chapitre 6

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PDV SKY

Maintenant que ma gueule de bois diminue un peu, je prends le temps d'observer la chambre de Fly.
Rien ne laisserait penser que c'est un garçon qui dort là, ni même une fille.
Juste un grand adepte de la musique.

Les murs sont couverts d'une tapisserie avec des partitions et son plafond est couvert de notes de musique.
Son lit deux places, est recouvert d'une couette avec une guitare pour motif.
Des guitares folk, classique et électrique sont éparpillées un peu au hasard dans la pièce.
Il possède un grand nombre de vinyles et de cassettes, qu'il ne range même pas et laisse entassés sur son bureau.

- Matthys ne semble pas prêt à t'accueillir, annonce Fly en ouvrant la porte.

- Oh, tu veux dire que...je dois me prendre un hôtel ?

- Non ! Surtout pas. Il veut simplement être sûr que tu ne le dérangeras pas pendant ses séances cinéma et que tu ne bois pas d'alcool.

Je détourne le regard, un peu honteuse de la soirée d'hier soir.
Mon yeux se posent sur une cassette de Nirvana.

- J'adore ce groupe, souffle Fly.

- Tu dois surtout kiffer le guitariste !

- J'admire surtout Kurt pour sa voix.

Je fronce les sourcils.
Il prend ça pour de l'incompréhension et explique :

- Il n'a pas peur. Il crie son désespoir, quitte à avoir la voix qui flanche. Il ne chante pas pour que ça plaise, il chante avant tout par passion, pour se vider.

- C'est ton hypothèse ?

Il a un sourire un coin et attrape un ballon de basket dans un coin de sa chambre.
Il s'amuse à me l'envoyer quand je m'y attends le moins et je me le prends dans le bras.

- Tu écoutes quoi, toi ?

- Tout ce qui n'est pas du Nirvana.

- Tu plaisantes ?!

Je lui balance son ballon de toutes mes forces et déclare :

- Je trouve ça trop bruyant.

- Tu plaisantes, répète-t-il, tu es la seule personne au monde à ne pas aimer Nirvana parce que c'est trop bruyant.

En réalité, je n'aime pas ce groupe pour de bien plus grosses raisons que ça.
Tout d'abord, mon père l'écoutait sans cesse avant de nous abandonner.
Ensuite, Dan l'écoutait également en disant, je cite : "ce groupe est un Dieu à lui tout seul. "
Et il chantait à tue-tête, criait les paroles jusqu'à épuisement.

Fly prend la cassette et la fourre dans le lecteur.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je te pousse à kiffer Nirvana.

Je lève les yeux au ciel et cette fois, je reçois son ballon en plein ventre.

- Celle-ci s'appelle "Smells like teen spirit", c'est la plus connue.

Je le laisse lancer la musique en soufflant.
Comme si j'avais besoin d'un instant mélancolique.

« Elle s'ennuie et elle a confiance en elle... »

Fly me jette un coup d'œil, tandis que je me concentre pour ne pas fondre en larmes.

Quand la chanson se termine, il m'apprend :

- L'histoire de cette chanson est plutôt amusante, c'est en partie pour ça que je l'adore.

Je le regarde, d'un air absent, peut-être un poil intriguée, intéressée.

- C'est une amie de Cobain qui a écrit sur son mur "Kurt smells like teen spirit". Il a aimé cette phrase parce qu'il pensait qu'elle faisait référence à son esprit rebelle, alors il a écrit cette chanson. Mais en fait, à l'époque, il y avait une marque de déodorant féminin qui s'appelait Teen Spirit. Et devine quoi ?

Je hausse les épaules.

- L'ex copine de Kurt portait ce déodorant.

- Fly ! Tu viens de gâcher tout le truc. Si tu penses qu'après cette révélation, je vais me mettre à aimer cette musique, tu te trompes !

Il rit.

- Cobain ne l'apprit que bien plus tard...

- Je pense que le mieux, c'est de ne jamais connaître cette histoire. Ça casse toute la métaphore, toute la poésie, toute la beauté de cette chanson. Tu imagines ? C'est comme si j'écrivais une musique et que je la nommai "Smells like Nivea".

Il semble sérieusement réfléchir à cette possibilité.

- Il faut avouer que ça sonne plutôt bien.

Je lui envoie le ballon, afin de le faire revenir sur Terre.

- C'est affreux, Fly !

Il rit de nouveau en s'affalant sur son lit.

- Bon...alors tu n'es pas une grande fan de Nirvana, murmure-t-il d'un ton faussement déçu.

- Encore moins après ton histoire de déodorant !

Il lance le ballon à l'autre bout de la chambre et Fly reprend la parole seulement quand il s'arrête de rebondir.

- Tryo ?

- Quoi ?

- Dis-moi que tu aimes Tryo.

Je réfléchis un instant.
Je n'ai rien contre ce groupe, bien au contraire.
Même si Dan l'écoutait également, en disant : "un jour, je t'emmènerai les voir en concert".

Fly se lève alors et part à la recherche d'un de leur vinyle.
La musique s'élance très bientôt dans la pièce.

« Il y a des salauds, qui pillent le cœur des femmes. Et des femmes, qui n'savent plus trop d'où l'amour tire son charme. »

Quand la musique se termine, j'ai le cœur en miette et je me demande comment j'arrive encore à tenir debout, alors je m'assois sur le lit de Fly.
Je me demande comment je fais pour rester de marbre, pour ne pas pleurer.
Puis je me demande aussi comment une musique peut à ce point me détruire de l'intérieur, comment j'ai pu devenir aussi facilement irritable...
Je sais que Dan est la réponse à chacune de ses questions, alors j'essaie de l'oublier, mais il revient plus envahissant que jamais.

Je sais alors que jamais je ne cesserai de l'aimer, parce que l'amour ça ne disparaît pas, non.
On ne cesse pas d'aimer quelqu'un parce qu'il nous a fait du mal.
L'amour, c'est plus profond que ça.
Je peux arrêter de l'apprécier, et je peux arrêter d'être avec lui, et je peux pleurer à chaque fois que quelqu'un mentionnera son nom, que je le croiserai ou encore que je penserai à lui.
Mais je ne crois pas être capable d'arrêter de l'aimer un jour.
Parce que l'amour, c'est plus gros que le chagrin, parce que c'est connu : l'amour a toujours rendu plus gai.
Alors je l'aimerai malgré ma peine immense.

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