XVI - Jeu

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- Comment pouvez-vous vous montrez aussi méprisant ? Quel âge avez-vous ? Vingt ans ? Pas tellement plus ! Et vous vous permettez de donner des leçons. Vous ne savez rien de la vie, rien, rien, rien !

- Je sais que le monde veut changer. Nous mourrons tous.

- Et à cause de quoi tout cela ? Un comte qui vous aurait fait du mal ? Mais est-ce que nous sommes tous pareils ? Non, non, non... Il y a des exceptions... Des milliers d'exception. Et un massacre, une guerre civile, pour ce fichu soucis d'égalité ! Ridicule, ridicule, assez ! Qui est-ce ? Qui est ce comte ?

Nicolas lança un long regard à l'ombre toujours recroquevillée dans son coin avant de lâcher du bout des lèvres :

- Treskovitch. Le comte Treskovitch.

Juvenkov ne bougeait toujours pas. Mais il paraissait écouter. Les deux autres prisonniers s'étaient maintenant levés pour se faire face.

- Eh bien, cela ne veut rien dire ! Reprit Garieski. Et puis, cela ne nous changera pas notre destin : nous mourrons. Mais mourez la tête haute, au moins ! Ne reniez pas vos principes, scélérats.

- Je ne veux pas.

- Réfléchissez ! La Russie meurt. La Russie meurt.

- C'est les aristocrates qui se meurent. Je le sais. Vous devriez vous taire, vieil impotent.

Une gifle lui répondit. Le regard de Nicolas brilla fugacement tandis qu'il envoya un coup de pied dans le genou de Garieski. Cette douleur soudaine le fit sortir de ses gonds et il répondit dans la seconde en envoyant plusieurs coups de pieds à la suite dans les jambes et dans le ventre de Nicolas. Ce-dernier tenta de se reculer, mais il se trouva vite acculé au mur. Il lâcha un fort gémissement et tenta cette fois un coup de poing dans le visage de son adversaire. Mais la folie aveuglait Garieski. Il attrapa le cou de Nicolas. Le jeune prince laissa échapper un large cri de douleur avant de se taire. Le scientifique l'étranglait.

Juvenkov ne bougeait pas.

Un filet d'air passait encore, dans un sifflement aigüe. Mais la pression s'intensifia encore et Nicolas se trouva asphyxié. Juste avant que la porte ne s'ouvre, Garieski s'écria :

- Dites-moi que ce n'était que des mensonges et que vous avez voulu rire.

- Non, je...

La pression se dessera un peu. La porte s'ouvrit subitement sur deux gardes. Nicolas cria de toutes ses forces :

- Nulles tortures que vous pourrez me faire m'enlevera mes idées. Je suis communiste !

Et Garieski serra de plus belle sur le cou du jeune prince. Le regard révulsé par une sorte de folie. Les deux gardes tentèrent de s'interposer, mais ils durent s'y mettre à deux pour faire lâcher prise au scientifique. Garieski fut emmené ailleurs, et Nicolas mal en point resta seul avec Juvenkov.

Les mots pour piquer la colère. Les cris pour alerter les gardes. Et la phrase finalement lâchée pour couronner son succès. Étendu sur la terre battue, Nicolas reprenait son souffle tranquillement. L'entreprise avait réussi. Longue à préparer, difficile à jouer, mais la récompense devrait le satisfaire.

Nicolas n'était pas communiste, mais cavalier seul. Nicolas n'avait pas de principes, mais une flamme d'amour et de haine qui brûlait en lui. Nicolas ne voulait pas le pouvoir, mais la satisfaction d'avoir réussi.

Quelques heures plus tard, la porte se rouvrait et on demandait Juvenkov. L'ombre muette se leva lentement et passa la porte de son pas lourd et balançant. Nicolas était parvenu à s'adosser au mur. Il n'y avait plus qu'à attendre, maintenant. Et seul, comme toujours.

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant