VIII - Revenant

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- Cette blessure est bien laide.

- Oui.

- D'où vient-elle ?

- Du front, soupira Nicolas avant de grimacer. Aïe, tu fais mal.

- Excuse-moi, j'ai dû serrer trop fort le bandage. Tu étais au front ?

Le jeune prince resta songeur quelques instants. Oui, il avait été au front.

- Et comment était-ce ?

- Abominable. Terrifiant. Atroce. Je ne sais même pas comment qualifier une telle horreur. Andreï...

Sa voix se brisa en un petit sanglot. Il voulait chasser ces terribles images de sa tête. Il se sentait un peu comme un enfant. Il lâchait prise.

- C'est fini maintenant, le réconforta son ami. Tu vas retrouver Aïsha, te chercher un coin gentil et vivre heureux jusqu'à ta mort.

Les yeux de Nicolas brillèrent alors d'un éclat métallique qui fit frissonner le futur comte. Le jeune prince lâcha d'une voix glaciale :

- Je suis mort.

- Comment cela ? L'arrêta Andreï en ouvrant de grands yeux ronds.

- Je suis mort, officiellement.

- Mais...

- J'ai simulé ma mort. Cette blessure a été décrétée mortelle.

- Et tu as quand même réussi à venir jusqu'à Pétrograd ? À pied ? Et tu ne sembles pas si mal en point.

Nicolas taisait les puissants vertiges et les douleurs terribles qui lui martelaient l'esprit. Il avait faim, soif, froid ! Mais il voulait encore prendre sur lui, pour aller plus loin. C'était l'unique moyen de pouvoir survivre, et d'aller jusqu'au bout de sa vengeance.

- J'avais de quoi être déterminé, répondit-il simplement.

- Je comprends, s'attendrit Andreï. Moi aussi, je suis tombé amoureux récemment.

- Et ma détermination, c'était la vengeance, l'ignora le jeune homme.

- La vengeance ?

- Ne blêmis pas ainsi. Si tu savais tout ce que l'on m'a fait, tu approuverais cet objectif avec le même petit sourire satisfait que j'affiche en ce-moment.

- Tu es brûlant de fièvre ! Bien, je vais t'amener à l'étage des domestiques... Euh... Ça ira ? Toutes les autres chambres sont occupées...

- J'ai vu pire.

- Et je file chercher un médecin. Mon père devrait rentrer d'un moment à l'autre. Je le préviendrais et...

- Ne préviens pas ton père que je suis là. Dissimule ma présence autant que possible.

- Pourquoi ? Il n'y a pas de raisons. C'est un aristocrate et non un bolchévique. Il a de l'influence, même encore aujourd'hui. Il connaissait tes parents en plus.

- Justement, je t'ai dit que je voulais me venger.

Une fois encore, Andreï blêmit :

- Mais ce ne peut pas être lui ! Il... Tu te rends compte que tu me demandes d'attaquer mon propre père ? Et lui faire quoi d'abord ?

- Je n'ai pas dit que c'était lui. Mais j'ai sû que derrière Kezanskov, il y avait quelqu'un d'autre. Kezanskov voulait éponger ses dettes. Mais l'autre voulait me prendre toute ma fortune : autrement dit me réduire à l'extrême pauvreté. On me veut du mal. Pourquoi ? Je ne sais pas. On veut sûrement me tuer également, mais Kezanskov, qui m'apprécie tout de même, a dû s'y opposer et m'a envoyé à la guerre.

Le Prince russeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant