XIV - Antan

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Comment faire pour impressionner des bolchéviques ?

Rien. On ne pouvait rien faire sinon se montrer communiste intelligent. Mais ce qui pouvait émerveiller, c'était de se transformer de prince à communiste. Voilà qui devrait piquer la curiosité des bolchéviques, et lui donner quelques pouvoirs.

C'est en songeant ainsi que Nicolas voyageait vers sa demeure d'Hiver, non loin de Pétrograd. Il retrouvait avec nostalgie les chemins de son enfance et sa fuite en traîneau, ce fameux soir d'Hiver. Les plaines blanches, enneigées, pures... Le silence qui envahissait l'atmosphère... Nicolas se sentait plein d'un sentiment puissant de quiétude... Et de force. Le tumulte de ces derniers jours laissait place à la tranquilité de ces terres oubliées.

Au loin se dessina la silhouette blanche du palais. Que restait-il ? Huit ans avait passé. Et il avait changé. Les arbres de l'allée s'ouvrirent pour le laisser entrer. Il était chez lui, devant l'immense bâtisse aux murs nuageux.

Un souffle de vent balayait les ruines. Des ruines enneigées. Comme un murmure qui rappelait les voix de son passé.

Le jeune homme descendit du traîneau, comme dans un rêve. Son regard était hypnotisé par des ruines grandioses et tendres. Tout était vide, silencieux comme un murmure. Et l'un des pans de la porte d'entrée battait contre le mur en pierre. Battait depuis huit ans.

- Le monde a changé.

Les fenêtres brisées laissaient la neige s'engouffrer dans les salons lambrissés d'or. La charpente brûlées s'écroulait mollement sur les murs porteurs. L'escalier était obstrué de gravats. Le plancher du troisième étage ne tenait plus. La neige volait et la nature reprenait ses droits.

Nicolas entra par le salon où sa mère lui avait dit adieu. Il revit ses yeux brillants, son sourire triste, ses mots de réconfort... Ne t'inquiète pas pour nous, mon garçon... Le monde a changé.

Elle n'était pas sa mère. Il ne voulait plus le croire.

La salle de réception avait encore son sol dallé de marbre blanc. Un rayon venait se refléter et se réfléchir sur les miroirs rouillés de ce temps révolu. La lumière jaillissait de partout et parait le blanc et l'or de la salle d'un éclat trop vif qui renvoyait aux fastes d'antan.

- Belle princesse Aïsha, accepteriez-vous cette danse ?

- Avec plaisir, mon doux prince.

Que les violons se lèvent !

Et la ronde effrénée d'une danse princière emporta Nicolas dans ses souvenirs glorieux. Cette pâle lumière d'un soleil hivernal donnait son manteau aux murs vandalisés et les habillait de richesses. Les robes virevoltaient. Les couleurs tournoyaient. Et les violons tournaient.

Nicolas sentit son cœur battre plus fort dans sa poitrine et il ouvrit les yeux. Seul, au milieu de la salle.

- Aïsha, murmura-t-il.

Sa chambre était à l'étage. Il n'y avait plus rien. Après l'incendie, les pilleurs étaient passés. Nicolas s'accouda au mur près de l'encadrure vide de sa fenêtre et observa la cour en contrebas, et la lande plus loin. Du pavé glacé montait encore le bruit funèbre des deux coups de feu. La vision trouble du jeune homme crut voir deux flaques de sang pourpre qui s'élargissaient et grimpaient sur les pierres ébranlées. Grimpaient jusqu'à lui. Il retira précipitamment sa main du mur et recula d'un pas. Il s'était brûlé.

En continuant son exploration, il parvint à la pièce nue où avait trôné autrefois le bureau de son père. Toujours les mêmes gravats à terre, et cette poussière blanche, plus importante ici qu'ailleurs.

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant