II - Liberté

269 23 7
                                    

- On veut du pain !

- À bas l'autocratie !

- À bas le Tsar !

De la rue, une clameur sourde montait et se répandait dans tous les recoins de la ville. Une foule énorme, d'abord constituée de femmes en colère auxquelles s'étaient joint des ouvriers en grève, envahissait le centre-ville de Pétrograd. Les visages étaient noirs et fermés, la colère éclatait.

Et pourtant... On avait cru un bref instant que la mort de Raspoutine aurait opéré un miracle et rendu la Russie forte et belle. Mais après deux mois d'attente, ce miracle ne s'était pas fait. La guerre s'éternisait, les défaites s'enchaînaient, les réformes ne se faisaient pas et les ventres étaient déjà vides en février.

La foule montait lentement vers le palais d'Hiver du Tsar, entraînant avec elle la promesse d'une révolution. Le regard russe changeait de direction, petit à petit. Le peuple cherchait ses intérêts. Révolution. Tout tourne et tout est bouleversé.

Pensif, à sa fenêtre, le regard un peu triste, Nicolas observait toute cette agitation. Il s'était trouvé une place sur le rebord austère de sa fenêtre à barreaux. C'était son coin rêveur.

Cette foule en colère réveillait en lui des idées de vengeance et durcissait son regard. Il serait peut-être temps de demander réparation. Il pourrait peut-être profiter de l'agitation pour... Pour s'enfuir.

Sept ans de prison avait donné à ses traits jeunes un air sévère et sec. Ses muscles s'étaient fortifiés pour donner à son corps une allure nerveuse et ferme à la fois. Ses cheveux bruns en bataille s'étaient trouvés une grâce dans le désordre et ses yeux bleus trop clairs s'étaient étrécis pour se doter d'un pouvoir d'analyse de l'autre assez incroyable. Nicolas voyait tout, Nicolas était tout, Nicolas ne disait rien. Sept ans de prison avait fait du garçon un être mystérieux et révolté.

C'est ainsi que Kezanskov le trouva, lorsqu'il ouvrit la lourde porte de la cellule. Lèvres pincées, regard insondable et attitude désinvolte tournée vers l'extérieur. Il ne bougea même pas en entendant la porte s'ouvrir et ignora superbement le visiteur, ou plutôt son hôte. Kezanskov ne s'en formalisa pas et l'informa :

- Il va falloir que tu te décides, cette fois.

Nicolas paraissait n'avoir rien entendu. Mais l'autre reprit :

- Signe.

Le jeune homme haussa ses épaules, le regard toujours tourné vers la fenêtre.

- Bien. Fais ce que tu veux mais je venais t'avertir que nous l'avons retrouvée. Tu as deux jours.

Et Kezanskov ouvrit la porte pour sortir à son tour. Il avait aperçu le tremblement qui avait pris son prisonnier à ces derniers mots, et cela avait ramené sur ses lèvres un léger sourire.

- Qui ? L'arrêta le jeune russe.

- Tu sais très bien qui.

- Cette foule... Elle vous affole, n'est-ce pas ? Dit-il d'un air trop tranquille pour être honnête.

- Ce ne sont pas tes affaires.

- Non, évidemment.

Et Nicolas reprit son allure immobile, cette fois teintée de gravité. Kezanskov comprit qu'une fois encore, il ne signerait pas et soupira. Il se trouvait dans une impasse, pris dans un étau formé par sa raison et son cœur. Sept ans que cela durait où il avait patiemment attendu sans trop d'inquiétude. Maintenant, s'il ne réagissait pas, sa chute était assurée.

- Tu n'as pas de cœur à ce que je vois. Dis toi bien que cela me répugne et que j'aurais aimé qu'il en fût autrement, mais tes refus m'y contraignent. Elle, tu peux faire une croix. Je l'envoie en Sibérie. Quant à toi...

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant