Il y a sept ans...
Chaque année, Nicolas en ajoutait une de plus et ces quelques mots tournaient pendant l'année dans son esprit.
Ne jamais oublier.
Le souvenir l'enveloppa comme un voile et il se crut redevenir l'enfant qu'il était alors. Il avait treize ans.
Trop jeune pour comprendre parfaitement ce qui l'entourait, il ne se rappelait que du visage inquiet de ses parents. Mais cette inquiétude avait empreint leurs traits depuis longtemps déjà et il s'y était habitué. De même, les disputes qu'il entendait régulièrement entre son père et des visiteurs - de multiples visiteurs - ne le troublaient plus.
Aussi, c'était sans arrière-pensées qu'il jouait ce jour-là dans les près avec Aïsha. C'était l'hiver. Il faisait grand soleil, et les rayons jouaient sur la glace en de multiples nuances bleu et or. Le soir venait, et la nuit tombait tôt en cette saison. Et puis, c'était les vacances et le cadre était idyllique. On pouvait tout oublier. La propriété d'hiver des Odov possédait des immenses prairies et forêts qui constituaient un parfait terrain de jeu pour les deux enfants. Ils s'étaient enfuis loin, et assis dans la neige, avec leurs fourrures.
- On est bien, là. N'est-ce pas ?
- Très, sourit la petite palestinienne en étendant sa jupe en corolle.
- Et puis, mon précepteur ne pourra pas venir nous embêter en me tirant par l'oreille parce que je suis encore avec toi.
- Je vois la scène d'ici ! Il t'attrape, te pince et prend sa grosse voix pour te gronder : "petit sot, tu perds ton temps ! Tu aurais mieux fait d'étudier ton français ou ton latin ! Mais je te le demande ! À quoi sert d'apprendre le français ?
- Ça sert, répondit son ami les yeux pétillants, ça sert à ce qu'un jour, lorsque je t'emmenerai visiter la France en voyage de noce, je puisse demander pour toi aux vendeuses toutes les robes possibles et inimaginables.
- Tu voudras m'épouser ?
- Oui, parce que je t'aime, répondit gravement l'enfant.
- Tu es bien le seul à ne pas me mépriser parce que je suis née pauvre et loin d'ici.
- Moi, j'aime beaucoup ton pays. C'est celui de Jésus. Et puis, c'est le tiens. Je suis contente que mon papa t'ait ramené en Russie. Sinon, je ne t'aurais pas connu.
- Ton papa était amoureux du pays de Jésus. Moi aussi je suis contente d'être ici.
- Tiens... C'est bizarre... M. Kezanskov n'est toujours pas là.
- Il nous aura oubliés, rit sa sœur de lait.
- Chut.
Devant l'air inquiet de son ami, la petite fille arrêta son rire et fronça ses sourcils.
- Tu n'entends pas ? Reprit Nicolas.
- Il y a... Comme des bruits là-bas, hésita-t-elle.
- Je... J'ai un peu peur, Aïsha. En plus, la nuit tombe.
- Viens, il faut aller voir.
Elle lui prit la main et l'entraîna vers l'immense demeure. Mais leur allure ralentissait à mesure qu'ils approchaient. Les clameurs se faisaient plus fortes.
- Que se passe-t-il ? S'écria Nicolas affolé. Les paysans recommencent-ils comme quand j'avais huit ans ?
- En 1905. Peut-être... Viens ! Tes parents doivent être au salon.
- Ils ne vont pas te laisser entrer Aïsha.
- Eh bien, tant pis. Je t'accompagne jusqu'à la porte et je file me cacher dans la grange. Tu m'y rejoindras, hein ?
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Le Prince russe
Historical Fiction1917 - La Russie se meurt. "Nicolas n'était pas communiste, mais cavalier seul. Nicolas n'avait pas de principes, mais une flamme d'amour et de haine qui brûlait en lui. Nicolas ne voulait pas le pouvoir, mais la satisfaction d'avoir réussi." Et Nic...