XXVI - Départ

118 12 6
                                    

"Je t'aime, Nicolas. Je ne t'oublie pas. Mais je t'en supplie : ne cherche pas à te venger. N'y pense pas, mon amour. Tu me fais peur quand tu ne parles que de vengeance. Je t'aime, Nicolas, loyal, noble et brave. Aïsha."

Seules ces quelques lignes avaient pu parvenir au prisonnier. Il les lisait chaque soir dans la paillasse qui lui servait de lit, jusqu'à s'en abîmer les yeux. Les mots réveillaient en lui des sentiments sensibles qu'il croyait avoir perdu à jamais. Chacune de ces lettres venaient frapper son âme pour en dégager une once de bonté et de noblesse. Il se sentait fou d'amour pour l'élue de son cœur. Et il se trouvait alors dans une petite bulle de bonheur au milieu de l'Enfer.

- Dégage Nicolas.

- Attrape-moi ça et tire.

- Mais plus fort, bougre d'idiot !

- Quel empoté ! Allez, tire !

Une gifle partit

Bousculé, aboyé et violenté, il prenait sur lui et faisait preuve de courage. Il était parvenu à un stade où il s'était résolu à penser que vivre simplement ne lui serait tout simplement jamais possible.

Il banda ses muscles et tira avec l'aide des autres prisonniers sur l'arbre, qui s'écroula au sol.

Le camp n'était encore que les prémices du goulag et ce n'était en somme qu'un camp de travaux forcés. Mais on sentait déjà l'ambiance dure et presque raciste des goulags. Les regards perdaient doucement leur humanité et les esprits s'habituaient à l'idée de survie.

- Frappe plus fort, imbécile.

Nicolas sentit un coup de bâton lui frapper le dos jusqu'à le cambrer. Il eut un sursaut de douleur avant de transformer sa colère en puissance pour donner un violent coup dans l'arbre. Mais la hache ripa et lui tomba des mains pour rebondir sur son pied.

Il hurla.

- Ah ! Quand on veut faire le malin et montrer ses muscles, cela se retourne contre soi, s'écria encore le contremaître furieux.

Mais le jeune prince s'était écroulé sur le sol en retenant ses pleurs. Il pressait de ses deux mains rudes le pied ensanglanté et criait. Sa détresse alerta prisonniers et soldats et le travail s'arrêta un bref instant avant que les glapissements des militaires ne reprennent. On emmena le jeune homme à l'infirmerie où il sombra dans une sorte de demi inconscience.

En quelques mois à peine, les rudes conditions de vie avaient rendu son cœur insensible à la caresse de la vie. Et son esprit s'était effacé au profit de passions noires telles que la colère ou la haine. Il voulait survivre, il voulait se battre pour montrer aux yeux du monde qu'il valait quelque chose. Mais une simple phrase le retenait pour se rebeller tout à fait : "Je t'aime, Nicolas, loyal, noble et brave." Et sa colère se métamorphosait en angoisse.

Il savait qu'il lui fallait extérioriser ce trop-plein d'émotions qui le tourmentaient chaque jour que le camp passait sur lui. Mais les mots d'Aïsha refoulaient cette rage au fond de son cœur en faisant monter une terrible sensation d'étouffement. Il en devenait irascible et nerveux. Renfermé et éloigné des autres, mais méfiant lorsque l'on s'adressait à lui. Ce tempérament crispé irritait les autres prisonniers qui le tenaient soigneusement à l'écart, ce qui n'était pas pour le déplaire. Et les mots d'Aïsha dansaient encore tandis qu'il se demandait par quel moyen il pourait devenir bon.

La situation en était à ce point lorsqu'il se retrouva soudainement à l'infirmerie. Démuni et blessé, il sentit tous ses mauvais sentiments revenir en force et le maltraiter. Il criait et se débattait sur son lit, affolant tout le bâtimant, et se voyait en proie à de terribles cauchemars de ses épreuves passées. Il revoyait en songe le meurtre de ses parents. Puis, il semblait bien que le spectre livide de Greskov revenait le hanter. Et les sifflements lugubres des bombes de la guerre hurlaient encore dans son esprit. Il agonisait de terreur.

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant