V - Mort

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Un deuxième obus vint éclater un peu plus loin et le souffle du choc provoqua la chute du caporal et de son prisonnier. Les deux se mirent à courir dans la même direction, sans même se concerter. Il n'y avait que la survie qui importait. Ils se jetèrent dans le trou d'une tranchée et se mirent en position fœtale, comme pour se protéger. D'autres bombes vinrent exploser autour d'eux. L'attaque n'avait jamais été si violente. Pourquoi ?

Le lendemain, les obus cessèrent d'éclater. Mais des renforts étaient rapidement arrivés sur ce coin du front pour aider les russes. Le caporal et son prisonnier sortirent de leur trou. En quelques heures, tous s'affairèrent craintivement pour renforcer leurs positions. Des cris fusaient de partout pour ordonner aux hommes de saisir leurs munitions, de creuser un peu encore la tranchée, d'apporter des barbelés...

La pluie s'était mise à tomber.

Au milieu de cette agitation, de ce désordre, Nicolas obéissait fiévreusement. Il n'avait pas le choix : c'était la vie de tous qui était mise ici en jeu. La boue éclaboussait son uniforme de fantassin. La fatigue courbait son dos et brouillait sa vue. Et puis il avait faim, et froid. Mais dans son esprit inquiet un plan de dessinait doucement. Un plan un peu fou, même un peu suicidaire. Un plan pour s'enfuir. Il était incomplet, ce plan. Mais qu'importe. Il valait le coup d'essayer. Que pouvait perdre encore Nicolas ?

"La vie, je peux perdre la vie. Et Aïsha, ma raison de vivre."

Hélas ! Il était fort possible que revenir à Pétrograd eut été signifier la mort, et qui sait si dans sa lointaine et glacée Sibérie son aimée ne se mourait pas de froid ? Nicolas voulait faire vite, et pour l'instant il n'avait que cette solution.

Il fallut encore attendre le lendemain pour que l'attaque attendue par le jeune homme soit lancée. Les soldats du front adverse s'élancèrent sur le no man's land sous une pluie de balles russes qui éclataient tout autour d'eux. Nicolas tirait lui aussi, en sentant son corps battre de plus en plus fort. Car le moment approchait, se libérer de ses chaînes invisibles !

Greskov lui jetait régulièrement des regards méprisants, pour s'assurer que le prince se comportait comme il fallait. En somme, c'était une attaque comme toutes les autres. Si ce n'est qu'il s'agissait probablement de la dernière et que les nerfs étaient trop excités pour penser à autre chose...

Quelques soldats allemands passèrent entre les balles et parvinrent dans la tranchée où tout se joua au corps à corps. Le rideau de pluie et la légère brume les avaient dissimulés des autres. Tout était confus, et chacun se battait pour son propre chef. Les traits se déformaient sous l'emprise de la colère. Le sang rouge et la boue brune se mêlaient pour ne former qu'une même entité. Des balles sifflaient encore, tout autour. Et des cris retentissaient de partout :

- Repliez-vous !

- Attaquez !

- C'est la dernière ! La der des dères !

Nicolas s'étaient décidés à s'attaquer toujours aux soldats allemands qui arrivaient dans la direction opposée à celle de son caporal. Ainsi, il s'éloignait toujours plus et prenait des mesures de sécurité supplémentaires.

Sécurité... Ironie des mots ! Mais quelle sécurité avec un plan si dangereux au beau milieu d'une attaque allemande ?

Un soldat de l'armée adverse se jeta sur lui avec un large couteau. Nicolas ne l'avait pas vu venir, et s'étonnait, même, de l'arme inhabituelle de son adversaire. Le jeune homme roula à terre en entraînant dans sa chute le soldat ennemi. Il attrapa la lame du couteau, au risque de se déchirer la main, et chercha à la retourner contre l'allemand. Tous les deux étaient allongés l'un sur l'autre, en tentant chacun d'utiliser la lame à son profit en la retournant contre l'autre. Mais leurs regards, d'abord rivés sur le couteau, devièrent insensibement vers le visage de l'adversaire. Ils s'observèrent brièvement, les traits crispés par leur bras de fer. Puis l'allemand souffla entre ses dents :

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant