d'œil, comme-ci j'étais capable d'invoquer ce gars pour qu'il rentre chez lui.

- Appelle-le, tu as trouvé son numéro avant de trouver son adresse, non ?

- Sky on ne peut pas faire ç...

- Toi, tu ne peux pas faire ça. Moi, je n'aurais aucun scrupule.

Elle tend sa main, m'ordonnant de lui passer mon téléphone.
Ce que je fais au bout de cinq minutes d'hésitation.
Et si elle tombe sur des messages pas très saints... ?

- Bonjour. Ici Sky Blake, ta potentielle fille. J'aimerais que t'arrêtes de te cacher et que tu me rencontres vraiment, alors... si tu entends ce message, voici mon numéro...

Elle donne son numéro à un potentiel serial-killer, puis me rend mon téléphone en soupirant.

- Très bien. Plus qu'à attendre, déclare-t-elle en s'asseyant contre la porte.

- Tu comptes rester là jusqu'à ce qu'il rentre ?

- Jusqu'à ce qu'il rentre ou rappel.

- Et s'il ne le fait pas ?

- C'est mon père, il est forcément curieux.

Sa remarque me fait sourire.
Je décide alors de m'installer à ses côtés et d'attendre, les yeux fermés.

                               ***

Les heures passent et très vite, on se retrouve dans le noir, envahi par les étoiles.

- C'est merveilleux, dit Sky, ces étoiles. On dirait des paillettes. C'est comme si une gamine de cinq ans avait balancé des paillettes dans le ciel pour sublimer le monde, comme elle le ferait avec un dessin.

Je n'ai pas le temps de réagir parce que mon téléphone se met à sonner.
Sky est comme une folle quand elle voit le numéro de son serial-killer s'afficher, elle m'arrache presque le portable des mains et décroche au début de la seconde sonnerie.

Je lui fais signe de mettre le haut-parleur.

- Allô ?!

- J'aimerais savoir ce que ce message vocal signifie. J'ai gagné quelque chose ?

- Gagné quelque chose ?

- Bah oui ! C'est une blague c'est ça, je passe à la radio ?

- Pardon, mais... quoi ?

Un long silence s'en suit.
Je crois que le gars à l'autre bout du fil commence à se rendre compte du sérieux de toute cette histoire.

- Tu dis t'appeler Blake ? demande-t-il.

- Oui. Sky Emily Blake.

- Emily ?

- Mmmh mmh, acquiesce Sky.

Monsieur Blake souffle à l'autre bout du fil.
Je l'imagine se passant les mains dans les cheveux, flippant à mort parce qu'il vient seulement de se rappeler qu'il avait une fille.

- Emily. Je ne pensais plus jamais avoir affaire à ce nom. C'est bien le nom de ta mère ?

- Oui...

Sky se fait plus hésitante, quelque chose cloche avec la réaction de ce mec.

- Ecoute, là, je ne peux pas. On ne peut pas se voir, je suis dans le New Jersey pour la saison. J'imagine que tu es chez moi, à Manhattan ? Tu as trouvé mon adresse ?

Les épaules de Sky s'abaissent, elle a tout à coup l'air pressée.

- Non ! Non, je veux te voir. Je veux être sûre de ma capacité à reconnaître mon père.

- Je ne peux pas rentrer...

- Alors je viendrais à toi !

Sur ce, elle me lance un regard lourd de sens.
Un regard qui m'arrache le cœur, qui veut dire : "Désolé, mais tu ne m'auras pas cette nuit. Je pars un peu plus tôt que d'habitude. "

- Où vis-tu dans le New Jersey ?

Il échange quelques chiffres, puis Sky demande :

- Tu fais quoi là-bas ?

- Je suis moniteur de surf.

Puis elle raccroche et cours à ma voiture.