IX - Ressemblance

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Nicolas était trop faible pour pouvoir fuir bien loin. Aussi, avec Andreï, il imagina le stratagème suivant : il fallait trouver dans la rue quelqu'un de ressemblant au jeune prince et qui accepterait de jouer ce rôle pour une petite somme rondelette. L'affaire était complexe et elle ennuya Andreï. Depuis la venue de son ami, sa vie tranquille était toute bouleversée dans un malheureux désordre. Mais devant les suppliques du malade, il ne put que s'incliner.

Il passa donc son après-midi dans les rues de Pétrograd, inspectant chaque visage. Pour plus de sécurité, il s'était résolu à ne porter qu'un habit simple d'ouvrier. Mais cette marche dans les rues, caché au milieu de la population, lui rappela malheureusement Natacha. Plutôt que de jouer les gardes-malades, il aurait voulu la retrouver. Cependant, il était honnête et se répugnait à abandonner le jeune prince de la sorte.

C'est dans un bistrot qu'il fit une rencontre étonnante. Il se retrouva tout d'un coup face à une jeune homme qui ressemblait de manière troublante à Nicolas. Même regard gris bleuté, même allure fière, même traits fins et durs. Si l'on exceptait quelques détails, c'était la copie parfaite du jeune malade.

- Je n'en demandais pas tant, murmura Andreï à part lui, mais quel hasard ! Il se pourrait bien en effet que la vie de Nicolas ait quelque chose de Divin.

Et il exposa son problème, légèrement déguisé, à ce jeune homme. Celui-ci eut l'air surpris. Mais la somme était intéressante et il voulait voir de plus près cette ressemblance étonnante. Il accepta.

- Comment t'appelles-tu ?

- Sergueï.

- Mais ton nom de famille, insista Andreï.

- Sergueï Yougavitch Padiscov.

- Yougavitch... Il faudrait que tu me racontes certaines choses, toi.

- Je lui ressemble vraiment ?

- Tu verras bien.

Et de fait, lorsqu'ils furent l'un à côté de l'autre, Andreï remarqua de nouveau cette étrange ressemblance. Tous, même, en furent frappés. Mais il n'avait pas le temps de discuter plus longtemps.

- Sergueï, tu vas prendre la place de Nicolas. Ai l'air fatigué et malade. Nicolas, je vais te conduire dans la pièce d'à côté, ça ira ?

Les trois jeunes gens obtempérèrent rapidement. Ils ne savaient pas quand Kezanskov devait venir, mais plus tôt ils étaient préparés, mieux c'était. Et de fait, ils n'eurent pas à attendre très longtemps. Dans la soirée, le comte monta avec son fils et le précepteur.

- J'espère que ce n'est pas ce que je crois, Andreï. Sinon, tu sais que je serai déçu.

- Mais qui ? Répétait bêtement le jeune homme pour brouiller les pistes. Je t'ai avoué ma faute : il s'agit d'un ami que j'ai voulu soigner discrètement. Il rentre de la guerre. Il a déserté.

- Le prince Odov est mort, l'appuyait Kezanskov. Mon agent me l'a affirmé. Il a été jeté dans la fosse commune.

- C'est ce que nous verrons, grinça le comte en poussant la porte.

Sergueï faisait mine de dormir. Mais un sommeil malade, où sa mine était triste et les traits tirés. Treskovitch s'y trompa aisément. Mais Kezanskov s'étonna immédiatement :

- Il ressemble à s'y méprendre à Nicolas Odov.

- Mais ce n'est pas lui ?

- Non, non... Certains traits du visage, comme le nez, sont différents. Le regard est un peu plus doux.

- Il dort.

- Et puis, même la forme du visage est plus arrondie. La ressemblance est là, mais...

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant