chapitre 1

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PDV FLY

- L'amour rend beau.

Je me détourne, un peu surpris.
Un homme d'une trentaine d'années s'accoude au bar.

- Une vodka, me demande-t-il.

Je fronce les sourcils avant de m'affairer à ma tâche.
Encore un alcoolo qui va passer sa soirée à se morfondre.
Je hais ce boulot.

Quand je lui tends son verre, il me désigne une jeune femme, assise à une table quelques mètres plus loin.

- Même les déceptions amoureuses rendent beau.

Il a raison, cette femme est éblouissante.
Sa chevelure blonde illumine la pièce, ses yeux verts larmoyants brillent comme l'émeraude.
Je devrai retourner à mon travail, seulement, son visage me bloque la vue.
Je ne peux détourner le regard maintenant que je l'ai aperçue.

- Qu'est-ce qui vous fait dire qu'elle est amoureuse ?

- L'expérience, mon garçon. Aucune peine n'est belle à voir, il n'y a que les poètes qui savent rendre les larmes jolies. L'amour en revanche, c'est beau.

- Elle n'a pas l'air d'être de votre avis. Si vous comptez lui dire que l'amour est beau, là maintenant, je suis prêt à parier qu'elle vous enverra balader.

L'homme ri.

- Je m'appelle Ray, dit-il.

- Enchanté, Ray.

C'est la première fois en trois ans de travail intensif, que quelqu'un prend le temps de discuter avec moi, de s'intéresser au jeune barman.

- Moi s'est Fly, dis-je en lui tendant une main. Je ne vous ai jamais vu dans le coin.

Tout en serrant ma main, il me dit qu'il est là pour la saison, qu'il est professeur de surf.
Je lui réponds que je ne sais pas surfer, que je vis ici depuis peu et que je regarde les surfeurs au loin depuis qu'ils ont débarqués pour la saison.

La fille lève une main, comme à l'école.
C'est bientôt la fermeture, il ne reste que nous trois dans la salle.
Elle m'appelle.

Ray me tape l'épaule, comme pour m'encourager, me dire : "prouve-lui que les hommes ne sont pas tous des crevards. "
Je lui rends un pauvre sourire en passant à côté de lui.

La salle ne m'a jamais paru aussi petite.
Elle devrait être plus grande, je devrai mettre bien plus de temps à atteindre la fille.

- Que puis-je faire pour vous ? demandai-je.

Elle relève les yeux vers moi, bloque un instant sur ma bouche et je crois défaillir.

Je.
Suis.
En.
Train.
De.
Mourir.
Et de ressusciter.
A l'infini.

- Je voudrai un autre verre de...ça.

Elle me tend son verre d'une main tremblante, hésitante.
Comme si elle savait qu'elle s'apprêtait à boire le verre de trop.
Elle connaît ses limites, c'est pourquoi elle va au-delà.

Je prends alors son verre, le renifle : tequila.

- Combien avez-vous bu de verres jusqu'à maintenant ?

Ce n'est pas moi qui l'ai servie jusqu'à présent, j'en suis persuadé.
Je l'aurais remarquée de suite.
Je ne l'aurais pas quittée de la soirée si je l'avais vu plus tôt.

- Cinq, six. Okay, peut-être sept.

Je la regarde, incrédule.
A sa place, je serai déjà en train de danser sur les tables.
A poil.

- Je...hum. Vous devriez arrêter de boire pour aujourd'hui.

Je m'en contrefous d'habitude.
Les gens viennent, me demandent à boire et repartent plus bas que terre.
Mais c'est le business.
Je me fiche pas mal de mettre en danger la vie des autres.
Mais elle, elle ne mérite pas ça, elle ne mérite pas de chialer pour un pauvre con, assise seule à une table de bar.

- Fais ton boulot pauvre gars, jure-t-elle.

Et je fonds un peu plus.
Je tombe encore plus bas.
Son air sévère la rend que plus attirante.

- Je vais vous ramener chez vous, dis-je.

Elle explose de rire.
C'est comme un miracle, un lever de soleil, un coucher de soleil et comme si on m'offrait toutes les étoiles.
Comme si on m'offrait la lune.
C'est une perle rare que je trouve sur la plage.
C'est un trèfle à quatre-feuilles que je trouve dans le jardin.
C'est une brise qui s'étale sur mon corps en plein été.
C'est...magique, époustouflant, d'une beauté à couper le souffle.
Et je suis le responsable de ce rire.

- Je ne suis pas ce genre de fille, si vous imaginez que je vais vous inviter chez moi pour faire un scrabble, vous...

- Je veux simplement vous raccompagner, la coupai-je. Pour que vous rentiez en vie.

- J'ai horreur qu'on me coupe la parole.

Je hoche la tête, l'invitant à continuer.

- Je te déteste. Toi et ton air suffisant, je vous hais. Tu crois que tu peux me tromper, rentrer tard le soir, boire, te droguer, partir des semaines entières sans me laisser de nouvelles, tu crois que tu peux ruiner ma vie ? Tu crois que je peux supporter ça encore longtemps ?! Tu joues à quoi, merde.

Je hausse les sourcils.
D'accord, je ne m'y attendais pas à celle-là.
Elle me confond avec un autre.
Elle me confond avec le pauvre gars qui fait qu'elle est là, ivre morte.

- Je...

- Mais vas-y ! Argumente, dis-moi pourquoi t'es un connard. Dis-moi pourquoi tu me parles comme ça, pourquoi tu me trompes salement, pourquoi tu me traites comme de la merde ?!

Je devrai lui servir une autre tequila, la laisser dans son désarroi.
Après tout, je n'ai rien à voir dans cette histoire.
Je ne suis que le barman, le gars le moins concerné par ses problèmes de couple.
Mais au lieu de ça, je me permets de jouer le jeu, histoire de lui rendre un peu de confiance en elle, de dignité :

- Je t'ai traité comme ça parce que...

- Tu sais quoi ? Ferme-la ! Tu n'es qu'un pauvre abruti sans arguments. Tu devrais te taire, ça te donne l'air intelligent, comme si tu avais quelque chose d'intéressant à dire.

- Parce que tu es une œuvre d'art ! lâchai-je. Tu...tu es d'une beauté renversante et je ne pouvais pas passer une seconde de plus à côté de toi, parce que moi, je suis un brouillon. Un putain de brouillon, sans valeur, sans âme.

Elle a un instant de blocage, comme si elle s'apprêtait à m'embrasser, comme si elle n'en revenait pas que j'ai enfin dit ça.
Puis, elle vomit sur la table.

- Okay, je vais vous ramener chez vous.

- Je n'ai pas de chez moi. Je ne sais même pas où je suis.

J'entends les pas de Ray derrière moi.

- Je vais devoir rentrer, c'était un plaisir Fly.

Je lui fais un petit signe de tête et il quitte le bâtiment.

- Je vais vous amener chez moi, on verra ce qu'on fait demain.

- Pas question que j'aille où que ce soit avec toi !

- C'est ça ou vous passez la nuit dans ce bar. Je ne vous laisserai pas utiliser votre voiture dans cet état.

Elle a l'air d'accepter de me suivre, parce qu'elle se lève en titubant et me fait signe de la rejoindre dehors.

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